2024
Au Diable Vauvert
DRM free
Nicolas Martin
Roman
Fragile/s
Nicolas Martin, Au Diable Vauvert, 2024, 432 p., 13€ epub sans DRM
Parfois, une goutte de sueur te glace le dos en tombant entre tes omoplates. Le roman de Nicolas Martin est cette petite goutte. Il aurait pu n'être qu'un simple roman engagé, mais il ne perd jamais de vue ses personnages, à la manière d'un Robert Charles Wilson, nous montrant la grande Histoire à travers la petite.
Pour moi, c'est un grand roman, de ceux que l'on relit pour ne jamais oublier que nos vies sont décidément très fragiles.
Pour moi, c'est un grand roman, de ceux que l'on relit pour ne jamais oublier que nos vies sont décidément très fragiles.
Pitch de l'éditeur :
Dans une France où la fertilité s’effondre et la majorité des naissances sont touchées par le syndrome de I’X fragile, Typhaine, élue par le très sélectif Programme expérimental de génoembryologie grâce à la position de son mari, accouche d’un garçon sain. Mais l’étonnante progression cognitive de son fils est bien vite aussi inquiétante que le contrôle dont font l’objet les mères, alors que le pays bascule dans la dictature…
Mon ressenti :
Un petit garçon en bonne santé ! Pourtant, alors que l'échographie est positive, la mère est effondrée. En deux pages, j'étais captivé, cherchant à comprendre pourquoi cette mère était si atterrée. Quelques pages plus tard, le tableau s'éclaircit : une épidémie touche toutes les naissances, presque plus de garçons, pour la plupart infertiles, et des filles frappées par le syndrome de l'X fragile. Dans un État dirigé par des patriotes, les droits s'amenuisent. Tiphaine est juriste dans l'aide aux migrants, tandis que Gauthier gravit les échelons du parti qui propose un programme spécial "naissance"...
Soyons honnêtes, j'aime Nicolas Martin, et tu pourrais douter de mon objectivité à propos de son premier roman. De plus, il le publie aux éditions Au Diable Vauvert, maison d'édition où j'avais découvert la trilogie "Jéhovah" de James Morrow, mes premiers grands formats il y a bien longtemps. J'avais adoré leurs couvertures, leur mise en page. Retrouver un de leurs livres trente ans plus tard me rajeunit. Bref, tout concourait à me faire passer un très agréable moment de lecture, d'autant plus que j'avoue avoir eu la chance de lire une version bêta de ce roman il y a quelques mois, déjà très prometteuse. Et pour finir, je figure dans les remerciements, ce qui achève de compromettre mon objectivité.
Ce fut une photo de Romeo qui la trahit. Une photo du petit garçon, un peu floue, prise à distance, qu'Aissatou avait mise en fond d'écran de son hololink. Quand Typhaine la vit, un soir, sur le plan de travail de la cuisine, elle ne dit rien à Aïssatou. Elle savait que jamais la jeune Malienne n'aurait pris ce risque seule. Jamais elle n'aurait pu avoir accès aux horaires et aux déplacements de Roméo sans aide. Elle s'en ouvrit le soir même à Élisa, en tête à tête. Bien sûr, elle était inquiète. Inquiète pour Aïssatou, pour Roméo avant tout. Si ces visites secrètes étaient découvertes, la jeune femme perdrait tout lien, définitivement, avec son enfant. Inquiète également pour son amie, qui jouait là sa liberté, peut-être sur le très long terme. Mais également fière. Fière qu'Élisa ait le courage de faire ce à quoi elle-même avait renoncé : passer à l'acte, s'opposer à cet ordre social infect, résister à cette oppression à laquelle tous s'étaient conformés, dont elle. Ce techno-cocon autoritaire, individualiste, dans lequel plus personne ne bougeait de peur de perdre le confort acquis, où la solidarité n'était qu'un vieux souvenir, et où la vie avait cédé la place à la survie et à la peur de l'autre.
Soyons honnêtes, j'aime Nicolas Martin, et tu pourrais douter de mon objectivité à propos de son premier roman. De plus, il le publie aux éditions Au Diable Vauvert, maison d'édition où j'avais découvert la trilogie "Jéhovah" de James Morrow, mes premiers grands formats il y a bien longtemps. J'avais adoré leurs couvertures, leur mise en page. Retrouver un de leurs livres trente ans plus tard me rajeunit. Bref, tout concourait à me faire passer un très agréable moment de lecture, d'autant plus que j'avoue avoir eu la chance de lire une version bêta de ce roman il y a quelques mois, déjà très prometteuse. Et pour finir, je figure dans les remerciements, ce qui achève de compromettre mon objectivité.
Je parle de moments agréables, mais ce n'est pas le bon terme, car l'univers décrit est sombre, oppressant ; c'est une anticipation qui pourrait bien devenir réalité, au vu des résultats électoraux récents, avec une montée inquiétante de l'extrême droite. Ce roman interroge aussi nos convictions et la facilité avec laquelle elles peuvent être bafouées. Ce couple de petits bourgeois pourrait bien me ressembler. Ce n'est pas un roman agréable, mais il est très réaliste, très bien écrit.
