Les Champs de la Lune


Catherine Dufour, Robert Laffont, 2024, 288 p., 14€ epub sans DRM


Privées de la rythmique tellurique, beaucoup d'espèces ont tiré leur révérence. La Lune est superbe, ses paysages sont pleins de majesté, mais elle est définitivement morte et le Vivant le sent bien.



Demain les chats,
Demain les chiens,
Demain les robots ?

Pitch de l'éditeur :

Puisqu'il faut trouver une autre planète habitable, pourquoi pas la Lune ? Mais la vie est rude sous le feu blanc du soleil. À l'abri de son dôme agricole près du cratère Lalande, une fermière regarde les moissons et les générations s'élever et retomber comme les marées terrestres.
Le soir, au clair de la Terre, elle parle avec son chat des fièvres qui frappent les humains, des fissures qui menacent la survie de la ferme, des enfants saisis par l'appel du vide, des robots fous et des fleurs dans la mer de la Tranquilité.
Son quotidien bascule le jour où on lui confie le soin d'une petite fille a la main verte. Qui fera éclore l'autre ?


Mon ressenti : 

Ma découverte de ce roman a été plutôt surprenante. Je suis habituellement les sorties littéraires de près, mais celle-ci m'avait complètement échappé. C'est en écoutant l'émission de rentrée de La science CQFD, dédiée à la SF, que j'ai entendu parler de la sortie d'un inédit de Catherine Dufour (qui doit être l'une des plus invités dans l'émission). J’ai à peine écouté pour éviter les spoilers, mais quelques mots m’ont suffi. Pas besoin de synopsis, j’achète ! De toute façon, avais-je vraiment le choix avec cette couverture magnifique signée Aurélien Police, qui capture à merveille l’atmosphère du roman ? Et puis, c'est Catherine Dufour, tout de même !

Tandis que les actualités défilaient sur l'écran, je me suis fait la réflexion que les parents de Sileqi et moi partagions la même problématique : nous essayons d'appréhender l'infini avec des intelligences conçues, à l'origine, pour faire la distinction entre deux bananes.

Me voilà parti pour l'aventure d'une lune habitée. Une lune merveilleuse donc (qui acte décidément le grand retour de notre satellite dans les préoccupations littéraires et scientifiques), avec des cités abritées dans d'anciens tunnels de lave, et une fermière et son chat vivant sous un dôme à la surface, pour nourrir les soulunaires, les habitants des sous-sols. J'emploie le terme "merveilleuse" car c'est la première impression que j'ai eue en entrant dans ce roman. J'ai écarquillé les yeux comme un enfant en découvrant ce monde. L’autrice prend le temps de nous faire explorer chaque recoin, que ce soit les cités souterraines ou la ferme en surface, au point que j’aurais bien dégainé mon appareil photo pour immortaliser ma balade lunaire. Mais attention, si ce monde est splendide, Catherine Dufour parsème son récit de petits indices : tout n’est pas aussi idyllique qu’il n’y paraît…

Les pizzas terrestres étaient des articles somptueux. Je me souviens d'un panneau, 200 000 euros le kilo. C'était beaucoup, soit tout juste le coût du transport. Mais certains avaient de quoi payer : ils revendaient à la Terre, cher, les techniques de recyclage mises au point sur la Lune. Il paraît que, sur Terre, la bière lunaire avait le même succès au même prix. Une femme nommée Fraye la brassait à partir de moût de spiruline, puis elle l'envoyait là-bas après l'avoir déshydratée, glissant ses paquets dans les renforts des containers des navettes interplanétaires. Elle en gardait quelques barils pour la consommation locale.
- Ça rappelle le pays, me juraient les consommateurs.
Je me demande aujourd'hui ce que ça rappelait aux Terriens. À l'époque, je trouvais seulement inutile d'envoyer sur Terre une boisson lunaire remarquable par sa saveur terrestre.

D'une balade merveilleuse, le roman explore différents genres de la SF pour mon plus grand plaisir : elle en fait des boutures, des greffes, des chimères, qu'elle lie avec plusieurs thématiques (l'écologie, le vivre-ensemble, l'éveil de la conscience, la place de l'homme dans l'univers...). Et elle le fait avec naturel, l'air de ne pas y toucher, tout en nous embarquant avec sa plume. (Si tu ne lis pas de SF car tu trouves trop souvent que la plume est pauvre, tu peux sans souci te jeter sur celui-ci.) Un livre qui m'a fait passer par de nombreuses émotions en découvrant cette lune à côté de cette fermière étrange. J’ai été émerveillé par cette lune avec sa flore et sa faune en "liberté", attristé par une réalité bien moins belle que ce qu’elle laissait paraître, et j'ai même éclaté de rire à certains moments grâce à des touches d'humour bienvenues. Et dans les passages plus tendus, j’ai tourné les pages avec une avidité digne des meilleurs thrillers.

