Lloyd Chéry, grain de sable de l'Imaginaire


Mesdames, messieurs, préparez-vous à franchir les portes de la quatrième dimension. Aujourd'hui, nous avons l'immense privilège de rencontrer un homme qui a fait de l’univers de l'Imaginaire un terrain de jeu aussi vaste qu’inconnu, un explorateur des mondes parallèles qui jongle avec les casquettes - ou plutôt les vestes - comme un magicien manipulateur de réalités. Scénariste de BD, podcasteur, rédacteur en chef adjoint de Métal Hurlant, et j’en passe – Lloyd Chéry, l’homme qui semble avoir trouvé le secret pour être partout à la fois, entre une dimension et l’autre. Il nous parle de son travail et nous accompagne dans les coulisses - parfois glauques - de la science-fiction.

Alors, attachez vos ceintures, entrez dans l'univers de Lloyd et oubliez les limites du possible.




Le chien critique : Tu es journaliste, rédacteur en chef adjoint chez Métal Hurlant, podcasteur, scénariste de BD... Comment gères-tu cette multiplicité de casquettes ?

J’essaye d’être le plus efficace possible. Avec l’expérience, je vois que j’arrive à gagner du temps, que ce soit en faisant le montage du podcast ou en préparant un numéro de Métal Hurlant. Le mantra de l’humoriste Daniel Morin (qui m’a formé pendant mes études à Radio France) de “faire de l’eau chaude dans un monde d’eau tiède” m’est toujours aussi précieux. La difficulté, pour moi, c’est d’arriver à maintenir une veille culturelle autour de la science-fiction. Difficile de savoir où donner de la tête entre la BD, le cinéma, les jeux vidéo, les livres, les séries TV... et bien sûr les petits plaisirs personnels. L’écriture d’une BD est chronophage, surtout dans le découpage, mais c’est logique, car je suis un jeune auteur, donc les automatismes ne sont pas encore là. Il y a aussi un temps non négligeable, mais très sympathique passé, à prendre des cafés et des déjeuners, afin de rencontrer et de recruter de nouvelles plumes dans Métal Hurlant.



Lloyd Chéry : Il y a 5 ans, tu lançais le podcast "C'est plus que de la SF". Peux-tu nous parler de cette expérience, de ton audimat et de son avenir ?


“C’est plus que de la SF” existe depuis maintenant 5 ans. L’émission cumule 1,8 million d’écoutes et 20 000 auditeurs uniques par mois. L’équipe s’est étoffée : quatre personnes me soutiennent en free-lance dans cette aventure. Nous gagnons des places de référencement sur le moteur de recherche Google grâce au travail de Grégoire Charrassin, le web designer du site internet. Le podcast a fonctionné fort dès ses débuts. Trois mois après sa création, nous obtenions 2T dans Télérama, une belle reconnaissance. Je suis très heureux de faire cette émission. Je continue de rencontrer des gens incroyables, que ce soit les auditeurs et auditrices ou les invités de l’émission. Bizarrement, je trouve que la 5e saison est l’une des plus abouties. Le fait d’avoir intégré la science comme thématique et d’avoir de plus en plus d’écrivains étrangers a propulsé “C’est plus que de la SF” dans une autre dimension. Nous sommes le premier podcast natif de France sur la science-fiction et nous encourageons la lecture. Chaque épisode sur un roman graphique ou un livre déclenche des ventes en librairie. Quelle fierté d’avoir un rôle de passeur ! J’espère encore faire cinq ans de podcast pour couvrir toute la décennie des années 2020 et puis on verra ensuite si j’ai encore le feu sacré pour produire une émission hebdomadaire.

© Manuel Brulé

Tu as récemment publié la BD Vertigéo. Pourquoi avoir choisi ce médium ? Quelle a été sa réception publique ? Vas-tu te lancer dans une seconde BD ?

