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Lloyd Chéry, grain de sable de l'Imaginaire

avril 07, 2025

Mesdames, messieurs, préparez-vous à franchir les portes de la quatrième dimension. Aujourd'hui, nous avons l'immense privilège de rencontrer un homme qui a fait de l’univers de l'Imaginaire un terrain de jeu aussi vaste qu’inconnu, un explorateur des mondes parallèles qui jongle avec les casquettes - ou plutôt les vestes - comme un magicien manipulateur de réalités. Scénariste de BD, podcasteur, rédacteur en chef adjoint de Métal Hurlant, et j’en passe – Lloyd Chéry, l’homme qui semble avoir trouvé le secret pour être partout à la fois, entre une dimension et l’autre. Il nous parle de son travail et nous accompagne dans les coulisses - parfois glauques - de la science-fiction.

Alors, attachez vos ceintures, entrez dans l'univers de Lloyd et oubliez les limites du possible.




Le chien critique : Tu es journaliste, rédacteur en chef adjoint chez Métal Hurlant, podcasteur, scénariste de BD... Comment gères-tu cette multiplicité de casquettes ?

J’essaye d’être le plus efficace possible. Avec l’expérience, je vois que j’arrive à gagner du temps, que ce soit en faisant le montage du podcast ou en préparant un numéro de Métal Hurlant. Le mantra de l’humoriste Daniel Morin (qui m’a formé pendant mes études à Radio France) de “faire de l’eau chaude dans un monde d’eau tiède” m’est toujours aussi précieux. La difficulté, pour moi, c’est d’arriver à maintenir une veille culturelle autour de la science-fiction. Difficile de savoir où donner de la tête entre la BD, le cinéma, les jeux vidéo, les livres, les séries TV... et bien sûr les petits plaisirs personnels. L’écriture d’une BD est chronophage, surtout dans le découpage, mais c’est logique, car je suis un jeune auteur, donc les automatismes ne sont pas encore là. Il y a aussi un temps non négligeable, mais très sympathique passé, à prendre des cafés et des déjeuners, afin de rencontrer et de recruter de nouvelles plumes dans Métal Hurlant.



Lloyd Chéry : Il y a 5 ans, tu lançais le podcast "C'est plus que de la SF". Peux-tu nous parler de cette expérience, de ton audimat et de son avenir ?


“C’est plus que de la SF” existe depuis maintenant 5 ans. L’émission cumule 1,8 million d’écoutes et 20 000 auditeurs uniques par mois. L’équipe s’est étoffée : quatre personnes me soutiennent en free-lance dans cette aventure. Nous gagnons des places de référencement sur le moteur de recherche Google grâce au travail de Grégoire Charrassin, le web designer du site internet. Le podcast a fonctionné fort dès ses débuts. Trois mois après sa création, nous obtenions 2T dans Télérama, une belle reconnaissance. Je suis très heureux de faire cette émission. Je continue de rencontrer des gens incroyables, que ce soit les auditeurs et auditrices ou les invités de l’émission. Bizarrement, je trouve que la 5e saison est l’une des plus abouties. Le fait d’avoir intégré la science comme thématique et d’avoir de plus en plus d’écrivains étrangers a propulsé “C’est plus que de la SF” dans une autre dimension. Nous sommes le premier podcast natif de France sur la science-fiction et nous encourageons la lecture. Chaque épisode sur un roman graphique ou un livre déclenche des ventes en librairie. Quelle fierté d’avoir un rôle de passeur ! J’espère encore faire cinq ans de podcast pour couvrir toute la décennie des années 2020 et puis on verra ensuite si j’ai encore le feu sacré pour produire une émission hebdomadaire.

© Manuel Brulé

Tu as récemment publié la BD Vertigéo. Pourquoi avoir choisi ce médium ? Quelle a été sa réception publique ? Vas-tu te lancer dans une seconde BD ?

J’adore la bande dessinée ! La sortie de Vertigéo a été l’aboutissement de ce rêve d’adolescent de devenir scénariste. L’expérience avec le dessinateur Amaury Bündgen a été épique et enrichissante ! Nous sommes tous les deux très contents de notre travail sur l’adaptation de la nouvelle éponyme d’Emmanuel Delporte (disponible dans le recueil Au bal des actifs - Demain le travail aux éditions La Volte que je recommande). Vertigéo a dépassé les 10 000 exemplaires. Un beau succès pour un jeune scénariste et pour les éditions Casterman. J’en profite pour remercier les lecteurs. Cet album n’est pas parfait mais il a du cœur. J’ai beaucoup appris, grâce aux retours des professionnels, des amis de la bd, et des lecteurs. Nous réfléchissons à une suite pour 2027 et, bien sûr, je prépare d’autres projets de science-fiction, mais aussi de fantasy et de polar.


Quels changements ou innovations as-tu apportés au magazine Métal Hurlant depuis ton arrivée comme rédacteur en chef adjoint ?

Jerry Frissen avait été impressionné par le mook Dune et m’a demandé de faire la même chose pour Métal Hurlant. C’était la première fois qu’on venait me chercher pour mon expertise éditoriale. J’ai donc développé la partie journalistique en faisant appel à des pigistes venant parfois de grandes rédactions parisiennes. On a vraiment une dream team de rédacteurs et rédactrices qui sont très spécialisées. Il y a maintenant des enquêtes, des recommandations ciné et livres, des reportages, des interviews et, surtout, nous avons ouvert Métal Hurlant à de belles personnalités. J’ai invité le groupe Justice, Ridley Scott, Paul Watson, Gaspar Noé, James Ellroy, Xavier Dolan, Liu Cixin, Kim Stanley Robinson, Catherine Dufour, Bertrand Mandico, Alt 236, Victoire Tuaillon, Coline Serreau, Phil Tippett, Romain Lucazeau, Jean-Marc Ligny et Mario Duplantier de Gojira dans les pages du magazine. Un beau line-up qui reflète bien la diversité de la revue ! C’est important d’avoir des voix différentes pour créer une émulation éditoriale.

© Les humanoïdes associés


En 2025, tu as ajouté une nouvelle corde à ton arc avec l'exposition "Plus loin - La nouvelle science-fiction" à Angoulême. Quelque temps après son inauguration, peux-tu nous faire un retour d'expérience ?

Avec ma binôme Julie Sicault-Maillé et la scénographe Mathilde Meignan, nous avons réalisé la première exposition française sur la bande dessinée et la science-fiction à la Cité de la BD. Nous avons mis en avant plus d’une centaine d’artistes et exposé plus de 330 planches originales. C’est une exposition historique qui est encore visible jusqu’en novembre. L’aventure a été très intense et exténuante, mais quel plaisir de pouvoir exposer Mathieu Bablet, Denis Bajram, Enki Bilal, Philippe Druillet, Mœbius (plus de 10 planches), Jean-Marc Rochette, Olivier Vatine… Je crois qu’on a pu encourager de nombreux dessinateurs et surtout montrer que la science-fiction était un genre extraordinaire. Nous avons par ailleurs mis en avant la nouvelle génération de dessinatrices, qui fait une SF vraiment ambitieuse comme Lolita Couturier, Masha Moran, Rachel Marazano. Je mets ce projet au niveau du mook Dune comme étant un marqueur professionnel mais aussi une belle aventure humaine. Notre envie, avec Julie, était de célébrer des gens qui ont longtemps été méprisés par la presse ou les prix. Presque 45 000 personnes sont venues voir “Plus loin - La nouvelle science-fiction” pendant le Festival d’Angoulême, ce fut une réussite mais cette exposition ne m’appartient plus : elle appartient à ceux qui sont exposés à l’intérieur, et à tous ceux qui vont la voir.

