Southeast Jones : c’est l’histoire d’un belge...

 

Interview de Southeast Jones, 2019





Southeast Jones est un “petit” auteur de science-fiction, publié surtout dans de microstructures d’édition. Il a commis quelques dizaines de nouvelles parues dans divers recueils, anthologies et revues. Ma rencontre avec lui s'est faite sur une proposition à lire (un service de presse dans le jargon littéraire) son premier recueil Il sera une fois. C'est peu dire que le bonhomme m’a fait peur avec son look de Biker et un premier texte intitulé Barbares où il est question d’envahisseurs venant voler le pain des locaux ! (Représentations, quand tu nous tiens…). Et pourtant, ses nouvelles ont révélé un homme pétri d’humanisme, sans toutefois s’affranchir d’objectivité sur la bassesse humaine. Des textes simples sur des tranches de vie.
A l’occasion de la sortie de son second recueil Sept morts à vivre, l’envie d’en connaître plus sur lui s’est fait jour. Et comme ce belge n’est pas avare de largesse, il vous propose de gagner trois recueils, deux en version papier (un pour les français, l'autre pour les belges) et un en numérique. Mais pour cela, il va falloir lire cet entretien attentivement afin de pouvoir répondre au mieux et remporter le jackpot.


Le chien : Tu as derrière toi une carrière de boulanger-pâtissier, depuis quand les “manuels” savent écrire ? Tu ne peux pas laisser cela à ceux qui ont fait des études de lettres ?
Southeast Jones : Manuel, certes, mais ça n’empêche pas d’avoir de la culture, je suis naturellement curieux de tout. C’est vrai que je n’ai passé  « que » trois années en Athénée*, je rêvais de faire des études scientifiques, j’aurais voulu tant de choses, mais je suis tombé en pleine période de « maths modernes », auxquelles je n’ai jamais rien compris, alors que j’étais plutôt bon en maths conventionnelles. Les études que je voulais faire passaient obligatoirement par-là, j’ai fini par laisser tomber. Je ne le regrette pas vraiment, j’ai aimé être boulanger-pâtissier. Je lis depuis presque toujours, mais pour autant que je me souvienne, l’envie d’écrire a toujours été bien présente. Alors non, je n’ai pas fait « lettres », cela ne m'a pas empêché d’écrire, peut-être est-ce même mieux, je n’ai été conditionné que par mes goûts littéraires et mes seules limites étaient celles de mon imagination. 
* En Belgique, l’Athénée est le nom d’une des formes d’enseignements secondaires (six ans), permettant potentiellement l’accès à l’Université 

Chez ces gens là.
Le troisième à partir de la gauche.


Des différentes interviews que j’ai lues de toi, je remarque que tu t’es mis à l’écriture très tôt dans les années 60-70, puis plus rien jusque les années 2000. Tu étais dans le pétrin ?
Ah mais je n’ai jamais cessé d’écrire ! Je prenais sur mon temps de sommeil pour ça, je lisais aussi énormément. Je n’ai eu mon premier ordinateur que vers 2003, il me semble. Avant, je tapais mes textes à la machine, je participais à des concours locaux, sans grand succès d’ailleurs, la plupart des textes sélectionnés étaient plus… classiques, bref, la SF n’avait pas la cote ! 


Des nouvelles, des nouvelles et encore des nouvelles. Sais-tu qu’il existe une autre forme de littérature comme les romans ?
Je me sens très à l’aise dans la nouvelle, deux tiers de mes livres sont d’ailleurs des recueils et des anthologies, sans compter les différentes revues dédiées au genre, Galaxie, Fiction, Satellite, et beaucoup, beaucoup d’autres ! 
Un roman est en cours d’écriture, mais c’est un roman à quatre main avec un auteur que tu connais bien : J.C. Gapdy. On est parti d’une de mes nouvelles que je rêvais de développer (Jonas, in « Il sera une fois… »), quelques allusions laissent sous-entendre que l’univers où évoluent mes personnages est clairement alternatif. Pour en savoir plus, faudra attendre 2022.
Je n’en délaisserais pas pour autant la nouvelle, puisque je prévois un recueil pour 2020, et un autre pour 2021.