J’adore la bande dessinée ! La sortie de Vertigéo a été l’aboutissement de ce rêve d’adolescent de devenir scénariste. L’expérience avec le dessinateur Amaury Bündgen a été épique et enrichissante ! Nous sommes tous les deux très contents de notre travail sur l’adaptation de la nouvelle éponyme d’Emmanuel Delporte (disponible dans le recueil Au bal des actifs - Demain le travail aux éditions La Volte que je recommande). Vertigéo a dépassé les 10 000 exemplaires. Un beau succès pour un jeune scénariste et pour les éditions Casterman. J’en profite pour remercier les lecteurs. Cet album n’est pas parfait mais il a du cœur. J’ai beaucoup appris, grâce aux retours des professionnels, des amis de la bd, et des lecteurs. Nous réfléchissons à une suite pour 2027 et, bien sûr, je prépare d’autres projets de science-fiction, mais aussi de fantasy et de polar.


Quels changements ou innovations as-tu apportés au magazine Métal Hurlant depuis ton arrivée comme rédacteur en chef adjoint ?

Jerry Frissen avait été impressionné par le mook Dune et m’a demandé de faire la même chose pour Métal Hurlant. C’était la première fois qu’on venait me chercher pour mon expertise éditoriale. J’ai donc développé la partie journalistique en faisant appel à des pigistes venant parfois de grandes rédactions parisiennes. On a vraiment une dream team de rédacteurs et rédactrices qui sont très spécialisées. Il y a maintenant des enquêtes, des recommandations ciné et livres, des reportages, des interviews et, surtout, nous avons ouvert Métal Hurlant à de belles personnalités. J’ai invité le groupe Justice, Ridley Scott, Paul Watson, Gaspar Noé, James Ellroy, Xavier Dolan, Liu Cixin, Kim Stanley Robinson, Catherine Dufour, Bertrand Mandico, Alt 236, Victoire Tuaillon, Coline Serreau, Phil Tippett, Romain Lucazeau, Jean-Marc Ligny et Mario Duplantier de Gojira dans les pages du magazine. Un beau line-up qui reflète bien la diversité de la revue ! C’est important d’avoir des voix différentes pour créer une émulation éditoriale.

© Les humanoïdes associés


En 2025, tu as ajouté une nouvelle corde à ton arc avec l'exposition "Plus loin - La nouvelle science-fiction" à Angoulême. Quelque temps après son inauguration, peux-tu nous faire un retour d'expérience ?

Avec ma binôme Julie Sicault-Maillé et la scénographe Mathilde Meignan, nous avons réalisé la première exposition française sur la bande dessinée et la science-fiction à la Cité de la BD. Nous avons mis en avant plus d’une centaine d’artistes et exposé plus de 330 planches originales. C’est une exposition historique qui est encore visible jusqu’en novembre. L’aventure a été très intense et exténuante, mais quel plaisir de pouvoir exposer Mathieu Bablet, Denis Bajram, Enki Bilal, Philippe Druillet, Mœbius (plus de 10 planches), Jean-Marc Rochette, Olivier Vatine… Je crois qu’on a pu encourager de nombreux dessinateurs et surtout montrer que la science-fiction était un genre extraordinaire. Nous avons par ailleurs mis en avant la nouvelle génération de dessinatrices, qui fait une SF vraiment ambitieuse comme Lolita Couturier, Masha Moran, Rachel Marazano. Je mets ce projet au niveau du mook Dune comme étant un marqueur professionnel mais aussi une belle aventure humaine. Notre envie, avec Julie, était de célébrer des gens qui ont longtemps été méprisés par la presse ou les prix. Presque 45 000 personnes sont venues voir “Plus loin - La nouvelle science-fiction” pendant le Festival d’Angoulême, ce fut une réussite mais cette exposition ne m’appartient plus : elle appartient à ceux qui sont exposés à l’intérieur, et à tous ceux qui vont la voir.

© Mathieu Bablet


Ton label “C’est plus que de la SF” nous prépare quoi, comme nouveautés ?