© Mathieu Bablet


Ton label “C’est plus que de la SF” nous prépare quoi, comme nouveautés ?

Il y a actuellement une réflexion pour monter un label éditorial en co-édition afin de refaire plusieurs mooks. Je ne sais pas encore quand arrivera ce label, mais ce serait la suite logique. On verra comment se matérialisera ce nouveau projet éditorial, mais l’envie est présente de retourner dans « l’arène » avec un ouvrage ambitieux sur un classique de la science-fiction qui mélange le magazine et le beau livre. Le fait d’avoir une belle communauté qui soutient mes aventures me permet aussi d’être plus serein. Il y aussi des envies de publier des essais pas que sur la science-fiction, je lorgne aussi sur le cinéma de genre. Si cela se concrétise ce sera un nouveau défi et une aventure exaltante.


Revenons un peu sur le mook Dune, un succès éditorial. Combien d'exemplaires ont été vendus, toutes éditions confondues ?

Je crois que nous en sommes à 23 000 exemplaires ! Jamais un beau livre collectif qui analyse un classique de la science-fiction ne s’est autant vendu en France, c’est un record. Il existe pour l’instant deux éditions.


Je n'ose imaginer le travail de coordination pour un tel projet. Maintenant que tu peux jeter un regard sur le passé, est-ce que le jeu en valait la chandelle ?


Les chiffres parlent d’eux même, je crois. C’est le projet dont je suis le plus fier. Il y a eu un avant et un après le mook Dune dans ma vie professionnelle. On continue de m’en parler avec des étoiles dans les yeux. Je suis toujours reconnaissant à L’Atalante et aux éditions Leha de m’avoir fait confiance en tant que directeur d’ouvrage et porteur de ce projet hors norme. Impossible de ne pas avoir une pensée pour les contributeurs de financement participatif et bien sur les auteurs qui ont participé aux articles. J’ai d’ailleurs rencontré Denis Villeneuve à la fin d’année 2024, c’était un moment incroyable !



Après un financement par Ulule, certains t'ont reproché d’avoir sorti une seconde version augmentée lors de la sortie cinématographique du film. Comment réponds-tu à ces critiques ?

Nous avions vendu 13 000 exemplaires sur un tirage de 15 000 en trois mois et le film allait arriver six mois après. Le tirage était quasiment épuisé. Le mook a été vendu à 22 euros, ce qui était un prix très attractif. Malheureusement, le papier buvait un peu pour les illustrations et les photos. J’ai initié ce choix de faire un nouvel ouvrage qui serait le plus parfait possible. J’espère d’ailleurs en faire une troisième et ultime édition afin d’analyser en profondeur les deux films de Denis Villeneuve pour que livre reste toujours d’actualité. Nous avons envoyé gratuitement les ajouts à nos contributeurs Ulule à qui nous devons tout mais, bizarrement, les plus critiques ont été les autres éditeurs ou affiliés, pas forcément les contributeurs (rire).


J'ai pu constater une baisse dans la régularité de ta newsletter et de “C’est plus que de la fantasy”. Est-il difficile d'être sur tous les fronts ?

Oui, le podcast sur la fantasy a été lancé avant mon arrivée chez Métal Hurlant. J’ai malheureusement atteint mes limites. Je monte encore le podcast seul et je prépare les émissions sans assistant. Je préfère mettre en pause un projet plutôt que d’offrir une production dont je ne suis pas satisfait. La newsletter doit revenir prochainement. On affine évidemment la forme et le fond avec Julien Djoubri, qui s’en occupe avec moi. Julien est très doué pour les interviews et fait de très belles choses avec le jeune média Point’n Think.


Tu travailles énormément (9h-21h, 6 jours par semaine). N'as-tu pas peur du burn-out ?

Non, je me connais et je sais quand je dois m’arrêter. Ma journée type est quand même ponctuée de moments de lecture ou de visionnage. Je prends aussi plus de vacances pour couper et j’essaye de passer du temps avec mes amis de longue date pour sortir aussi de ce monde de l’édition.


Certains pourraient dire que tu es omniprésent dans le milieu SF/fantasy en France. Comment réponds-tu à cette critique ?

Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu cette critique (rire). Je ne sais même pas si elle est encore partagée maintenant. En fait, j’ai pris une place médiatique qui était vacante. Vous savez, les médias adorent avoir une personne qu’on peut appeler pour parler instantanément d’un sujet. Au début, il n’y avait pas de critiques. Quand j’étais au Point Pop, j’ai publié presque 300 articles sur l’imaginaire français. Pour certains auteurs, qui sont maintenant respectés, j’ai été le premier journaliste à mettre en avant leurs ouvrages dans un média national. Il y avait une véritable envie de ma part de couvrir ce milieu. C’était fascinant et réjouissant de découvrir l’univers de l’édition que je ne connaissais pas du tout.  Les ennuis ont commencé au moment où j’ai eu des velléités éditoriales et, pire que tout, quand j’ai eu du succès avec le mook Dune. Certains, dans le fandom SF, souffrent d’un manque de reconnaissance et jalousent la réussite, ce qui est finalement très humain. Un soir, une employée d’un éditeur de poche m’a confié que je ne méritais pas mon succès et que c’était injuste. Injuste car beaucoup de gens comme elle avaient dû galérer pendant des années.  Elle a littéralement dit que je profitais du savoir et du travail des autres. J’ai trouvé sa remarque assez symptomatique d’un petit milieu qui est par moments très toxique et qui accepte des comportements scandaleux sans broncher. Concernant mon omniprésence dans la sphère des podcasts, il n’y a tout simplement pas d'équivalent sur ce médium en science-fiction. J’ai produit 240 émissions d’interview depuis maintenant cinq ans. J’espère que d’autres journalistes ou podcasteurs viendront enrichir prochainement la sphère du podcast SF. Heureusement, les critiques à mon encontre n’entache pas ma passion de vouloir continuer à mettre les gens en avant via des interviews ou des publications. Cela me conforte que je suis sur le bon chemin (rire).
 
Extrait de Bifrost n.103
Voir le droit de réponse dans le Bifrost n. 104


Je crois que les critiques à ton encontre sont allées assez loin, non ?