Ne jamais oublier qui nous sommes, d'où nous venons, dans quel monde nous souhaitons vivre. Cette vision, il l'avait bradée pour son profit, pour son bénéfice, pour son avenir à lui. Et celui de son fils. Quitte à piétiner nos valeurs. Quitte à piétiner notre passé.
Quitte à me piétiner, moi.
On suit ce couple à deux moments de leur vie : la naissance de leur fils sain, et leur vie d'avant, avec la naissance de leur fille fragile douze ans auparavant. Deux périodes pour mesurer la fragilité de leur vie, de leurs convictions.
Un mélange de La Servante écarlate et du film Le Village des damnés, moderne, réaliste et addictif. Une fois commencé, il est impossible de le lâcher. L'auteur ne perd jamais de vue ses personnages, et c'est ainsi que la petite histoire rejoint la grande, comme dans les romans de Robert Charles Wilson, un autre de mes auteurs favoris, dont la référence est ici pleinement assumée, ce qui m'a arraché des cris de plaisir.
Cette génération qui a cru que face au coup de force institutionnel, il était encore possible de faire entendre la voix du peuple, que l'heure de la révolution était sur le point d'advenir. Cette génération dont il ne subsiste aujourd'hui plus aucun témoin, et dont les luttes se sont fracassées sur la répression brutale et meurtrière d'un pouvoir totalitaire à qui tous les gouvernements précédents avaient préparé le terrain. Nous sommes d'une autre génération, tardive, timorée, apeurée. Celle qui est née bien après la reconquête autoritaire, l'échine courbée. Celle pour qui il est devenu dangereux de contrevenir. Celle pour qui il est devenu honteux de penser. Celle pour qui l'abdication n'est pas un choix, mais une fatalité.
Nous étions pourtant convaincus que nous serions plus solides. Plus intelligents, plus évolués que le système.
Quelle blague.
Les relations mère-enfant y sont bouleversantes, avec une mère qui aime sa fille fragile et hait son fils parfait. Peu à peu, elle perd pied, devenant psychotique, sa vision se brouille : réalité ou hallucinations ? Un livre qui donne une place centrale aux femmes et à la maternité, à l'immigration et au handicap de manière très juste. Je ressors de cette lecture avec des sentiments ambivalents : un magnifique roman qui fait terriblement peur, surtout en ces temps troublés. Merci Nicolas.
Mais à cette époque, nous pensions que ça ne pouvait être que temporaire. Que statistiquement, mathématiquement, logiquement, le vent allait tourner. Qu'ils finiraient inévitablement par chuter. Que cette période était une erreur, une parenthèse malheureuse. Que le bon sens, l'humanisme, la coopération, la solidarité ne pouvaient que revenir, parce que toutes ces valeurs nous sont intrinsèques. Elles sont ce qui nous définit en tant qu'espèce. Je le savais, Gauthier le savait. Quelle que soit l'amertume de la pilule, nous serions plus forts que ce système oppressif.
Après tout, l'Histoire nous montre que les dictatures, les pouvoirs autoritaires finissent toujours par être renversés.
Et l'Histoire se répète, n'est-ce pas ?
L'Histoire se répétait peut-être.
Avant.
Jusqu'à l'effondrement.
Aujourd'hui, l'Histoire cesse de se répéter.
Elle s'achève.
De toute façon, est-ce que quelqu'un se souvient de la dernière fois où tu as été objectif ?
RépondreSupprimerÇa a l'air très bien. Ce n'est pas ce que j'aime ou ai envie de lire, mais ça a l'air très bien "dans son genre".
Le chien critique est un bon toutou dont les maitres sont Nicolas Martin et l'équipe scientifique de France Culture... mais il a aussi parfois bon goût ! ;-)
Supprimer@Baroona : C'est assez sombre, donc pas forcément pour toi.
Supprimer@Maki : Et Robert, il est où Robert ?
SupprimerUn sujet qui nous fait réfléchir. On comprend mieux le titre grâce à votre chronique.
RépondreSupprimerMerci.
Avec plaisir
SupprimerOK je vais voir pour le lire. Si je n'aime pas ce sera de ta faute :)
RépondreSupprimerBien entendu, ce ne peut pas être à cause de l'auteur !!!
SupprimerCa a l'air très bien en tout cas. A voir à la rentrée !
RépondreSupprimerY a pas de à voir qui tienne, on achète, on lit !
SupprimerHé oui,dans une époque de plus en plus réactionnaire, le livre de Nicolas Martin est le bienvenu. Il nous tend un miroir en nous interpellant sur ce qui peut arriver et qui semble être déjà visible dans le présent.
RépondreSupprimerUn roman qui peut se lire avec plusieurs lectures.Bravo à lui et lui souhaitons un succès hors frontières.
Je me permets une digression, il y encore des pays où la préférence pour l’individu mâle est privilégiée.Plus proche de nous,un fils perpétuait le nom. Tout celà finit par structurer uns société inégalitaire.
Je reconnais bien là ton parti pris en faveur de certains!!
RépondreSupprimerBon, plus sérieusement, ça a l'air très bien, mais je vais bien me garder de le lire!!