Quelle est ta recette pour écrire tes nouvelles ?
Je n’en ai pas. L’idée peut me venir au cours d’un rêve (en fait, c’est le plus souvent dans la phase d’endormissement). J’ai un cahier sur ma table de nuit, je prends quelques notes, généralement de simples mots clef, que je note sur Word le lendemain. Une conversation, un reportage, une découverte scientifique ou une nouvelle technologie, ça fait « tilt » et je me dis alors : et si…
J’écris lentement, j’ai en permanence quinze ou vingt nouvelles à différents stades d’écriture, quand je cale, j’arrête tout et je passe à autre chose. Les textes se construisent donc petit à petit.




Peux-tu nous parler de ton surnom ?
L’un de mes premiers livres était « L’aventurier de l’espace » de Catherine Loïs Moore (je l’ai toujours), un mélange de space op’, d’érotisme et d’horreur lovecraftienne. Bien sûr, c’était très soft, mais ça m’avait vraiment marqué ! Le héros se nommait Northwest Smith. Le parallèle me semble évident, non ?


Comment décrirais-tu le style Southeast Jones ?
La grande majorité de mes lectures était, et est toujours anglo-saxonne, des nouvelles (énormément), et quelques romans, datant souvent des années 30 (parfois avant) à 60 pour les plus récentes, ça a fatalement influencé ma façon d’écrire. J’ai bien évidemment lu aussi des auteurs francophones, mais il y a une petite dizaine d’années que je m’y intéresse vraiment. Et je me dis que je suis passé à côté de pas mal de choses ! Bref, j’écris à la manière… d’une époque.

Tes auteurs de prédilection sont ceux de l’âge d’or, la SFFF récente, et ces grands noms actuels ont l’air de te passer au-dessus de la tête. Une raison particulière ?
Je m’y suis ouvert depuis quelques années, j’ai découvert de fabuleuses plumes, des livres qui m’ont fait rêver ou cauchemarder, je continue bien sûr, mais je reviens toujours à mes premières amours, il y a encore tant à lire et je n’ai qu’une vie !


Tu as déjà lu du Robert Charles Wilson ? (Attention, c'est mon échelle d'évaluation de mes rapports avec les gens.)
Je connais Robert Charles Wilson uniquement au travers d’un recueil de nouvelles : Les Perséides, que j’avais adoré, mais je serais assez tenté par sa trilogie Spin, dont j’ai lu beaucoup de bien. Ceci dit, j’ai tellement de livres que je ne pourrais vraisemblablement pas tout lire avant… bref, tu m’as compris.

On ne me ment plus, l'africain est mon frère
Le musulman, le juif, je respecte leurs prières
Individuellement le choix de chacun est propre à lui-même
Vu de l'espace l'Histoire de la Terre est pour tout le monde la même
Mais si on se rapproche, on voit qu'une Porsche
Motive plus d'amour qu'une mère qui nourrit ses gosses
C'est fou de voir tous ces gens attirés par l'argent
Comme le requin attiré par le sang
Shoota Babylone, Assassin

Pour moi, l'extrait ci-dessus résume assez bien le fond de tes textes, profondément humain, sans œillères sur nos bassesses, avec en filigrane, une sorte d'utopie qui se dessine sur ce que pourrait être une société idéale. D’accord, pas d'accord ?
Tout à fait d’accord. Le monde appartient à tous-tes, quelle que soit la couleur ou l’ethnie, la religion, la préférence sexuelle, et le statut social ; mais ça, c’est ce que je voudrais que le monde soit. Un jour très lointain peut-être...

Des textes assez courts avec des fins à chute, il y a souvent un voile sombre qui plane sur tes textes, même si tu y mets quelques notes de légèreté et d'humour. Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir ?
Il y a toujours un espoir, une porte de sortie, l’humour et la légèreté pour adoucir la réalité est peut-être simplement ma solution.