Oui, il y a eu plusieurs séquences mémorables qui me font rire maintenant. J’ai été diffamé et insulté en 2021 dans la revue Bifrost, ce qui a donné lieu à un droit de réponse très drôle du Grand Prix de l’Imaginaire écrit par Joëlle Wintrebert ( je suis membre de ce jury). J’ai été cyberharcelé et insulté sur les réseaux sociaux par des auteurs, des autrices, des élus pendant tout l’été 2022, au moment où Les Imaginales changeaient avec fracas de direction artistique. Ce fut le paroxysme. Devant ma belle veste bleue avec un canevas de grande Vénus botticellienne, une autrice m’a demandé, en colère, ce que cela faisait de porter sur moi la peau d’une femme… Cette séquence des Imaginales a été très intéressante. On était dans la pièce Tartuffe de Molière. De nombreux auteurs ont dit qu’ils ne reviendraient jamais et puis, quelque temps plus tard, beaucoup sont revenus progressivement, en écrivant sur Facebook un beau texte pour se justifier, car rattrapés par la réalité du marché. Il est si difficile de vivre de sa plume en 2025 que les salons sont vitaux. Le salon te permet d’exister symboliquement car tu es enfin “un auteur” un sésame si recherché et, surtout, tu peux vendre des livres qui ne s’écoulent pas toujours ailleurs. Ce que font Les Imaginales ou Les Utopiales, pour ne citer que les plus gros, sont indispensables à l’économie de l’imaginaire pour des petits et moyens auteurs. Quelques années plus tard, certains se sont excusés après coup ou sont revenus me parler comme si rien ne s’était passé, d’autres baissent les yeux quand ils me croisent. Les réactions passionnées étaient compréhensibles mais les insultes relèvent d’autres choses. Les querelles de clocher du petit milieu n’intéressent pas le lecteur et frise souvent l’amateurisme. « Et tous, Guépards, chacals et moutons, nous continuerons à nous considérer comme le sel de la Terre » écrivait Giuseppe Tomasi di Lampedusa, bref rien de bien nouveau sous le (plein) soleil.


Selon toi, quels auteurs contemporains incarnent le mieux le renouveau de la science-fiction ?


La décennie des années 90 est dominée par des auteurs comme Ayerdhal, Pierre Bordage, Maurice G. Dantec, Bernard Werber et Michel Houellebecq. Les années 2000 voient arriver de grands textes par Catherine Dufour, Roland C. Wagner et Laurent Genefort. Les années 2010 coïncident avec le triomphe d’Alain Damasio mais aussi la confirmation de Sabrina Calvo ou encore la percée de Romain Lucazeau. Pour les années 2020, ce n’est pas évident de savoir qui s’impose. Beaucoup d’auteurs de littérature générale se lancent dans la SF pour le meilleur et pour le pire. Il y a aussi du potentiel avec Audrey Pleynet et Saul Pandelakis mais la reconnaissance du public a du mal à venir car le marché souffre beaucoup.



Quel état des lieux dresserais-tu en 2025 du marché de la science-fiction ?

Je suis assez pessimiste sur la séquence actuelle depuis deux/trois ans. La surproduction domine toujours. Rarement les médias auront aussi peu parlé d’imaginaire. La communication des éditeurs sur leurs livres est quasiment inexistante. Il faut événementialiser la sortie d’un livre pour créer l’attention mais trop peu le font par manque de moyens mais aussi par manque de savoir-faire. Peu d’ouvrages fonctionnent en grand format. Le niveau littéraire français en science-fiction est dans l’ensemble assez alarmant et le manque de travail éditorial aussi. C’est frustrant car nous avons pourtant le potentiel. Les disparitions d’ActuSF puis des Moutons électriques sont quand même de très mauvais signaux. Ces deux maisons d’édition osaient miser sur des jeunes auteurs et autrices francophones. La chute de Twitter puis la reprise en main par Elon Musk a fait éclater des communautés numériques. Alors que les prédictions sciences-fictives se révèlent assez justes, les auteurs de SF sont globalement assez absents des débats publics. Il existe trop peu d’espaces de qualité pour tenter de formuler une pensée ou une réflexion sur ce qui se passe. Il manque aussi une grande franchise médiatique et populaire à la Game of Thrones pour doper le genre. Tout ne va pas si mal. En science-fiction, je vois des éditeurs qui tirent quand même leur épingle du jeu comme Le Bélial’, Au diable vauvert, L’Atalante et d’autres qui tentent de proposer des choses intéressantes comme Argyll, Le Passager clandestin, Verso. De plus en plus de productions françaises s’essayent à la science-fiction au cinéma et dans l’audiovisuel, c’est historique. On vivra prochainement une transition douloureuse qui verra progressivement s’éteindre, dans les prochaines décennies, des grands érudits du fandom. Des gens qui ont des mémoires historiques et littéraires de la science-fiction ainsi que du fandom français. Cela a commencé avec le décès soudain de Joseph Altairac. Avec leurs savoir, ces gens sont des bibliothèques, des trésors.


J'entends régulièrement dire que le milieu de l'imaginaire est très ouvert. En même temps, le #MeToo de l'imaginaire ou certaines voix (comme Ketty Steward et son Le Futur au pluriel : réparer la science-fiction) suggèrent le contraire, ou pointent les limites de sa bienveillance. Qu'en penses-tu ?

J’encourage à écouter notre épisode avec Ketty sur son essai. Ketty est passionnante. J’adore son humour ravageur et je recommande ses textes. Je pense qu’elle et moi, mais aussi d’autres comme Michael Roch, avons été des trophées pour certains salons. On apportait de la diversité à l’époque où c’était à la mode, on intervenait dans le cadre de tables rondes sur l’esclavage ou sur l’afrofuturisme. Ce qui était l’occasion de voir d’autres profils sur des tables rondes. Mais attention dans notre milieu, on sent quand même que certains s’attendent de voir des Noirs se positionner comme des victimes ou des Noirs colériques contre les injustices du système. En bref, entendre des gens se plaindre en permanence. Je garde précieusement cette phrase bouddhiste depuis le lycée : « La plainte efface la bonne fortune alors que la reconnaissance l’accumule ». Quand vous souhaitez ne pas être catégorisé dans cette position de victime, rien ne va plus. Le milieu est aussi ouvert qu’il est hypocrite. J’ai beau être d’origine malienne et donc d’incarner cette diversité tant recherchée par certains, je suis quand même blacklisté par des salons littéraires car je ne coche pas la case du Noir colérique ou victimaire. Ketty vit la même chose et elle l’a dénoncé dans son essai. Heureusement, je n’ai jamais dépendu des salons pour vivre ou exister. Ce qui sauve tout ça, c’est le grand nombre d’hommes et de femmes naturellement bienveillants et sympathiques qu’il y a dans ce milieu, notamment dans la sphère du blog, des bêta-lecteurs et de l’édition.



Tu es très actif sur les réseaux sociaux. Comment gères-tu les critiques ou polémiques qui peuvent émerger ?

Depuis la reprise en main de Twitter par Elon Musk, une grande partie des gens les plus toxiques sont allés sévir ailleurs. La règle est simple. Il faut peu répondre, jamais sous le coup de la colère et, si tu réponds, il faut être factuel, ferme mais poli, et avoir une bonne dose de répartie. Mais en vérité cela n’en vaut quasiment jamais la peine (rire).


Ton succès repose aussi sur une communauté fidèle. Comment évites-tu de tomber dans un phénomène de "bulle" où seules leurs attentes comptent ?