Il y a actuellement une réflexion pour monter un label éditorial en co-édition afin de refaire plusieurs mooks. Je ne sais pas encore quand arrivera ce label, mais ce serait la suite logique. On verra comment se matérialisera ce nouveau projet éditorial, mais l’envie est présente de retourner dans « l’arène » avec un ouvrage ambitieux sur un classique de la science-fiction qui mélange le magazine et le beau livre. Le fait d’avoir une belle communauté qui soutient mes aventures me permet aussi d’être plus serein. Il y aussi des envies de publier des essais pas que sur la science-fiction, je lorgne aussi sur le cinéma de genre. Si cela se concrétise ce sera un nouveau défi et une aventure exaltante.


Revenons un peu sur le mook Dune, un succès éditorial. Combien d'exemplaires ont été vendus, toutes éditions confondues ?

Je crois que nous en sommes à 23 000 exemplaires ! Jamais un beau livre collectif qui analyse un classique de la science-fiction ne s’est autant vendu en France, c’est un record. Il existe pour l’instant deux éditions.


Je n'ose imaginer le travail de coordination pour un tel projet. Maintenant que tu peux jeter un regard sur le passé, est-ce que le jeu en valait la chandelle ?


Les chiffres parlent d’eux même, je crois. C’est le projet dont je suis le plus fier. Il y a eu un avant et un après le mook Dune dans ma vie professionnelle. On continue de m’en parler avec des étoiles dans les yeux. Je suis toujours reconnaissant à L’Atalante et aux éditions Leha de m’avoir fait confiance en tant que directeur d’ouvrage et porteur de ce projet hors norme. Impossible de ne pas avoir une pensée pour les contributeurs de financement participatif et bien sur les auteurs qui ont participé aux articles. J’ai d’ailleurs rencontré Denis Villeneuve à la fin d’année 2024, c’était un moment incroyable !



Après un financement par Ulule, certains t'ont reproché d’avoir sorti une seconde version augmentée lors de la sortie cinématographique du film. Comment réponds-tu à ces critiques ?

Nous avions vendu 13 000 exemplaires sur un tirage de 15 000 en trois mois et le film allait arriver six mois après. Le tirage était quasiment épuisé. Le mook a été vendu à 22 euros, ce qui était un prix très attractif. Malheureusement, le papier buvait un peu pour les illustrations et les photos. J’ai initié ce choix de faire un nouvel ouvrage qui serait le plus parfait possible. J’espère d’ailleurs en faire une troisième et ultime édition afin d’analyser en profondeur les deux films de Denis Villeneuve pour que livre reste toujours d’actualité. Nous avons envoyé gratuitement les ajouts à nos contributeurs Ulule à qui nous devons tout mais, bizarrement, les plus critiques ont été les autres éditeurs ou affiliés, pas forcément les contributeurs (rire).


J'ai pu constater une baisse dans la régularité de ta newsletter et de “C’est plus que de la fantasy”. Est-il difficile d'être sur tous les fronts ?

Oui, le podcast sur la fantasy a été lancé avant mon arrivée chez Métal Hurlant. J’ai malheureusement atteint mes limites. Je monte encore le podcast seul et je prépare les émissions sans assistant. Je préfère mettre en pause un projet plutôt que d’offrir une production dont je ne suis pas satisfait. La newsletter doit revenir prochainement. On affine évidemment la forme et le fond avec Julien Djoubri, qui s’en occupe avec moi. Julien est très doué pour les interviews et fait de très belles choses avec le jeune média Point’n Think.


Tu travailles énormément (9h-21h, 6 jours par semaine). N'as-tu pas peur du burn-out ?

Non, je me connais et je sais quand je dois m’arrêter. Ma journée type est quand même ponctuée de moments de lecture ou de visionnage. Je prends aussi plus de vacances pour couper et j’essaye de passer du temps avec mes amis de longue date pour sortir aussi de ce monde de l’édition.


