La Terre demeure


George Rippey Stewart, 1949, Fage éditions, 368 p., 22€ papier



Le Malevil américain, en moins flamboyant

Présentation de l'éditeur :


Une pandémie, d’origine inconnue, décime la majeure partie de la population nord-américaine (et sans doute celle de toute la planète). Ish a survécu, ainsi qu’une poignée d’autres femmes et hommes, au mal mystérieux, alors qu’il se trouvait seul dans les montagnes. Le roman relate sa découverte d’une Amérique où les animaux sont redevenus sauvages et les survivants se terrent ou errent sans but, le regard plein des horreurs qu’ils ont connues. Des parties lyriques constituant des espèces de didascalies, entrecoupent la description des aventures d’Ish : elles évoquent, dans une langue imitant le style biblique mais gorgée d’informations précises, le sort des êtres et des choses qui composent un monde. Que deviendront les voitures ? L’électricité ? Les glorieux ponts que le génie des hommes a bâti au-dessus des gouffres ? Les conduites des égouts ? Les chats, les chiens, les chevaux, les vaches… ? Ish parviendra à fonder une famille, quelques survivants s’agrégeront et formeront une petite communauté, mais cette « Tribu », confrontée à l’après, sera partagée entre la détresse, l’apathie et l’espoir, entre l’exploitation de l’héritage laissé par la civilisation effondrée (ses ressources, règles, croyances etc.) et la nécessité de tout réinventer pour redonner goût et sens à la vie.


Mon ressenti :

Publié pour la première fois en France en 1951 sous le titre Le Pont sur l'abîme, puis dans les années 1980 dans la collection Ailleurs et demain, les éditions Fage ont sorti de l'oubli ce texte l'année dernière.
Le titre évoque un passage de l’ecclésiaste : 


Une génération s'en va et une génération vient, mais la terre demeure toujours

Et si vous vous réveillez un matin seul ? Que feriez vous ?
Ish, lui, est un savant, "l’homme qui, un peu à l’écart, observait les événements et ne se perdait jamais en faisant lui-même des expériences." Il est le dernier de son espèce, et il va tenter de ressusciter l'humanité.
Dans les autres livres du même genre, la société revit somme tout assez facilement, malgré quelques événements pour dramatiser l'ensemble. Ici les gens se laissent aller à la facilité, ne prennent pas leur destin en main. On voit que tout cela n'est guère simple, d'autant avec des citadins habitués aux facilités de la vie moderne.
Les causes de la pandémie restent obscures, et le peu d'hypothèses données n'est clairement pas très scientifiques, mais reflètent bien les peurs d'une époque, entre la guerre froide, le développement des voyages internationaux. Mais là n'est pas le propos.

Le roman se découpe en différentes parties, plus ou moins séparées dans le temps, sur quelques générations. La première, celle de l'après catastrophe, est assez lente, reflétant l'état d'esprit du narrateur, entre isolement, tentative de découverte et envie de faire renaitre la civilisation.

Le livre fait son âge, et malgré la tentative de l'auteur de prôner le progrès dans les moeurs et normes sociales, difficile de dépasser les conventions de son époque, surtout lors d'une lecture 70 ans plus tard. Au final, les idiotes, les moins intellectuels restent les femmes, le savoir, comme chacun le sait étant la panacée du mâle ! Pas très heureux, mais à lire avec les yeux de l'époque pour comprendre que ce livre est en avance sur son temps, notamment sur le racisme.

Seule une intelligence exceptionnelle était assez forte pour imposer au monde sa volonté.

Non, ce qui m'a le plus dérangé, c'est la légère condescendance, cette supériorité du narrateur, le savant, envers les autres métiers plus manuels. Lui seul sait qu'il ne faut pas vivre insouciant en pillant les ressources du passé, mais recréé une sorte de société nouvelle.

Toi et moi, Joey, disait-il, nous sommes de la même race, nous pouvons comprendre ! Ezra, George et tous les autres, ce sont de braves gens. Ils appartiennent à l’humanité moyenne et le monde a besoin de beaucoup d’hommes comme eux, mais il leur manque l’étincelle. C’est à nous à fournir l’étincelle !


Par contre, j'ai beaucoup aimé l'approche de l'auteur, pas d"effets pyrotechniques, nous sommes plus dans l'introspection. En outre, il aborde un point souvent laissé de côté dans les oeuvres similaires que j'ai lus : comment affronter le traumatisme et continuer à avancer. La question du recommencement ou du commencement est au coeur du récit.
Un roman très nuancé, l'auteur aimant souffler le chaud et le froid. Il nous laisse croire à des préjugés et prend leur exact opposé quelques chapitres plus loin
Cependant, le personnage principal est assez agaçant dans son rôle de savant qui sait mieux que les autres, mais n'est ce pas ce que l'auteur voulait ? Le rythme a rendu aussi ma lecture pénible.
Des défauts certes, mais un texte riche, beaucoup plus profond qu'il ne laisse entrevoir. A découvrir .