Finalement, on discute assez peu avec ma communauté. Je n’ai pas de Discord. Je reçois de beaux mails de soutien presque toutes les semaines mais je n’ai pas encore créé un espace où les fans du podcast peuvent interagir directement. J’essaye de répondre à tout le monde sur les réseaux sociaux et je demande souvent ce que veulent écouter les gens quand je rencontre un auditeur ou une auditrice. Les podcasts sur le cinéma sont ceux qui fonctionnent le plus avec les épisodes sur les grands classiques de la SF. Mon envie est surtout d’apporter de la diversité sur les sujets pour surprendre l’auditeur. Après, la grande majorité de ma communauté sélectionne les podcasts. J’ai 3000 personnes qui écoutent tous les épisodes, les autres décident en fonction de leurs envies.


Penses-tu que ton rôle va au-delà du journalisme, en devenant une sorte d'influenceur culturel ?

Je suis dans un entre-deux, oui. On est dans une ère où l’on doit incarner quelque chose, avoir des communautés, rayonner par la qualité de son travail. Depuis quelques années, le métier de journaliste évolue et peut parfois tendre vers une forme d’influence. L’important est de conserver sa rigueur éditoriale.


As-tu déjà ressenti une pression éditoriale pour orienter tes contenus vers des sujets plus "bankables" ? Gagner de l'argent est-il antinomique de l'imaginaire ?

Non, j’essaye de parler de l’actualité afin de donner des analyses qui feront plaisir aux amateurs du genre. J’essaye de répondre présent quand un grand film ou une grande série de SF arrive. J’essaye aussi de suivre l’actualité littéraire. Je vends également du podcast aux éditeurs qui m’en achètent, mais ils obtiennent surtout l’accès à une communauté de fans de science-fiction. L’argent est un bon serviteur mais un mauvais maître. Ce que je gagne avec le podcast, je le redonne pour pouvoir faire grandir “C’est plus que de la SF”, mais cela reste assez limité. Si on veut être riche, mieux vaut aller faire du conseil plutôt que d’essayer de vendre des livres. 


Quels sont tes projets futurs ? Envisages-tu d'écrire un roman ou d'explorer d'autres formats artistiques ?

Je réfléchis à lancer un format comme “Le Masque et la Plume” avec quatre ou cinq spécialistes qui se réunissent tous les trois mois pour analyser et critiquer cinq nouveautés. Il manque un espace de débat littéraire radiophonique de qualité pour la science-fiction. L’idée serait de mélanger des journalistes, des blogueurs, des libraires, des influenceurs et des bibliothécaires. Les gens liraient les mêmes livres et devraient débattre ensuite. Cela peut être très amusant. Je vais aussi lancer une émission d’été ! Cela s’appellera “J’irai lire de la SF chez vous”. Je vais faire le tour de la France afin de faire des interviews avec huit auteurs et autrices francophones à côté de leur bibliothèque. Ce ne seront que des gens qui ne sont jamais venus sur le podcast. Cela sera très joyeux.

© Audray Akinocho


Si tu pouvais interviewer une personnalité décédée liée à la science-fiction, qui choisirais-tu et pourquoi ?

Frank Herbert, pour faire encore une nouvelle édition de Tout sur Dune (rire). 


Quel conseil donnerais-tu à quelqu'un qui souhaite se lancer dans une carrière aussi éclectique que la tienne ?

Travailler trois fois plus que les autres, être créatif, “faire de l’eau chaude dans un monde d’eau tiède” et suivre absolument son instinct.


Tu pratiques le bouddhisme japonais. Cela t'aide-t-il à faire face aux critiques et aux défis de ta carrière ?

En tout cas, cela aide à redescendre sur terre et à ne pas être emporté par la passion. Je relis souvent cette phrase du moine Nichiren : “Les personnes vertueuses méritent ce qualificatif parce qu’elles ne se laissent pas emporter par les huit vents : prospérité, déclin, disgrâce, honneurs, louanges, critiques, souffrance et plaisir. Elles ne sont ni enivrées par la prospérité ni affligées par le déclin. Les divinités célestes protégeront à coup sûr celui qui ne plie pas devant les huit vents. Mais, si vous nourrissez une rancune déraisonnable envers votre seigneur, elles ne vous protégeront pas, malgré toutes vos prières”. C’est pas simple tous les jours.


Pour conclure, une dernière question : il y a 5 ans, tu me promettais de faire un podcast sur ton auteur fétiche, Pierre Bordage (ce qui est fait), ainsi qu'un autre sur mon auteur fétiche, Robert Charles Wilson. À l'heure des comptes, j'ai le sentiment de m'être fait un peu avoir…

Ahaha promis, je ferai d’ici cinq ans un podcast sur Spin avec Robert Charles Wilson !



Pour retrouver l'actualité de Lloyd Chéry, une seule direction :

https://www.cestplusquedelasf.com

 
Pour en connaitre encore un peu plus sur LLoyd, n'hésites pas à lire l'interview qu'il m'avait accordé il y a 5 ans : Lloyd Chéry : l'arpenteur de l'imaginaire 

Présences d’esprits n.102 : Robert Bloch

décembre 10, 2020

Présences d’esprits, automne 2020, 48 p., 5€ papier


Première fois avec Présences d’esprits, un fanzine sur l'imaginaire. Il faut cependant prendre le terme de fanzine avec de gros guillemets car l'objet est plutôt bien fichu : format A4, couverture semi rigide couleur.



Mais il n'y a pas que l'apparence dans la vie, voyons si le contenu vaut le coup d'oeil lui aussi. Un dossier Robert Bloch que je ne connais que de nom, une nouvelle de Hélène Duc, inconnue au bataillon et deux entretiens avec Michel Borderie et Lloyd Chéry. Et, plus surprenant dans une revue consacrée à l'imaginaire, un article sur Les comédies musicales !!!



Un entretien avec l'illustrateur de couverture, Cédric Taillefer, quelques anecdotes scientifiques avec les liens vers les sites de l'auteur. 



Michel Borderie nous parle de son travail, de sa manière de composer ses illustrations, assez étrange, mais se dégage une certaine beauté.
Lloyd Chéry fait sa retape pour son mook Dune. Mais les questions sortent un peu des sentiers battus et j'en ai appris plus sur l'origine du projet, le travail derrière et les futurs projets du pigiste qui va sûrement ne pas le rester longtemps au vue de son travail.

On passe ensuite à l'article sur les comédies musicales, genre que je fuis au plus haut point. Et pourtant, l'auteur est parvenu à me démontrer que son texte avait toute sa place dans une revue sur la SFFF. Que ce soit à travers Mary Poppins, Docteur Doolittle, ou The Rocky horror Show, l'imaginaire y est bien présent. Pas assez cependant pour me donner l'envie de pousser la chansonnette en dansant. Mais l'article aurait été un peu plus long et plus analytique, cela ne m'aurait pas forcément déplu.