Bref, un roman doux-amer, riche en sensations et en réflexions sur la vie... et/ou sa fin...

Les chiens se laissent parfois mourir sous les coups de leur maître, mais ce n'est pas par bêtise ou lâcheté. C'est par refus de vivre dans un monde où de si cruelles injustices sont possibles. Comme les antiques, ils jettent « la nature humaine à pile ou face » sur leur propre tombe. Crever au pied de l'humanité, c'est une façon de la faire comparaître devant le tribunal de leur volonté. Bien vainement, à mon avis. Les chats les méprisent un peu pour tant d'apparente lâcheté mais expliquer l'empathie à un chat, personne n'y est encore parvenu.

 
L'avis des chroniques du chroniqueur : "J’avais hâte de retrouver la plume de Catherine Dufour avec ce roman, et je l’ai adoré !"


Le vieux pasteur ne s'exprime que par gestes, cela fait partie de ses vœux. Alors qu'il venait vers moi, ses servants immaculés déversaient sous chacun de ses pas des fleurettes de papier qui gâtaient ma pelouse, mais je me suis abstenue de tout commentaire. Les rapports avec le personnel religieux nécessitent beaucoup de tolérance. Ses devoirs spirituels exigent souvent qu'il piétine les convenances de son interlocuteur, aussi, il n'y a qu'une alternative : l'éviter ou se plier à ses bizarreries.

Il m'est apparu que Campanus [un campagnol] est le symbole d'un lien précieux. Elle symbolise un lien entre le petit et le grand, le minuscule et le massif, que tout sépare mais qui partagent le principal : un écosystème. La différence d'échelle entre elle et moi est colossale. Je me suis imaginée face à face avec un être de mille tonnes, mettons un troupeau de dix baleines bleues mesurant vingt mètres chacune. Je les imagine nageant vers moi, dans le vide lunaire, pour m'offrir, du bout d'une nageoire, une larve de coccinelle. Je me suis demandé si j'aurais le cran de tendre mon nez vers la première d'entre elles, et de la regarder dans ses gigantesques yeux. J'ai compris que Campanus est incroyablement courageuse. Qu'elle est la plus courageuse des créatures de ne pas être simplement morte de peur à ma vue. Elle a fait mieux que ne pas mourir : elle a appris à me connaître. Elle m'a apprivoisée, elle a couru sur mes bras, posé son museau sur ma joue, fait pipi sur mon épaule. Elle a dormi près de moi, en confiance. Elle m'a fait don du spectacle de ses gestes emplis de grâce, de sa silhouette ronde dont le pelage a le brillant d'une pierre précieuse, de ses humeurs pleines de piquants. Elle a fait, presque tout seule, le long chemin qui nous sépare sur l'échelle des êtres. Et elle l'a fait à ses seuls risques et périls. Je me suis sentie envahie par l'admiration, à la fois pour elle et pour le lien que nous avons noué.


La science, CQFD

Rentrée littéraire : la SF en première classe
C’est la rentrée littéraire et pour la science-fiction aussi. Nous recevons deux autrices, un auteur, pour trois romans tournés vers l’avenir, avec Sabrina Calvo, Catherine Dufour et Nicolas Martin. Que nous racontent-il de demain, mais surtout d'aujourd'hui ?

Dans "Les Nuit sans Kim Sauvage", on suit Vic, une orpheline abandonnée dans un IKEA qui vit une histoire d’amour avec Maria Paillette, son assistante virtuelle. Dans "Les Champs de la lune", on se promène sur le régolithe lunaire avec une jardinière de l’espace pour découvrir la colonisation spatiale. Et enfin dans "Fragile/s", dans une France proche de la nôtre, on modifie le génome d’enfants d’une société bientôt stérile et où les mères pondeuses sont au cœur d’une dystopie politique.

4 commentaires:

  1. Une chronique époustouflante. Bravo.
    Mais comment on a pu rater l’émission CQFD,consacrée à l’autrice..C’est le nouveau nom de la Méthode Scientifique?.

    RépondreSupprimer
  2. Donc ta prochaine lecture c'est forcément "Les Nuits sans Kim Sauvage", c'est ça ? 👀

    RépondreSupprimer
  3. Ah ben Les nuits sans Kim Sauvage,si ça nous transporte dans le même univers que la chanson de Voulzy c’est chouette.

    RépondreSupprimer
  4. Tu es convaincant. Ça a l'air très bien, et il y a un chat. Je lui donnerai carrément une chance s'il croise mon chemin.

    RépondreSupprimer

Fourni par Blogger.