Certains pourraient dire que tu es omniprésent dans le milieu SF/fantasy en France. Comment réponds-tu à cette critique ?

Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu cette critique (rire). Je ne sais même pas si elle est encore partagée maintenant. En fait, j’ai pris une place médiatique qui était vacante. Vous savez, les médias adorent avoir une personne qu’on peut appeler pour parler instantanément d’un sujet. Au début, il n’y avait pas de critiques. Quand j’étais au Point Pop, j’ai publié presque 300 articles sur l’imaginaire français. Pour certains auteurs, qui sont maintenant respectés, j’ai été le premier journaliste à mettre en avant leurs ouvrages dans un média national. Il y avait une véritable envie de ma part de couvrir ce milieu. C’était fascinant et réjouissant de découvrir l’univers de l’édition que je ne connaissais pas du tout.  Les ennuis ont commencé au moment où j’ai eu des velléités éditoriales et, pire que tout, quand j’ai eu du succès avec le mook Dune. Certains, dans le fandom SF, souffrent d’un manque de reconnaissance et jalousent la réussite, ce qui est finalement très humain. Un soir, une employée d’un éditeur de poche m’a confié que je ne méritais pas mon succès et que c’était injuste. Injuste car beaucoup de gens comme elle avaient dû galérer pendant des années.  Elle a littéralement dit que je profitais du savoir et du travail des autres. J’ai trouvé sa remarque assez symptomatique d’un petit milieu qui est par moments très toxique et qui accepte des comportements scandaleux sans broncher. Concernant mon omniprésence dans la sphère des podcasts, il n’y a tout simplement pas d'équivalent sur ce médium en science-fiction. J’ai produit 240 émissions d’interview depuis maintenant cinq ans. J’espère que d’autres journalistes ou podcasteurs viendront enrichir prochainement la sphère du podcast SF. Heureusement, les critiques à mon encontre n’entache pas ma passion de vouloir continuer à mettre les gens en avant via des interviews ou des publications. Cela me conforte que je suis sur le bon chemin (rire).
 
Extrait de Bifrost n.103
Voir le droit de réponse dans le Bifrost n. 104


Je crois que les critiques à ton encontre sont allées assez loin, non ?


Oui, il y a eu plusieurs séquences mémorables qui me font rire maintenant. J’ai été diffamé et insulté en 2021 dans la revue Bifrost, ce qui a donné lieu à un droit de réponse très drôle du Grand Prix de l’Imaginaire écrit par Joëlle Wintrebert ( je suis membre de ce jury). J’ai été cyberharcelé et insulté sur les réseaux sociaux par des auteurs, des autrices, des élus pendant tout l’été 2022, au moment où Les Imaginales changeaient avec fracas de direction artistique. Ce fut le paroxysme. Devant ma belle veste bleue avec un canevas de grande Vénus botticellienne, une autrice m’a demandé, en colère, ce que cela faisait de porter sur moi la peau d’une femme… Cette séquence des Imaginales a été très intéressante. On était dans la pièce Tartuffe de Molière. De nombreux auteurs ont dit qu’ils ne reviendraient jamais et puis, quelque temps plus tard, beaucoup sont revenus progressivement, en écrivant sur Facebook un beau texte pour se justifier, car rattrapés par la réalité du marché. Il est si difficile de vivre de sa plume en 2025 que les salons sont vitaux. Le salon te permet d’exister symboliquement car tu es enfin “un auteur” un sésame si recherché et, surtout, tu peux vendre des livres qui ne s’écoulent pas toujours ailleurs. Ce que font Les Imaginales ou Les Utopiales, pour ne citer que les plus gros, sont indispensables à l’économie de l’imaginaire pour des petits et moyens auteurs. Quelques années plus tard, certains se sont excusés après coup ou sont revenus me parler comme si rien ne s’était passé, d’autres baissent les yeux quand ils me croisent. Les réactions passionnées étaient compréhensibles mais les insultes relèvent d’autres choses. Les querelles de clocher du petit milieu n’intéressent pas le lecteur et frise souvent l’amateurisme. « Et tous, Guépards, chacals et moutons, nous continuerons à nous considérer comme le sel de la Terre » écrivait Giuseppe Tomasi di Lampedusa, bref rien de bien nouveau sous le (plein) soleil.