Une odeur alléchante, d’Hélène Duc


Hélène Duc délaisse ses poèmes et haïkus pour nous offrir une nouvelle horrifique ancrée dans le réel. D'inspiration japonaise, elle nous présente le Yokai akaname .
Bien aimé cette terreur du quotidien qui nous fait découvrir la figure du akaname et de ses prérogatives, avec un chouette final. Seul hic, l'illustration (ce n'est pas celle que j'ai mise) qui a oublié que l'action se déroule au Japon...



Le dossier s'attarde sur Robert Bloch, dont je ne connaissais que ses yogsothoteries, alors que le monsieur a eu une carrière impressionnante. Le livre dernière le classique Psychose, c'est lui ! Comme Présences d’esprits est un fanzine, j'avais un peu peur du côté amateur de ce dossier, mais il s'est révélé très instructif : biographie, bibliographie fantastique, SF, cinéma. Un tour d'horizon de la carrière de cet écrivain sur 4-5 pages. Bien aimé le ton de l'ensemble, l'auteur de l'article n'ayant pas peur de dire qu'il ne sera pas exhaustif car il n'a pas tout lu, cela donne un ton rafraîchissant et honnête. En outre, cela m'a l'air tout de même assez complet. Pas sûr cependant que les amateurs de l'auteur y apprendront des choses, mais pour les autres, c'est parfait, j'y ai même noté 2-3 références.

Un cahier critique suit, assez conséquent, il représente la moitié de la revue. Bd, livres, audiovisuel, jeux, comics. La part BD est à l'honneur. J'ai trouvé qu'il manquait cependant une info importante à mes yeux, la date de parution du livre (est ce un oubli, car sur les autres formats, l'info y est) . Pas forcément les bouquins les plus récents (reçoivent ils des SP ou ce sont des recensions personnelles) mais j'y ai découvert un "Le septième continent" qui donne envie.

Au final, je ne suis pas mécontent d'avoir pris un abonnement, on verra par la suite si la qualité est toujours au rendez-vous.
Seule déception, en parcourant la liste des dossiers déjà parus, je n'ai pas vu de dossier Robert Charles Wilson. Alors Présences d’esprits, on se sort les doigts du cul et on s'y met...

Petite astuce pour recevoir gratuitement le magazine si tu es fauché : Chaque chroniqueur se voit affubler d'un matricule de 4 chiffres. Après demande à la rédac cheffe, il s'agit simplement du numéro d'abonné. Donc il te suffit d'en récupérer un et d'envoyer un mail au club en disant que tu as changé ton adresse mail et ton adresse postale pour lire gratos !

Lloyd Chéry : l'arpenteur de l'imaginaire

avril 28, 2020




Depuis trois ans, il met en avant nos genres de prédilections dans un grand hebdo national.
Depuis deux mois, il en parle chaque semaine dans un podcast.
Il pop la culture tout en déconfinant l'imaginaire. Il est le King du jeu vidéo tout en regardant furtivement Tron et des mangas à la télé.
A chacune de ses interventions, il accroît mathématiquement le lectorat SF.
Et il n'hésite pas à se lancer à l'abordage des grandes oeuvres de la science-fiction, même si pour cela il doit aller affronter Nivôse.
Il y a un an, il connaissait la gloire en étant interviewé par le monument de la blogosphère science-fictionnelle.
Aujourd'hui, il doit répondre aux questions du bas fond des blogs SF,
C'est son sacerdoce : toujours mettre en avant l'Imaginaire.

Il t'ouvre en grand les portes de son univers avec sa gouaille contagieuse.
C'est plus que de la SF, c'est Lloyd Chéry, l'arpenteur de l'imaginaire !




Pop Zombies aux Utos



Le chien critique : J’ai fait ta connaissance lors de ta performance lors des dernières Utopiales de Nantes. La twittosphère a salué l’exploit par de nombreuses photos de toi inondant la foule du Palais des Congrès du supplément Spécial Utos du Point Pop. Avec combien de semi-remorques as-tu déboulé à Nantes ? As-tu retrouvé ta santé mentale depuis ?

Lloyd Chéry : Ahaha ! J’ai survécu à cette expérience de l’extrême. J’ai approximativement distribué 10.000 fascicules sur quatre jours. Le Point avait sollicité deux hôtesses pour offrir ce fameux supplément au public. Malheureusement, une des hôtesses s’est fracturée la jambe en rentrant chez elle le soir du premier jour. Il a fallu la remplacer mais à cause du jour férié (qui tombait un vendredi 1er novembre) personne ne pouvait être là. Une vaste épopée a donc commencé pour donner en main propre les fascicules à un maximum de gens tout en animant deux conférences. J’ai fait le crieur de journaux à remonter des files d’attente de 300 personnes et le soir je posais sur toutes les chaises de la cité le hors-série. Comme je faisais rire les copains à vendre ma camelote, je me suis dit que j’allais faire de l’humour dessus et communiquer massivement sur Twitter et FB. J’ai imaginé différents scénarios dont un où je convolais amoureusement avec un numéro. J’ai fini épuisé des Utopiales, mais satisfait, il était impossible de ne pas respecter l’accord que nous avions passé avec nos annonceurs et le festival. Le fait d’avoir écrit pas mal d’articles à l’intérieur fut également une autre source de motivation à le partager massivement. Franchement, j’en garde un excellent souvenir.

Débauche de star !


Lancer un nouveau podcast en plein confinement, c’était plutôt une bonne idée ?

Le podcast a commencé le 9 mars, j’étais loin d’imaginer que nous sérions confinés le 16 mars. Les audiences ont été à la hauteur de ce que j’espérais. Avec le confinement, les gens ont du temps pour écouter. Il a fallu adapter la logistique. Impossible de faire un épisode si l’invité n’a pas de micro chez lui par exemple. Cela a compliqué le plan que j’avais préparé, mais je ne pensais pas que le public serait aussi réceptif.


Peux-tu nous dire comment ce podcast est né ? Sa ligne directrice ?

Cela faisait un an que je voulais lancer ce projet. Avant de faire de la presse écrite, je souhaitais faire de la radio. J’ai été formé à Radio France où j’ai fait de l’antenne sur France Inter, Mouv’ et France Bleu. L’interview et le reportage me manquaient et j’avais envie de retrouver cette sensation. Ma plus-value journalistique est d’être vulgarisateur des littératures de l’imaginaire auprès du grand public. J’ai donc prolongé ce que je faisais au Point Pop avec ce podcast pour mettre en avant le monde de l’imaginaire encore injustement sous médiatisé. J’ai créé un programme qui m’aurait fait plaisir d’entendre à Radio France. Ma ligne éditoriale est de faire un entretien avec un spécialiste (auteur, blogueur, journaliste, universitaire) sur une thématique, un livre, un film ou un sujet lié à la science-fiction. L’objectif est d’être le plus accessible possible pour que l’auditeur puisse apprendre des informations tout en retrouvant une œuvre qu’il apprécie. J’ai présenté ce podcast à plusieurs médias et personne n’en voulait alors je me suis dit que c’était un signe et que ça serait un succès. Deux semaines après le lancement du podcast, CNEWS et Numérama parlaient de nous. Une belle revanche.



Tu l’animes et tu en es aussi le producteur avec ActuSF. Que cela signifie-t-il ? Quel est le travail de chacun ?

