La grande panne


Théo Varlet, Epagine, 2013 (1ère publication 1930), 247 p., gratuit, epub sans DRM


Et le premier Homme  à aller dans l'espace est ...
Une femme !
(...qui ouvre la boite de Pandore !)

Présentation de l'éditeur :


La Grande Panne, paru en 1930 aux éditions des Portiques, raconte l’épopée d’une jeune femme intrépide, Aurore Lescure qui a tenté d’atteindre la Lune dans une fusée construite par son père, un savant américain. Cependant, elle rapporte dans ses bagages un organisme qui se nourrit d’électricité ! Derrière un récit d’aventures très bien mené, Varlet explore à sa manière des questions de société, l’avenir de l’humanité et les conséquences des progrès scientifiques.


Mon ressenti :

Une femme forte, qui est plus forte que ses sentiments,
Un artiste peintre fou amoureux et désespéré de ne pas être aimé,
Voilà un début qui tranche avec la vision des genres de l'époque. Malheureusement, cela n'ira pas plus loin contre les stéréotypes, mais ce n'est pas si mal pour l'époque.

Nous sommes dans un classique du roman catastrophe : après avoir recueilli dans l'espace des roches, il s'avère que des germes de vivant y étaient présents et vont occasionner une Grande Panne. Le roman vaut surtout par son traitement très réaliste et assez moderne. Même si la science de l'époque peut, parfois, prêter à rire pour un lecteur d'aujourd'hui, l'auteur n'hésite pas à argumenter ses théories et les conséquences qui en découlent. On a là, à mon avis, un des précurseurs de la Hard SF, mais cela reste très digeste.

Un roman qui s'interroge sur le progrès et de sa possible utilisation à des fins peu recommandables, alors qu'aux Etats Unis, bon nombre de pulps à la même époque se font les chantres de l'énergie atomique, Théo Varlet en mesure les dangers à sa juste valeur:

Et il m’exposait ses doutes. J’avais beau lui rappeler le principe qu’il m’avait inculqué : « Trouver, seul, importe ; le savant n’a pas à s’inquiéter des applications qu’on fera de sa science ». Il hochait la tête sans répondre. Un article que je lui lus, dans L’Orléans Républicain, l’affecta profondément. C’était signé d’un certain lieutenant-colonel Verdier, qui prônait l’utilisation guerrière de l’énergie intra-atomique pour construire des engins destructeurs capables d’anéantir des armées entières, 100 000 hommes en dix secondes. « Il n’y a pas de doute, voilà à quoi servira ma découverte ! » dit mon père tristement.


Ses analyses sont assez justes pour un texte de près d'un siècle, que ce soit dans la gestion de la catastrophe par le politique et les médias. Ou comme dans les préparatifs de la conquête spatiale :

Lendor-J. Cheyne, lui aussi, est persuadé que le génie de mon père vaincra les derniers obstacles qui nous séparent encore du succès définitif ; que, d’ici deux, trois, quatre ans au plus, quelqu’un, moi ou un autre pilote, débarquera sur le sol lunaire et en rapportera des échantillons de l’or dont le spectroscope y a révélé l’indiscutable présence. Ce n’est qu’une question d’argent, déclare-t-il ; et les faits jusqu’ici lui ont donné raison. C’est à coups de dollars, en prodiguant les expériences et les essais coûteux, que nous avons déjà réalisé l’envol d’hier jusqu’au vingtième du trajet : 18 000 kilomètres sur 380 000. Secondées par des ressources financières suffisantes, la science et la volonté peuvent tout. Mais la foi du public qui fournit ces ressources a besoin d’amorces plus grossières qu’une certitude rationnelle. Pour obtenir de lui ce crédit indispensable, il faut nourrir sa foi par des illusions, des anticipations. On a le droit de le tromper, dans son propre intérêt. Voilà la thèse de Lendor-J. Cheyne, la justification qu’il m’a donnée de son projet, lorsqu’il m’en a fait part.


Le roman a surtout résonné pour moi sur le parallèle avec notre crise covidienne et son traitement. Et c'est là qu'on réalise la justesse du propos.

C’était très joli, d’arrêter la machinerie civilisée, pour enrayer le développement du Lichen ; mais comment allait-on détruire tous les foyers de contamination ? L’eau de javel paraissait bien peu efficace, à en juger par le métro, où elle n’avait pu empêcher le développement foudroyant du Lichen. Même si les autres procédés valaient mieux, il faudrait des semaines et des mois pour assainir Paris tout entier.


Le décret, appelé par les vœux de tous, fut accueilli dans Paris comme un mal nécessaire. On se résignait à une obéissance inévitable… ainsi qu’il arrive dans les nombreux cas où la docilité aux lois résulte beaucoup moins de leur respect réel et d’un consentement volontaire que la simple inertie, qui serre d’un cran sans mot dire à chaque nouveau règlement, fût-il absurde et incompréhensible, la boucle des contraintes sociales ceinturant tout citoyen d’un État civilisé.

Ce fut là aussi, dans une guinguette défeuillée, où je me reposai une heure à boire un verre de vin blanc en regardant couler la Seine, que j’entendis parler des « trafics » coupables des policiers improvisés. Par la route plus encore qu’aux gares, relativement mieux surveillées, quantité de voyageurs partaient de Paris, à la nuit tombée, voire même dans leur voiture maquillée pour simuler un blindage étanche, et pénétraient dans la zone saine, en esquivant la désinfection obligatoire.