Selon toi, quels auteurs contemporains incarnent le mieux le renouveau de la science-fiction ?


La décennie des années 90 est dominée par des auteurs comme Ayerdhal, Pierre Bordage, Maurice G. Dantec, Bernard Werber et Michel Houellebecq. Les années 2000 voient arriver de grands textes par Catherine Dufour, Roland C. Wagner et Laurent Genefort. Les années 2010 coïncident avec le triomphe d’Alain Damasio mais aussi la confirmation de Sabrina Calvo ou encore la percée de Romain Lucazeau. Pour les années 2020, ce n’est pas évident de savoir qui s’impose. Beaucoup d’auteurs de littérature générale se lancent dans la SF pour le meilleur et pour le pire. Il y a aussi du potentiel avec Audrey Pleynet et Saul Pandelakis mais la reconnaissance du public a du mal à venir car le marché souffre beaucoup.



Quel état des lieux dresserais-tu en 2025 du marché de la science-fiction ?

Je suis assez pessimiste sur la séquence actuelle depuis deux/trois ans. La surproduction domine toujours. Rarement les médias auront aussi peu parlé d’imaginaire. La communication des éditeurs sur leurs livres est quasiment inexistante. Il faut événementialiser la sortie d’un livre pour créer l’attention mais trop peu le font par manque de moyens mais aussi par manque de savoir-faire. Peu d’ouvrages fonctionnent en grand format. Le niveau littéraire français en science-fiction est dans l’ensemble assez alarmant et le manque de travail éditorial aussi. C’est frustrant car nous avons pourtant le potentiel. Les disparitions d’ActuSF puis des Moutons électriques sont quand même de très mauvais signaux. Ces deux maisons d’édition osaient miser sur des jeunes auteurs et autrices francophones. La chute de Twitter puis la reprise en main par Elon Musk a fait éclater des communautés numériques. Alors que les prédictions sciences-fictives se révèlent assez justes, les auteurs de SF sont globalement assez absents des débats publics. Il existe trop peu d’espaces de qualité pour tenter de formuler une pensée ou une réflexion sur ce qui se passe. Il manque aussi une grande franchise médiatique et populaire à la Game of Thrones pour doper le genre. Tout ne va pas si mal. En science-fiction, je vois des éditeurs qui tirent quand même leur épingle du jeu comme Le Bélial’, Au diable vauvert, L’Atalante et d’autres qui tentent de proposer des choses intéressantes comme Argyll, Le Passager clandestin, Verso. De plus en plus de productions françaises s’essayent à la science-fiction au cinéma et dans l’audiovisuel, c’est historique. On vivra prochainement une transition douloureuse qui verra progressivement s’éteindre, dans les prochaines décennies, des grands érudits du fandom. Des gens qui ont des mémoires historiques et littéraires de la science-fiction ainsi que du fandom français. Cela a commencé avec le décès soudain de Joseph Altairac. Avec leurs savoir, ces gens sont des bibliothèques, des trésors.


J'entends régulièrement dire que le milieu de l'imaginaire est très ouvert. En même temps, le #MeToo de l'imaginaire ou certaines voix (comme Ketty Steward et son Le Futur au pluriel : réparer la science-fiction) suggèrent le contraire, ou pointent les limites de sa bienveillance. Qu'en penses-tu ?