Je m’occupe de l’interview, du montage et de la préparation. ActuSF gère la communication tout en me finançant. Il était impossible de me lancer dans cette aventure sans être payé pour le faire. Quand tu es pigiste, le temps devient de l’argent et puis tout travail mérite salaire. On échange beaucoup avec Jérôme Vincent (note du chien : le directeur du site et des éditions ActuSF), qui est lui aussi un journaliste radio, sur les invités, la technique, le traitement. On voulait faire des choses ensemble depuis un moment et je lui ai proposé ce projet. Pour l’instant c’est très harmonieux.


Peux-tu nous dire comment s’organise le travail sur un podcast, de la recherche du sujet à la livraison ?

Je travaille une journée dessus. J’ai été assistant d’émission avec Daniel Morin sur Inter ce fut une bonne école. Je fais des fiches, je prépare mes questions, je lis des livres ou revoit des films et des séries en fonction. Après l’entretien, le montage me prend ensuite une petite heure. Le choix des podcasts dépend de l’actualité, mais aussi de mes envies.


Chaque émission est sponsorisée, mais j’imagine que cela ne rentabilise pas la chose. J’ai un peu de mal à croire que vous faites cela pour la beauté du geste. Alors, elle est où l'entourloupe ?

Ahah alors seulement deux émissions ont été sponsorisées par Third Editions (que je remercie encore). Nous sommes dans l’ère du contenu, nous répondons à une offre. Le podcast enrichit ActuSF et permet de faire connaître le site à un public qui aime la science-fiction sans pour autant en lire. Le sponsoring est très utile pour financer de nouveaux projets. Cela permet d’être rentable.


Pourquoi ce titre ? Est-ce que le milieu de la SF est trop fermé et qu’il faut lui retirer ses œillères ? Quelle en est l’origine ?

Le titre était un pied de nez au fandom. En avril dernier, Le Point Pop a défendu bec et ongle Les Furtifs d’Alain Damasio. On a écrit dans notre critique que c’était plus que de la SF avec ma rédactrice en chef. La phrase en a fait tiqué beaucoup qui nous l’ont fait comprendre sur les réseaux sociaux. On a été chambré pendant quelques semaines puis la phrase est devenue un gimmick et utilisée à toutes les sauces. J’ai évidemment sauté sur l’occasion pour l’utiliser à outrance et je me suis dit qu’elle me porterait bonheur car elle avait marqué les esprits.

Le milieu de la SF est un milieu très accueillant mais fonctionne comme un circuit fermé avec ses codes, son histoire et ses personnalités. Souvent méprisé, le milieu commence à être rattrapé par la popularité grandissante de la science-fiction redécouverte par le grand public. Actualité oblige, on demande maintenant aux auteurs de science-fiction d’analyser et commenter nos réalités. Les adaptations fleurissent grâce aux plateformes. On vit un nouvel âge d’or qui offre beaucoup de perspectives. Tout le travail que fait La Volte à proposer de la futurologie répond aux enjeux du moment. Un indice ne trompe pas avec l’arrivée d’auteurs venant de la littérature blanche ou de nouvelles collections. Le milieu de la SF va devoir se battre pour se légitimité et pas se faire submerger par de nouveaux entrants moins connaisseurs mais plus compétents dans la communication.


Quel est le bilan après ces premiers épisodes ?

On a dépassé les 10 000 écoutes en seulement cinq podcasts, ce qui est un très bon démarrage. Notre base d’auditeurs augmente progressivement et de plus en plus de personnes nous suivent sur les réseaux sociaux. Les gens semblent contents de retrouver C’est Plus que de la SF tous les lundis, c’est très agréable.


Tu travailles pour le magazine hebdomadaire Le Point, qui a une sensibilité à droite, alors que la SF française est plutôt ancrée à gauche. Je n’ai pas vu de photos de toi te faisant entarter, à quoi cela est dû à ton avis ?

Ahaha si cela devait arriver je demanderai des conseils à un éditorialiste du journal qui a l’expérience de l’entartage. Soyons pragmatiques, la presse généraliste parle encore trop peu des écrivains de SF. Il n’y a aucune raison d’être mal accueilli quand tu souhaites louer les gens qui font le genre. Ma position a toujours été « de venir en paix », car je suis avant tout un fan et je trouve du sens à mon métier en mettant en avant des personnalités pas connues. Cet amour pour la SF m’a donné l’occasion de créer des amitiés et de faire accepter que Le Point puisse être légitime pour traiter le genre. Quand Christopher Tolkien ou Ursula Le Guin sont décédés, seul le Point a été le média à rendre hommage à la hauteur de leurs oeuvres. Peu de journaux généralistes ont publié quatre hors-séries d’affilés sur les littératures de l’imaginaire. Je crois qu’on a prouvé que nous étions des alliés.



Pierre Papier Ciseaux


C’est quoi ton travail dans ce magazine ? Comment prépares tu tes articles ? ...

Je suis journaliste-pigiste en gros je propose des articles sur les thématiques que je suis depuis plusieurs années comme l’animation japonaise, les jeux vidéo, les littératures de l’imaginaire. Ce qui me prend du temps c’est surtout l’écriture. Je peux passer entre 8 à 12 heures sur certains papiers. J’essaye de faire en sorte que tout soit parfait.


C’est quoi pigiste ? Es-tu pigiste car pas assez bon journaliste pour être en CDI ?

Cette mythique punchline qui relève du bon sens ! En tout cas, j’ai encore du progrès à faire pour être en CDI. Beaucoup de jeunes journalistes débutent en tant que pigistes. Tu es payé à l’article. La situation est souvent précaire. Si tu n’es pas aidé par des parents ou autres, tu arrêtes rapidement ce métier. La première année de pige, je gagnais en moyenne 500 euros par mois. Imagine si tu vis seul à Paris. Ma chance a été de devenir pigiste régulier au Point ce qui me permet de manger tout en continuant à me former. Le Point Pop est une excellente école. J’apprends beaucoup grâce à mes collègues. Je ne sais pas si je serai embauché un jour, mais j’ai dépassé cette frustration ainsi que le dénigrement que cela entraine d’être présent depuis des années sans vraiment exister. J’ai refusé de faire du battonage de dépêche, l’info générale ou entrer dans un service vidéo et ronger mon frein avant qu’une place se libère. Les embauches sont très rares en culture. Il faut être patient et se spécialiser dans un domaine que personne ne traite.


Quand ta rédactrice en chef te fait reprendre tes études de journalisme



Pour ton job au Point, tu dis recevoir tout ce qui sort en Imaginaire. Quel est ton plan pour revendre toutes ces merdes ?

Ahaha alors je redonne 95 % de ce que je reçois à la médiathèque de Saint-Cloud. J’ai été bibliothécaire chez eux pendant 5 ans quand j’étais étudiant. Les livres ont donc une seconde vie et profiteront à d’autres.


En faisant quelques recherches sur le net, j’ai vu que tu étais propriétaire de la société CHERY LLOYD TAKASHI. C’est cette société qui écoule cette manne ?

