Poisson Poison

Ned Beauman, Albin Michel Imaginaire, 2025, 384 p., 12€ epub sans DRM



Pourquoi se contenter de détruire le climat quand on peut anéantir des espèces entières ?

Pitch de l'éditeur :

Treize centimètres de long. Des yeux globuleux. Une lèvre plus épaisse que l’autre… Le lompe venimeux est loin d’être le poisson le plus sexy de la planète. Autrement dit, la bestiole est moche à crever. Et pour arranger le tout, sa morsure est extrêmement douloureuse.
L’anéantissement probable de cette espèce lors d’un accident minier quelque part en mer Baltique n’est donc pas un drame pour l’Humanité. Deux personnes, pourtant, ne l’entendent pas de cette oreille, pour des raisons diamétralement opposées. Karin Resaint, convaincue que le lompe venimeux pourrait jouer un rôle capital dans ses recherches sur l’intelligence animale. Mark Halyard, cadre sup’ de la compagnie minière, risquerait quant à lui très gros si le poisson avait vraiment disparu.
Contraints de faire équipe, Karin et Mark vont traverser les paysages étranges d’une Europe du Nord qui va droit dans le mur, sur les traces de l’insaisissable poisson.


Mon ressenti :

L’intelligence, c’est comme la beauté : ça se cache à l’intérieur. Une philosophie qui résume parfaitement le lompe venimeux, ce poisson aussi séduisant qu’un pneu usé et, probablement, très intelligent… Malheureusement pour lui, dans notre monde, mieux vaut être beau – et con – à l’extérieur. Résultat : les derniers spécimens finissent sous les chenilles d’un forage minier. Game over ? Pas si vite. Une pseudo écolo idéaliste et un financier cynique décident de partir à sa recherche, parce que sauver une espèce en voie d’extinction, c’est tendance. Ou lucratif ?

Bienvenue dans ce monde merveilleux où l’extinction des espèces n’est plus une catastrophe mais un sport olympique, et où les crédits carbone ont été remplacés par crédits d’extinction. Parce que, franchement, pourquoi se contenter de détruire le climat quand on peut anéantir des espèces entières ?

Ned Beauman, prophète du chaos écologique, nous livre un roman aussi rafraîchissant qu’une marée noire par 40°C à l’ombre. On rit, on pleure (de désespoir pour l'humanité), on apprend peut-être même quelque chose : comme la meilleure façon de faire disparaître une espèce sans laisser de traces. Karin et Mark, nos deux anti-héros aussi attachants qu'une algue toxique, arriveront-ils dans leur quête pour sauver le dernier lompe venimeux ? Spoiler alert : il a autant de chances de survie qu'un ours polaire sur une banquise en fonte.

Ce qui rend Poisson poison savoureux, c’est son humour noir et son cynisme assumé. Beauman décortique nos hypocrisies. Le capitalisme vert ? Une blague. La protection de la biodiversité ? Un business comme un autre. Et l’humanité ? Un naufrage. Mais ne nous méprenons pas : sous ses airs de comédie grinçante, le roman est une réflexion sur notre incapacité à changer les choses avant qu’il ne soit trop tard. Les inventions futuristes comme les embrunisateurs pour refroidir la planète ou les combinaisons qui nous transforment en sirènes ne sont que des pansements sur une plaie béante.

Bonus : ce livre nous apprend à transformer notre angoisse écologique en pur cynisme. Parce qu’au fond, pourquoi s’inquiéter du sort de la planète quand on peut spéculer sur la disparition d'espèces menacées ?

En conclusion, Poisson poison est un cocktail de désespoir et d’ironie mordante, bien qu'il tienne pas trop la longueur. À lire avant que votre librairie ne devienne un Starbucks flottant.

Note : 4 lompes venimeux sur 5. Un point en moins pour ne pas avoir inclus de recettes de cuisine à base d'espèces disparues.

 


 

On se rendait parfois compte que ces insectes emporteraient peut-être dans la tombe des trésors insoupçonnés. Si la guêpe brésilienne Polybia paulista avait disparu avant qu’on l’étudie, comment aurions-nous pu isoler dans son venin la substance qui dissolvait les tumeurs ? Ou si le cafard équatorien Lucihormetica luckae avait connu le même sort, comment aurions-nous pu améliorer l’efficacité de nos LED en copiant les microstructures asymétriques dans ses points luminescents dorsaux ? Mais en général, on voyait bien que ces arguments étaient avancés sans grande conviction. Les passionnés de biodiversité essayaient de s’adresser aux capitalistes dans la langue du capitalisme, mais savaient aussi bien qu’eux que leur démonstration manquait tout simplement de solidité. Seule une infime minorité d’espèces avait quelque chose d’unique à offrir clés en main. Après tout, si la forêt tropicale était vraiment l’« armoire à pharmacie de la nature », si elle regorgeait de nouvelles pénicillines et de morphines améliorées, les grandes compagnies pharmaceutiques achèteraient le Brésil 1 000 euros l’acre. Sauf qu’aucune d’elles ne s’était jamais donné cette peine. Donc, soit elles n’aimaient pas gagner de l’argent, soit elles comprenaient qu’en réalité, la nature ne payait pas. Les découvertes les plus excitantes étaient désormais le fait d’algorithmes qui travaillaient des millions de fois plus vite que l’évolution. Il n’était plus nécessaire d’enfreindre les droits de propriété intellectuelle de Dame Nature.

 

 

La diversité de la vie sur terre était (pour ce qu’on en savait) ce qu’il existait de plus majestueux dans l’univers, et les humains étaient (pour ce qu’on en savait) les seuls êtres vivants capables d’apprécier cette majesté, ce qui ne les empêchait pas pour autant de la fouler aux pieds jusqu’à provoquer sa disparition, non pas délibérément, mais par insouciance, par la bande, sans rien laisser derrière eux sinon quelques scans et échantillons que personne ne regarderait jamais.

1 commentaire:

  1. "bien qu'il tienne pas trop la longueur" : un peu lassant/répétitif ?
    Ça a quand même l'air étonnamment "fun" malgré le thème.

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