Il existe une école belge de la BD, y a t-il une école belge de la SF ?
Je n’en suis pas certain, je pense que toutes les deux ont principalement été influencées par Vernes, sans doutes aussi par Wells avec « La machine à explorer le temps », traduit en 1895 quelques mois à peine après sa publication en Grande-Bretagne et paru au Mercure de France. La Belgique, tant francophone que néerlandophone avait, il me semble, plus d’auteur de fantastique que de science-fiction, mais je n’oserais pas avancer qu’elle ait été influencée par la production française. Même si la fin du dix-neuvième et le début du vingtième a produit des œuvres mémorables, mais ayant pour la plupart mal vieilli. Il me semble que la SF américaine n’a réellement fait son entrée en Europe francophone que dans les années 30-40, et a forcément influencé la production européenne, mais c’est à vérifier, je ne suis pas historien, et mon avis est à prendre avec des pincettes .
Des auteurs de SF Belges connus ? Déjà Rosny ainé ("La guerre du feu »), dans le genre qui nous intéresse : Les navigateurs de l’infini, Les Xipéhuz, La mort de la Terre (pour ceux dont je me souviens), Jacques Stenberg, Jean-Gaston Vandel (publié à la belle époque du Fleuve Noir Anticipation), Alain Dartevelle, comment ne pas citer Henri Vernes, le créateur de Bob Morane, dont les aventures flirtèrent souvent avec la SF, mais aussi (et surtout !) Alain le Bussy. Pourquoi et surtout ? Tout simplement parce que j’ai eu le privilège de le rencontrer à plusieurs reprises, de discuter avec lui autour d’un verre, ou lors d’un ou l’autre évènement littéraire en Belgique (c’était un grand voyageur, très actifs dans la communauté SFFFR, je te laisse quelques liens qui lui sont consacrés, peut-être un jour écriras-tu un article sur lui, c’était un très grand monsieur.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Le_Bussy
http://www.phenixweb.info/Mon-ami-Alain-le-Bussy
Il y en a bien sûr beaucoup d’autres.
(pour compléter : Valérie Stiénon, Une école belge de l’anticipation ?, Textyles, n.48-2016


Lis tu autre chose que les mauvais genres ?
De la vulgarisation scientifique, des revues sur l’astronomie, le National Geographic aussi.


Ton dernier recueil est autoédité, alors que tu m'as dit que tu avais trouvé un éditeur. Pourquoi cet empressement ? Pourquoi ce besoin d’être lu ?
J’étais très impatient je crois et c’est plus un besoin de partager mes rêves, bons ou mauvais, être lu et apprécié, c’est le petit plus.



Tu fais partie des Artistes Fous Associés, une association pour le moins atypique qui publie, entre autres choses, différentes anthologies. Tu nous en dit quelques mots ?
Ma plus belle aventure avec des gens extraordinaires partageant la même passion pour les littératures de genre, la liberté d’écrire et d’offrir sans tabous et à vil prix des textes qu’on n’aurait pu trouver nulle part ailleurs. Montrer à tout le monde qu’un livre ne doit pas spécialement être formaté selon des normes préétablies, la normalité, c’est bon pour les autres.


Les artistes fous associés, Sema édition, auto-édition, que des microstructures indépendantes. Un choix ou un non choix ?
Il ne faut pas se leurrer, les grosses structures ne s’intéressent que rarement à la kyrielle d’auteurs en recherche de reconnaissance, j’en connais pourtant une flopée qui mériterait plus qu’une édition « confidentielle ». Alors un choix ? Oui, sans doute, j’ai trouvé chez Les Artistes Fous et Séma Editions quelque chose qu’on ne trouve nulle part ailleurs : une formidable entente, de l’amitié et de la confiance, c’est un peu comme une famille.


Alors que ton dernier recueil sort, quel est ton regard entre autoédition et éditeur classique ?
Le respect et l’admiration pour les indés. J’éprouvais déjà ces sentiments, mais ils sont encore plus fort aujourd’hui. Quant à l’édition classique, j’ai eu la chance rare de trouver chez mon éditeur un vrai passionné, un homme qui a le feu sacré, qui aime profondément ce qu’il fait et y croit.