J’encourage à écouter notre épisode avec Ketty sur son essai. Ketty est passionnante. J’adore son humour ravageur et je recommande ses textes. Je pense qu’elle et moi, mais aussi d’autres comme Michael Roch, avons été des trophées pour certains salons. On apportait de la diversité à l’époque où c’était à la mode, on intervenait dans le cadre de tables rondes sur l’esclavage ou sur l’afrofuturisme. Ce qui était l’occasion de voir d’autres profils sur des tables rondes. Mais attention dans notre milieu, on sent quand même que certains s’attendent de voir des Noirs se positionner comme des victimes ou des Noirs colériques contre les injustices du système. En bref, entendre des gens se plaindre en permanence. Je garde précieusement cette phrase bouddhiste depuis le lycée : « La plainte efface la bonne fortune alors que la reconnaissance l’accumule ». Quand vous souhaitez ne pas être catégorisé dans cette position de victime, rien ne va plus. Le milieu est aussi ouvert qu’il est hypocrite. J’ai beau être d’origine malienne et donc d’incarner cette diversité tant recherchée par certains, je suis quand même blacklisté par des salons littéraires car je ne coche pas la case du Noir colérique ou victimaire. Ketty vit la même chose et elle l’a dénoncé dans son essai. Heureusement, je n’ai jamais dépendu des salons pour vivre ou exister. Ce qui sauve tout ça, c’est le grand nombre d’hommes et de femmes naturellement bienveillants et sympathiques qu’il y a dans ce milieu, notamment dans la sphère du blog, des bêta-lecteurs et de l’édition.



Tu es très actif sur les réseaux sociaux. Comment gères-tu les critiques ou polémiques qui peuvent émerger ?

Depuis la reprise en main de Twitter par Elon Musk, une grande partie des gens les plus toxiques sont allés sévir ailleurs. La règle est simple. Il faut peu répondre, jamais sous le coup de la colère et, si tu réponds, il faut être factuel, ferme mais poli, et avoir une bonne dose de répartie. Mais en vérité cela n’en vaut quasiment jamais la peine (rire).


Ton succès repose aussi sur une communauté fidèle. Comment évites-tu de tomber dans un phénomène de "bulle" où seules leurs attentes comptent ?

Finalement, on discute assez peu avec ma communauté. Je n’ai pas de Discord. Je reçois de beaux mails de soutien presque toutes les semaines mais je n’ai pas encore créé un espace où les fans du podcast peuvent interagir directement. J’essaye de répondre à tout le monde sur les réseaux sociaux et je demande souvent ce que veulent écouter les gens quand je rencontre un auditeur ou une auditrice. Les podcasts sur le cinéma sont ceux qui fonctionnent le plus avec les épisodes sur les grands classiques de la SF. Mon envie est surtout d’apporter de la diversité sur les sujets pour surprendre l’auditeur. Après, la grande majorité de ma communauté sélectionne les podcasts. J’ai 3000 personnes qui écoutent tous les épisodes, les autres décident en fonction de leurs envies.


Penses-tu que ton rôle va au-delà du journalisme, en devenant une sorte d'influenceur culturel ?

Je suis dans un entre-deux, oui. On est dans une ère où l’on doit incarner quelque chose, avoir des communautés, rayonner par la qualité de son travail. Depuis quelques années, le métier de journaliste évolue et peut parfois tendre vers une forme d’influence. L’important est de conserver sa rigueur éditoriale.


As-tu déjà ressenti une pression éditoriale pour orienter tes contenus vers des sujets plus "bankables" ? Gagner de l'argent est-il antinomique de l'imaginaire ?

Non, j’essaye de parler de l’actualité afin de donner des analyses qui feront plaisir aux amateurs du genre. J’essaye de répondre présent quand un grand film ou une grande série de SF arrive. J’essaye aussi de suivre l’actualité littéraire. Je vends également du podcast aux éditeurs qui m’en achètent, mais ils obtiennent surtout l’accès à une communauté de fans de science-fiction. L’argent est un bon serviteur mais un mauvais maître. Ce que je gagne avec le podcast, je le redonne pour pouvoir faire grandir “C’est plus que de la SF”, mais cela reste assez limité. Si on veut être riche, mieux vaut aller faire du conseil plutôt que d’essayer de vendre des livres. 