Pas du tout, je suis auto-entrepreneur et j’ai besoin de facturer des conférences que j’anime de temps en temps pour des salons littéraires ou encore les épisodes de podcasts. Takashi est mon deuxième prénom. Il m’est bien sûr arrivé de revendre mes livres à mes débuts quand je n’avais pas d’argent pour payer ma carte navigo ou faire des cadeaux de Noël. Cette époque est révolue.


En voyant ton nom pour la première fois, ma réaction était la suivante : “C’est quoi ce pseudo à la con ?!”. Et je me dis que ce n’est peut être pas un pseudo… Ça n'a pas été trop dur la cour de récré ?

Appelez-moi Chéry, Lloyd Chéry… Cela va te surprendre, mais j’ai évité les moqueries jusqu’au lycée. On a commencé à me chambrer à l’université et j’ai inventé le surnom Chéry Kiss. La question du pseudo revient souvent, mais ce n’est pas le cas. Mes parents ont eu du nez.


En voyant ta gueule pour la première fois, ma réaction était la suivante : “Il m’a pas l’air très blanc ! ” Pourquoi vouloir voler le pain du français de souche ?

Black is beautiful hombre ! Le futur sera métissé et puis une touche de diversité ça ajoute de la fraicheur. Au moins, je te permets d’avoir une caution pour évoquer ce genre de sujet sans passer pour un affreux réactionnaire (rire).


La SF étant surtout - à mon sens - une littérature de l’Autre, le milieu franco français cassoulet SFFF est-il accueillant ou frileux ?

Il a été pour moi très accueillant ! J’ai rencontré des gens extraordinaires qui m’ont tout donné. Il y a quatre ans j’étais un parfait inconnu et maintenant je lance des projets éditoriaux. Même si le fait d’être journaliste au Point a grandement aidé, je mesure ma chance que n’ont pas encore d’autres personnes. A moi de mettre en avant les gens qui ont construit le genre pour ne pas faire l’enfant gâté opportuniste.


Les autrices françaises de l’imaginaire commencent à avoir plus de visibilité, je n’ai pas l'impression que ce soit le cas pour les personnes de couleur. Je peux citer facilement des autrices françaises, cela me devient plus compliqué pour les noirs et les arabes. Est-ce que j’ai un point de vue biaisé ou est-ce une certaine réalité ? Pourquoi à ton avis ?

Je peux te citer et te recommander Ketty Steward, Michael Roch ou encore Romain Lucazeau (qui est métisse) car ils ont avant tout produit d’excellents textes qui méritent à mon sens d’être lus. La question du manque de diversité est une réalité plus globale qu’on ne le pense. Tu trouveras peu d’acteurs de couleurs dans notre cinéma également. La reproduction sociale théorisée par Bourdieu reste d’actualité. Les minorités n’ont pas les mêmes chances que les autres pour diverses raisons économiques, sociales, politiques. Certains parleront du concept de racisme systémique où tu auras moins de chance que les personnes blanches. De mon coté je me considère comme un privilégié. Mon père a quitté Saint-Denis pour que nous grandissions avec ma sœur à Saint-Cloud. J’ai passé ma scolarité dans le privé. J’ai très rarement eu à subir des cas de racisme dans mon enfance ou adolescence et j’ai toujours perçu ma couleur de peau comme une force et non comme une faiblesse qui me fermerait des portes. J’ai gardé cette vision un peu France 98 et je pense que la diversité reste essentielle dans un monde mondialisé. La prise de conscience qu’il y avait un bug dans la matrice fut pendant mes études avec des contrôles de police systématiques à la Défense. Quand j’ai commencé à écrire pour Le Bondy Blog, j’ai découvert la réalité de jeunes qui avaient mon âge et qui vivaient dans le 93. Pour revenir à ta question je crois qu’être édité reste une opportunité qui n’est pas donnée à tout le monde. Le succès y est encore plus rare. Les auteurs qui dépassent les 10.000 exemplaires ne sont pas nombreux. Si tu demandes à une personne dans la rue de citer une autrice de science-fiction, il ne citera malheureusement personne. Heureusement, les lignes sont progressivement en train de bouger.


Est ce qu’il y a une place dans l’imaginaire pour les auteurs français ?

Évidemment ! On a chez nous d’excellents auteurs, je reste très confiant. Après, il faut muscler notre jeu. La surproduction n’aide pas l’imaginaire. Je vois passer beaucoup trop de textes moyens et sans originalité. On ne le dit pas assez mais notre niveau reste encore très préoccupant. Nous sommes plus faibles que les Anglo-Saxons mais on a le potentiel de produire d’excellents livres. Après avoir dit ça il faut réfléchir à des solutions. On doit traduire les auteurs, faire en sorte qu’ils gagnent mieux leur vie et surtout se concentrer sur la qualité et non la quantité. Certains éditeurs devraient faire un véritable travail éditorial et pousser le niveau des auteurs.


Peux-tu nous parler de tes origines ?

Je peux te dire que je suis carteron. Mon père est métis et ne connaît pas ses origines. Il est né sous X et a été adopté par une famille blanche quelques mois après sa naissance. Il ressemble à Morpheus dans Matrix. Je me suis toujours identifié aux Africains de l’Ouest ou aux Afro-Américains. En grandissant, on m’a donné toutes les origines possibles et inimaginables. Ma mère était nantaise avec du sang grec. Une partie de sa famille a vécu pendant 300 ans sur l’île de Tinos.

Fausto d’ATOM et Yukito Kishiro
(Ne dites pas du mal du pull, c'est sa grand mère soeur qui l'a tricoté)


Question qui fâche : cela va faire un mois et demi que tu as lancé C’est plus que de la SF, mais toujours pas de sujet sur Robert Charles Wilson ? Idem, je n’ai pas vu de recension de ses romans sur Le Point. As-tu déjà lu du Robert Charles Wilson ?

J’ai lu Spin à sa sortie mais depuis plus rien ! Promis, on fera un podcast sur le livre et pourquoi pas avoir l’auteur dans le podcast.


D'après ce que j’ai lu à droite et à gauche, un de tes auteurs fétiches est Pierre Bordage. Qu'est ce qui te plaît dans son écriture, son style ?

A jamais le premier ! Pierre c’est un conteur extraordinaire. Beaucoup d’auteurs devraient lire tout Pierre Bordage avant d’envoyer des manuscrits. Même les livres mineurs de Pierre sont meilleurs que la majorité de la production actuelle. Les Guerriers du Silence, Wang, Les Chroniques des Ombres, Abzalon, L’Enjomineur, Les Derniers des Hommes sont des grands livres. Chez Bordage on retrouve des histoires profondes, de l’humanité, des fabuleuses séquences épiques, de la poésie, ainsi que de sacrées scènes de fesses. C’est avec lui que j’ai découvert la science-fiction à l’âge de 15 ans.


Pour quand son interview dans C’est plus que de la SF ?

Bientôt j’espère ! J’aimerai faire plusieurs émissions sur ses romans.


Son dernier roman à paraître chez L'Atalante prend pour cadre l'univers de Métro 2033 de Dmitry Glukhovsky. As-tu lu la trilogie initiale ? Et sa transposition française ?

