Les vautours

Joël Houssin, Fleuve noir, 1985, 326 p., épuisé

 

Futur indéterminé, le don d’organe est quasi obligatoire, entrainant l’apparition et l’essor d’une nouvelle profession : les collecteurs. Leur surnom, les vautours. Dès qu’un accident a lieu, une escouade de vautours fraye vers le lieu du drame, prélève le plus rapidement possible les organes pour les échanger contre espèces sonnantes et trébuchantes aux différents hôpitaux. Certains travaillent en freelance, comme David Toland, d’autres sous la coupe d’une organisation syndicale.

Bienvenue dans un monde ou les organes sont gérés comme des produits manufacturés. Seul problème, l'approvisionnement en organes est loin d'être idyllique et soumis aux aléas de la vie. Ce qui n'est pas la panacée dans un monde ultralibéral. Alors pourquoi ne pas gérer la source de manière rationalisé ?
Le récit débute par l'histoire de David Toland, puis Joël Houssin multiplie les personnages, intrigues et points de vue. Un thriller efficace.
Petite mise au point en premier lieu, Joël Houssin critique le trafic d'organes, la marchandisation de la santé et la logique libérale, pas le don d'organe.


De l'auteur que je connaissais de nom et par l'adaptation sur grand écran de sa série Doberman, je n'avais lu que Loco, réédité en 2012. Roman très noir, rempli de violence, je n'avais pas réussi à le terminer malgré une critique sociale forte. Trop de violences gratuites, voir ambiguë à mon avis.



Ici, la majorité des individus se comportent comme le société, de manière violente, et ne pensent qu'à faire du profit. L'éthique n'est plus qu'une coquille vide. Certains veulent jouer dans la cour des grands, au prix de quelques tiraillements avec ce qui leur reste de conscience. Mais jouer avec le diable n'est pas donné à tout le monde.


Quelques bémols cependant : le bas peuple est forcément répugnant et sordide, les cols blancs ont le sourire ultrabright, sont beaux, pervers et cyniques, les méchants sont très méchants; un peu trop de violence à mon goût; et un goût prononcé pour la surenchère.

Âme sensible, s’abstenir, les descriptions des accidents dans les premières pages sont assez réalistes.
Ici, un chat est un chat, pas de langue de bois, de politiquement correct. Cela change de la littérature calibrée et propette !


Ce roman a reçu le grand prix de la science-fiction française en 1986, prix littéraire qui deviendra quelques années plus tard le Grand Prix de l'Imaginaire (GPI). Amplement mérité.
Texte toujours d'actualité, à quand une réédition ?




"- Je croyais que les milliardaires passaient le plus clair de leur temps à vérifier le montant de leur fortune.
Sirchos éclata de rire.
- Ça, c’est du mauvais cinéma. Connaître le montant de sa fortune, c’est un privilège de pauvre…"


"- Tout l’argent du monde ne suffirait pas à acheter la vie, Monsieur Sirchos. Si Dieu a décidé…
- Ne parlez pas de Dieu ! hurla Sirchos.
Il balaya l’air d’un revers de main comme pour chasser d’invisibles insectes.
- Dieu n’est que la laisse de la soumission, martela le milliardaire. Un badigeon pour les peines intimes de la race laborieuse !
Il se pencha en avant. Son visage avait pris une expression hallucinante, cauchemardesque.
- Nous avons inventé Dieu ! Vous comprenez ça, docteur Zorski ?"



"David se souvint des paroles de Gérard Roussel, son ancien équipier, qui affirmait devant l’idéalisme forcené de son compagnon que jamais dans toute l’histoire de la médecine cet art n’avait su se détacher de la rentabilité. Les épiciers de la santé… Là où une étatisation s’imposait bien plus que dans n’importe quel autre domaine, les gouvernements et pouvoirs successifs avaient abandonné la médecine en proie à un système de libre concurrence parfaitement dément. Ici, la compétition paralysait le progrès, dévoyait les serments, balayait les usages. De la guerre ouverte entre les laboratoires aux prétentions hégémoniques de la D.C.C., la médecine basculait dans un univers paranoïaque. Il était si loin, le jeune garçon, qui regardait passer les ambulances avec les yeux brillants…"
 
"Tu sais, quand j’étais adolescent, j’en voulais à Einstein de n’avoir pas songé aux conséquences militaires de ses découvertes et je persiste aujourd’hui à croire que les chercheurs se doivent d’observer une certaine éthique humanitaire et de faire preuve d’intelligence, simplement d’intelligence. Je suis certain qu’Einstein pensait aider le genre humain, mais il s’est trompé."


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