Quels sont tes projets futurs ? Envisages-tu d'écrire un roman ou d'explorer d'autres formats artistiques ?

Je réfléchis à lancer un format comme “Le Masque et la Plume” avec quatre ou cinq spécialistes qui se réunissent tous les trois mois pour analyser et critiquer cinq nouveautés. Il manque un espace de débat littéraire radiophonique de qualité pour la science-fiction. L’idée serait de mélanger des journalistes, des blogueurs, des libraires, des influenceurs et des bibliothécaires. Les gens liraient les mêmes livres et devraient débattre ensuite. Cela peut être très amusant. Je vais aussi lancer une émission d’été ! Cela s’appellera “J’irai lire de la SF chez vous”. Je vais faire le tour de la France afin de faire des interviews avec huit auteurs et autrices francophones à côté de leur bibliothèque. Ce ne seront que des gens qui ne sont jamais venus sur le podcast. Cela sera très joyeux.

© Audray Akinocho


Si tu pouvais interviewer une personnalité décédée liée à la science-fiction, qui choisirais-tu et pourquoi ?

Frank Herbert, pour faire encore une nouvelle édition de Tout sur Dune (rire). 


Quel conseil donnerais-tu à quelqu'un qui souhaite se lancer dans une carrière aussi éclectique que la tienne ?

Travailler trois fois plus que les autres, être créatif, “faire de l’eau chaude dans un monde d’eau tiède” et suivre absolument son instinct.


Tu pratiques le bouddhisme japonais. Cela t'aide-t-il à faire face aux critiques et aux défis de ta carrière ?

En tout cas, cela aide à redescendre sur terre et à ne pas être emporté par la passion. Je relis souvent cette phrase du moine Nichiren : “Les personnes vertueuses méritent ce qualificatif parce qu’elles ne se laissent pas emporter par les huit vents : prospérité, déclin, disgrâce, honneurs, louanges, critiques, souffrance et plaisir. Elles ne sont ni enivrées par la prospérité ni affligées par le déclin. Les divinités célestes protégeront à coup sûr celui qui ne plie pas devant les huit vents. Mais, si vous nourrissez une rancune déraisonnable envers votre seigneur, elles ne vous protégeront pas, malgré toutes vos prières”. C’est pas simple tous les jours.


Pour conclure, une dernière question : il y a 5 ans, tu me promettais de faire un podcast sur ton auteur fétiche, Pierre Bordage (ce qui est fait), ainsi qu'un autre sur mon auteur fétiche, Robert Charles Wilson. À l'heure des comptes, j'ai le sentiment de m'être fait un peu avoir…

Ahaha promis, je ferai d’ici cinq ans un podcast sur Spin avec Robert Charles Wilson !



Pour retrouver l'actualité de Lloyd Chéry, une seule direction :

https://www.cestplusquedelasf.com

 
Pour en connaitre encore un peu plus sur LLoyd, n'hésites pas à lire l'interview qu'il m'avait accordé il y a 5 ans : Lloyd Chéry : l'arpenteur de l'imaginaire 

4 commentaires:

  1. Merci pour cette interview à tous les deux et bravo à Lloyd pour tout le travail accompli.

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  2. ’C’est plus que de la fantasy ”était sympa. Vu le succès des séries, il y a encore de la place pour la fantasy.
    Bonne continuation à ce jeune garçon qui donne le vertige tellement il a de cordes à son arc.
    Et merci à vous pour l’interview.

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  3. Rendez vous dans 5 ans pour clore la trilogie des interviews de Lloyd Chery.
    Merci à vous 2.

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  4. Merci à toi pour cette belle itw, à Lloyd pour donner de la visibilité à notre genre favori ! Et quelqu'un formé par Morin et qui aime Dune ne peut être qu'un chic type !!!

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