J’ai lu Metro 2033 que je trouve excellent ! Sa transposition française est très bonne. Pierre est en forme, cela fait plaisir.

Un repas à l'eau !


Dans tes diverses réponses sur Quoi de neuf sur ma pile, pas de hard SF. La poésie scientifique te passe au-dessus de la tête ?

Grâce au Bélial, j’ai découvert Greg Egan que je trouve incroyable. Sinon, je suis encore limité en poésie et dans le domaine scientifique. Heureusement j’écoute la Méthode Scientifique de Nicolas Martin pour me soigner.


Dans la même interview, tu parles d’un projet de Mook sur une grande oeuvre. Première chose, C’est quoi un Mook ? Deuxième chose, plus d’infos à nous donner ?

Un mook est une magasine Book. América ou La Revue 21 sont des Mooks. Ils s’agit de magasine premium avec une qualité de beaux livres. Ce que je peux vous dire c’est que C’est Plus que de la SF sortira son premier mook en octobre prochain. On dévoilera le sujet de notre premier numéro entre fin mai et début juin. Plus d’une quarantaine de personnes participeront à cette aventure.


A l’âge de 15 ans, on t’aurait dit qu’une fois trentenaire, tu serais pigiste pour la rubrique culturelle dans un grand hebdo, à la tête d’une entreprise et d’un podcast autour de la pop culture, quelle aurait été ta réaction ?
a. Le rêve, être payé pour faire ce que mes parents m’empêchaient de faire !
b. Autant en finir de suite…
c. ?


Je pense que j’aurai halluciné. Complexé par ma dyslexie et ma dysorthographie, je ne voulais surtout pas faire de métier qui me force à écrire. Je vis finalement de ma plume ce qui me paraît totalement dingue. J’ai eu de la chance d’avoir toujours été entrainé par des gens bienveillants qui m’ont poussé à dépasser mes limites dans le travail. Radio France et Le Point Pop m’ont obligé à me donner au maximum pour exister dans ma passion.


Après tant de questions très intelligentes et subtiles, essayons de relever un peu le niveau : je te laisse parler de ce que tu veux…

Peu le savent mais je pratique un bouddhisme japonais ! Cela fait une quinzaine d’année que j’apprends à faire ma révolution humaine (un concept bouddhique qui consister se transformer de l’intérieur), cette philosophie n’est pas étrangère à mon optimisme sur les gens et sur la vie.






Pour aller plus loin :


Son compte Twitter :

(mon avis sur les premières émissions)

Ses articles sur Le Point

Pour en connaitre plus sur son parcours, ses oeuvres de prédilection et pleins d'autres informations,
son interview sur Quoi de neuf sur ma pile : L'intervieweur interviewé - Lloyd Chéry nous ouvre sa culture, du 01 mai 2019




Quand la science-fiction devient réalité, avec Lloyd Chéry



Réponses aux indices donnés sur les réseaux

Vendredi : Lloyd Chéry travaille au Point


Samedi : Deux indices ici. Réception chez l'ambassadeur en référence à la pub Mon Chéri.
Et la légende indique Carteron, un métisse de métisse


Dimanche : Takeshi Kitano, en référence au second prénom de Lloyd, à une lettre près.

Lundi : Le lundi au soleil, car le podcast C'est plus que de la SF livre un épisode chaque lundi !






C'est plus que de la SF, c'est "C'est plus que de la SF"

avril 07, 2020

Podcasts réalisés par Lloyd Chéry, produits par ActuSF, 15-25mn par épisodes



Lors des dernières Utopiales, deux événements ont marqué les participants : la foule et Lloyd Chéry. Ce journaliste au Point Pop a fait une performance qui figurera dans le Guiness books des records : quoique vous fassiez, où que vous alliez, il y avait toujours cet hurluberlu qui vous tendait un exemplaire du Point Pop spécial Utos ou qui avait refait la déco du Palais des Congrès de Nantes. La twittosphère a salué l'exploit et c'est là que j'ai fait sa connaissance.
Depuis un mois, il a décidé de propager la bonne parole SF via un podcast hebdomadaire produit par ActuSF.
Alain Damasio, Gunnm, Stephen King, Catherine Dufour et Néon Génésis Evangélion ont ouvert le bal.
Alors, on danse ?


Présentation du podcast :

« C’est plus que de la SF » est une interview hebdomadaire autour de la science-fiction avec des auteurs, des scénaristes, des scientifiques, ou des universitaires. L'actualité ainsi que les œuvres cultes en BD, cinéma, mangas, romans, séries TV, JDR et jeux vidéo sont analysés. Animé par le journaliste du Point Lloyd Chéry, ce podcast de 15 à 25 minutes devrait réjouir les amoureux de Blade Runner, Dune et Star Wars. Une production ActuSF

Mon ressenti :

En matière de podcast SF, il n'y a pas grand chose à se mettre sous la dent. Quelques émissions à droite et à gauche mais rien de régulier, à part, bien entendu, les vendredis SF de La méthode scientifique tous les 15 jours et La salle 101. Alors lorsqu'une nouveauté arrive, on écoute. Même si les premiers sujets n'étaient pas au coeur de ce que j'apprécie, j'attends aussi d'un podcast qu'il me surprenne, me fasse découvrir de nouveaux horizons. Et le quatrième s'attarde tout de même sur une grande dame de la SF francophone.

Et a l'écoute, je suis plutôt content du résultat. Que ce soit le manga Gunm (avec tout de même le mangaka Yukito Kishiro himself !) que je connaissais un peu de ma jeunesse, il m'a donné envie de voir le film qui est sorti assez récemment. De même que l'interview de Emilie Fleutot à propos de Stephen King et de son fléau m'a donné envie de le lire. L'interviewée connait son sujet et le partage très bien.
Damasio fait son Damasio, mais on serait déçu du contraire si il ne le faisait pas, c'est un peu notre Fabrice Luchini SF ! De grandes envolées, un "moi je" omniprésent, mais on se dit qu'il ne dit pas que des conneries et même qu'il a parfois raison. En outre, Lloyd Chéry pose la question que tout amateur du genre avait envie d'entendre : pourquoi son dernier roman a t-il été aussi mal reçu par le microcosme ?
Catherine Dufour est connue des lecteurs du genre, elle intervient régulièrement aussi dans La méthode scientifique, et j'adore sa gouaille et son franc parler. Si vous ne la connaissez pas, je vous invite fortement à écouter le podcast.

Il est grand temps de mobiliser maintenant nos imaginaires sur comment on va sortir de la panade, plutôt que de prévenir de la panade.


Le point négatif est la durée : difficile en 20-25 minutes de présenter un univers et de l'approfondir. Reste donc parfois des passages obligés, des questions attendues et cependant nécessaire pour le néophyte. Je ne suis guère manga et anime, mais l'émission sur Néon Génésis Evangélion m'a permis de découvrir cet oeuvre. Et les passages obligés ont été très instructif. Tout est question de point de vue donc.
Reste un goût de "trop peu" selon vos connaissances. Mais si on veux du rab', c'est que le plat est bon.
Je ne sais pas vous, mais moi, je continue à attendre les prochains numéros.


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