Il y a même une carte des zones contaminées :

« La situation actuelle. En France. » Carte avec, teintées en grisaille, les régions contaminées… Tiens ! ça n’a pas beaucoup changé. Le décret a donc servi à quelque chose ?… Paris et la Seine, avec un bout de Seine-et-Oise, font toujours, posée de biais, une espèce de demi-lune. La tache grise de la région sud-est a gagné Sète et Carcassonne. Au sud-ouest, Bordeaux et Bayonne, comme précédemment. C’est au nord que cela s’est le plus étendu : la zone figure maintenant un triangle irrégulier, de Dunkerque au Havre et du Havre à Amiens…

Le rapprochement est même très juste, jusque dans les olibrius , car il y est même question d'un savant marseillais qui aurait découvert un produit miracle !

une pommade, personne n’en aurait voulu. Alors je l’ai remplacée par un savon à base de plomb, avec lequel il suffit de se lotionner matin et soir pour obtenir l’insensibilisation. À Marseille, mon produit lancé par une grande parfumerie, allait faire le bonheur de la population.

Petite note, dans son avant propos, l'auteur, pour parler de cette SF avant l'heure, emploie le terme de littérature d’imagination scientifique.

Le texte est préfacé de belle manière par Xavier Dollo/Thomas Geha.

C'est gratuit et c'est disponible sur le site de Epagine.


TmbM est un peu plus mesuré.

20 commentaires:

  1. Plus mesuré, en effet. D'après moi, le livre montre rapidement ses limites et ne parvient jamais à s'en affranchir.

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  2. Ce qui est curieux,c'est cette similitude avec la pandémie qu'on a vécue. "Ce savant marseillais" était peut-être déjà le précurseur
    du Professeur Raoult. lol.
    Ça devrait me plaire.

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    1. Si les vieilleries ne te font pas peur, tu devrais apprécier.

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    2. Disons que ce n'est pas ma priorité de lecture mais je le lirai car il fait étrangement écho à l'épidémie récente et aussi par curiosité.

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    3. Alors j'attends ton retour lorsque tu l'auras lu.

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    4. Mon retour(sans trop de risques��)
      C'est pas le bouquin du siècle mais ça se laisse lire. Rafraichissant,poétique,un peu désuet par moment mais à replacer dans l'époque. Cette histoire entre cette naufragée de l'espace et cet amoureux transi peut faire sourire mais ce dernier est attachant.
      J'ai appris que l'auteur avait traduit l'île au trésor..Globalement je ne regrette pas ma lecture,mais je n'ai aucune légitimité en la matière.

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    5. Nous avons donc un ressenti assez proche.
      pour la légitimité, je me demande bien qui en a une, chacun reçoit le livre à sa manière, et c'est très bien ainsi.

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    6. Cool.je pense que je vais lire la suite Aurore Lescure ,à l'occasion.

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    7. J'attendrai ton retour pour voir qi je m'y lance aussi

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    8. Grace au site Aldus, j'ai trouvé des ressources numériques gratuites et légales autour de l'auteur : http://noslivres.net/
      Tu tapes Varlet et il y 7 romans de lui.
      Le lien vers le billet d'Aldus : https://aldus2006.typepad.fr/mon_weblog/2020/06/mes-pratiques-de-livres-num%C3%A9riques-noslivres.html

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    9. Ah merci pour le tuyau.j'en ai trouvé quelques-uns dans la réserve d'une biblio régionale qui doit les garder précieusement.
      Sinon pour Aurore Lescure j'ai autant aimé que La grande Panne.On retrouve le même charme désuet dans l'écriture,Aurore à épousé son Gaston et est engagée par une milliardaire pour aller sur une planète Eros et préserver l'humanité hors de la terre..Lecture agréable dans un contexte précédant la 2 eme guerre.Beaucoup d'interrogations sur la société à venir,Varlet apparaît comme un visionnaire.Merci encore pour le lien.

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    10. C'est donc télécharg". Merci de ton retour.

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  3. Je vois que TmbM a trouvé ça trop mièvre, et tu as globalement apprécié, c'est vraiment une période de crise. ^^
    Improbable résonnance en tout cas, les extraits sont sympas. Ça n'est pas trop mou niveau intrigue ?

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    1. Disons que cela reflète aussi l'époque.
      Au niveau intrigue, c'est pareil, c'est rocambolesque comme jadis ils pouvaient le faire.

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  4. En tout cas c'est intrigant tout ça. A voir pour moi !

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    1. Pas un indispensable, mais cela reste assez moderne pour l'époque.

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  5. Moi j'ai pris une grande claque en le lisant. Si on accepte de laisser de côté cette histoire d'amour,ce type était un petit génie en SF vu l'époque.Je pourrais même devenir accro à T Varlet et il y a longtemps que ça ne m'est pas arrivé, du moins en SF !.

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    1. Tout à fait d'accord, il a pas mal de choses qu'il a bien vu. Il faut que tu lises la suite de cette grande panne, elle est encore meilleure.

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