Lu dans sa version Ailleurs et demain, le roman est préfacé par un John Brunner très enthousiaste.Un petit essai clôture le tout : Après les cendres, quel phénix ? Un aspect des recommencements post-catastrophiques par Rémi Maure, à lire pour les fans de post apo, car il comporte de nombreuses références sur ce genre, certes ancienne, mais c'est qui en fait tout l'attrait.



Sans conteste l’un des tout meilleurs romans post-apocalyptiques (SFemoi), un beau roman qui aborde intelligemment des questions essentielles (Quoi de neuf sur ma pile)
Et surtout, un texte qui rappelle "on n’a jamais trop de conserves dans ses placards..." (TmbM)

 

 


 

Quelques citations :


Le rideau s’était baissé sur l’homme, soit ; devant ses yeux de savant se déroulait le premier acte d’un drame inouï. Depuis des milliers d’années, l’homme était le maître du monde. Et voilà qu’il disparaissait pour longtemps, sinon pour toujours. Même si la race humaine n’était pas complètement éteinte, les survivants mettraient des siècles à retrouver leur suprématie. Que deviendraient le monde et ses créatures sans l’homme ? Eh bien, lui, Ish, allait le savoir.
Un chat gisait sur le comptoir ; Ish le crut mort, mais, sous ses yeux, il revint à la vie, et le jeune homme se rendit compte que l’animal avait simplement emprunté une attitude chère à ceux de sa race. Le chat le toisa avec la froide insolence d’une duchesse qui dévisage sa chambrière. Gêné par ce regard, Ish se rappela que c’était là les façons de la gent chatte. L’animal paraissait heureux et bien nourri.

Un homme qui se croit chargé d’une mission divine n’est pas loin de se prendre pour Dieu lui-même et sombre alors dans la folie.

Malgré l’horreur de la situation, il gardait la curiosité détachée d’un spectateur qui assiste au dernier acte d’une tragédie. Et c’était, il s’en rendait compte, l’essence même de sa personnalité. Il restait ce qu’il était, ou avait été – le temps du verbe importait peu – un intellectuel, un savant en herbe, porté à analyser les événements plutôt qu’à y participer. 

« Les malheurs attendus n’arrivent jamais ; c’est du côté où l’on ne regarde pas que tombe la tuile. » L’humanité tremblait d’effroi à l’idée d’une destruction totale par la guerre, elle vivait dans un cauchemar d’explosions, de villes qui sautaient avec leurs habitants, d’hécatombes d’animaux, tandis que toute végétation disparaissait de la surface du globe. Mais en réalité, semblait-il, c’était l’humanité seule qui avait été supprimée catégoriquement, sans trop de remous.

Les fables nous ont induits en erreur. Ce n’était pas le lion, mais l’homme, qui était le roi des animaux. Et son règne a été souvent cruel et tyrannique.

Ish, dans son enfance, avait fréquenté le catéchisme, mais, lorsque Maurine lui demanda quelle était sa religion, il répondit qu’il était sceptique. Maurine, qui ne connaissait pas ce mot, le comprit de travers et en conclut qu’Ish était membre de l’Eglise sceptique.

16 commentaires:

  1. Un roman assez incontournable pour les amateurs de post-apo, pertinent dans les questions qu’il soulève sur les fondements de la société et diablement captivant. J’ai adoré et j’y repense régulièrement mais, pour autant, je n’ai pas plus de conserves dans mes placards...

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    1. J'espère que tu passeras chez ton épicier aujourd'hui !
      Je l'ai trouvé un peu moins captivant que toi, à cause du rythme et du narrateur, mais cela reste une bonne découverte.

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  2. Mouais. L'avantage de ne pas vraiment apprécier les "post-apo", c'est que ça fait un bon gros tas d'anciens livres qui ne me donnent pas envie - et que je ne lirai très certainement jamais sans aucun regret. Alors si en plus ils sont imparfaits...

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    1. Désormais, je ne chroniquerais plus de post apo, il ne faudrait pas faire fuir la clientèle.

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  3. Post apo : oui
    Date de publication : non
    Ton billet : non

    Oui, je sais j'ai des critères de merde... :-D

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  4. Oh du post-apo vintage !
    Bon je le mets direct dans mes livres à lire ;)

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  5. L'un des mes post-apo préférés avec "Malevil" de Robert Merle et "Le jour des fous d'Edmund Cooper.

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    1. Je ne connais pas Le jour des fous, mais après lecture de ton avis, l'oubli va bientôt être réparé.
      Pour ceux que cela intéresse : http://sfemoi.canalblog.com/archives/2016/10/20/34464636.html

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    2. Pour "Le jour des fous", je confirme. C'est peut-être un peu daté mais c'est une valeur sûre.

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    3. Deuxième avis positif pour les fous, l'oubli va TRES bientôt être réparé

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  6. Et, bien écoute, je vais me le noter. Je n'y serais pas partie à première vue, mais l'aspect post traumatique, et le recommencement c'est une touche que j'aime bien explorer.

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    1. C'est clairement dans un autre style que la plupart des post apo,

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  7. Et bah c'est à la mode de remettre au goût du jour des vieux récits post-apo. Mais à lire ton avis je crois que je préfère Dans la forêt ;p

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