Alors que certaines maisons d’édition ayant pignon sur rue ont encore du mal avec le format numérique, qui est soit inexistant, soit trop cher, soit verrouillé, j’ai l’impression que les petites structures où tu as été publié proposent des epub peu cher, voir gratuit, sans verrous et de bonnes qualités. Connais-tu leur secret ?
En ce qui concerne Les Artistes Fous, c’est un peu la marque de fabrique, on n’a jamais commencé cette aventure avec l’idée de gagner de l’argent. Presque tous les foyers ont un ordinateur, beaucoup de personnes lisent, mais n’ont pas spécialement les moyens de dépenser quinze ou seize euros pour un bouquin, alors comme personne n’est sain d’esprit dans cette bande de joyeux lurons, pourquoi ne pas l’offrir ? Je sais que ça a provoqué quelques grincements de dents, mais bon, on fait ce qu’on veut, non ? En ce qui concerne les petites maisons d’édition, le secret, c’est qu’il n’y en a pas ! Non, mais vous avez vu les prix pratiqués chez certains gros éditeurs pour leurs livres numériques ? On est proche des deux tiers de celui de la version brochée, c’en est indécent ! Les petites maisons d’éditions ont fait un choix logique : rendre accessible à chacun et pour un prix minime la version numérique de leurs publications. Quant aux DRM et autres protections, il y a longtemps que ça ne sert plus à rien, quand bien même inventerait-on un nouveau moyen de protéger une œuvre numérique, je ne donne pas six mois, en comptant très large, avant qu’il ne soit contourné.

Ce n'est pas le tout d'écrire, il faut aussi trouver les lecteurs


Tu proposes toujours des services de presse de tes écrits, mais pas que. C’est grâce à toi que j’ai découvert Jean Christophe Gapdy, mais tu proposes régulièrement de découvrir d’autres auteurs (comme récemment avec Jean-Marc De Vos, qui a illustré Sept morts et vient de sortir L'Ambassadeur). C’est quoi ton boulot, agent littéraire ?
Deux auteurs de science-fiction que j’adore, et qui méritent vraiment d’être connus ! Mais il y en a d’autres : Frédéric Livyns (horreur et fantastique) et Delphine Schmitz (steampunk), par exemple. Alors non, je ne suis pas agent littéraire, mais je sais reconnaitre la qualité d’une œuvre lorsque je la vois, leurs écrits m’ont comblé à tout point de vue.  Je me suis essayé une fois à la chronique, c’était très, très mauvais ! Alors je laisse ça au blogueurs, de mon point de vue plus qualifié que moi. Lisez ces auteurs, vous ne serez jamais déçus, mieux, vous en redemanderez !


Si les lecteurs de ce billet ont envie de lire seulement un de tes textes en accès libre, lequel choisirais tu ?
J’ai une faiblesse pour « Emancipations », l’interprétation de la conclusion revient finalement au lecteur. Histoire banale ? SF ? Fantastique ?
A lire ici


Pourquoi Sept morts ? Et pas 9 ou 42 ?
Parce qu’il y a sept nouvelles, s’il y en avait eu plus, le chiffre aurait changé. Ah, mais il y a huit textes ! Effectivement, mais le dernier n’est pas un texte de fiction, la personne dont je parle est mon père. Le texte n’avait été écrit que pour moi seul, pour exorciser ma douleur autrement que par des larmes. Je l’ai ajouté au dernier moment, j’ignore toujours pourquoi.


Le mot de la fin ?
Coupez !



Mon avis sur ses deux recueils : Il sera une fois - Sept morts à vivre

Un autre belge, le tenancier du blog Evasion imaginaire a interviewé l'éditeur Mickaël Schoonjans, directeur de Sema éditions

Toutes les photos viennent de la page Facebook de l'auteur


Concours :




Cet entretien t'a donné l'eau à la bouche et tu as envie de découvrir la plume de l'auteur ?
Je te propose de lire gratuitement son dernier recueil Sept morts à vivre.
Pour cela rien de plus simple, il faut répondre à une simple devinette.

Trois exemplaires sont en jeu : deux en papier (un pour les français et un pour les belges), l'autre en numérique (epub)
Tu donnes ta réponse via mon mail, afin que les autres lecteurs ne trichent pas sur toi. Tu indiques ton adresse postale si tu joues pour l'exemplaire papier.
Fin du concours : samedi 30 novembre à 23h59mn59s
Les gagnants seront choisis à la tête du client par tirage au sort parmi les bonnes réponses.


La devinette :
4 boulangers font 4 pains en 4 minutes.
Combien de pains font 12 boulangers en 12 minutes ?

Concours terminé, la réponse était 36.
Merci aux participantes et participants.



3 commentaires:

  1. À défaut d'une amusante blague belge - si jamais cela existe - c'est une intéressante interview, ça compense efficacement. J'ai pris note de la nouvelle à lire, j'essayerai de tenter cela. ;)

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    1. Merci.
      Plutôt que de lire la nouvelle en ligne, tente le recueil...

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