Au-delà du gouffre

Peter Watts, Le Bélial, 2016, 480 p., 11€ epub sans DRM





16 nouvelles, 11 inédites, un avant-propos et deux postfaces : une belle entrée en matière pour qui voudrait découvrir les textes de Peter Watts avant de s’aventurer au-delà de ses nouvelles  et un beau cadeau pour les fanatiques de son oeuvre.


Présentation de l'éditeur :

 

Nous sommes les hommes des cavernes. Nous sommes les Anciens, les Progéniteurs, les singes qui érigent vos charpentes d’acier. Nous tissons vos toiles, construisons vos portails magiques, enfilons le chas de l’aiguille à soixante mille kilomètres/seconde. Pas question d’arrêter, ni même d’oser ralentir, de peur que la lumière de votre venue ne nous réduise en plasma. Tout cela pour que vous puissiez sauter d’une étoile à la suivante sans vous salir les pieds dans ces interstices de néant infinis…


Mon ressenti :



Je ne vais pas entrer dans le détail de chaque nouvelle, d’autres l’ont déjà fait de manière admirable (Albédo et Apophis), j’y ai même contribué de manière modeste ici et ici.

Peter Watts est un auteur de science fiction, oeuvrant souvent dans le domaine de la Hard SF, genre qui n’a pas ma prédilection. Mais l’intérêt de ce recueil est de découvrir un pan autre de l’écrivain, j’y ai trouvé un éclectisme assez rare pour être salué. Chacun pourra donc y trouver son bonheur. Nous passons donc de la découverte de l’espace infini à travers des vaisseaux gigantesques constructeurs de routes spatiales en compagnie d’humains modifiés, augmentés et d’intelligences artificielles conscientes, à de la dystopie environnementale, avec un détour vers des drones militaires pensants…


Vous y trouverez aussi des rencontres avec l’Autre. Pas d’anthropocentrisme ici, l’autre est étrange, incompréhensible. L’auteur nous démontre que l’intelligence peut prendre des formes diverses et variées difficilement entendable à nous pauvres humains. Mais pas de jugement de valeur, l’autre est différent, mais n’est pas meilleur ou plus mauvais que nous, il réagit selon sa culture.
La question de Dieu est assez présente, une partie lui est même exclusivement réservé, même si d’autres nouvelles y font références.  Pour certains, l’homme est pourvue d’une âme, pour d’autres d’une conscience, mais souvent les deux se confondent dans une sorte de métaphysique. Et une infime partie pense, comme Peter Watts, que la pensée est juste un phénomène neurochimique, l’homme n’étant qu’un ensemble de cellules vivantes. Dieu n’existe pas, l’homme est seul. C’est à mon humble avis le pourquoi de nombreux lecteurs trouvent les textes de Peter Watts sombres et pessimistes. Pour ma part, je n’ai nullement eu un ressenti de noirceur, juste une interrogation sur notre humanité aujourd’hui, et surtout demain.

Alors Watts, pessimiste ou optimiste ? A vous de vous faire une idée, selon votre propre curseur. Pour l’auteur, il n’est qu’un « optimiste en colère », vision qu’il défend dans sa postface, un peu trop digressive à mon goût sur sa mésaventure étatsunienne . J’y ai découvert un auteur avec des convictions profondes, solides et engagées. J’attends juste qu’il produise des romans un peu moins hard SF pour m’y plonger. Mais comme il attendait ma critique avec impatience, nulle doute qu’il ne réponde favorablement à ma supplique.
Au final, des textes parfois abscons pour ma petite personne, d’autres magnifiques. Et ce qui reste, un beau recueil très éclectique, une porte d’entrée indispensable à Watts.

Petite digression sur la nouvelle Maison qui prolonge l’univers de Starfish et qui s’interroge sur le devenir de ces hommes poissons épris de liberté. Même avis que le lutin.

Et pour la route, une autre critique histoire de ne pas partir sur trois pattes : Lecture 42

Quelques citations :


Les noms n’ont pas d’importance. Ce sont des symboles, rien de plus ; toutes les biomasses sont interchangeables. Ce qui importe, c’est qu’elles sont tout ce qui subsiste de moi. Le monde a brûlé tout le reste.
Les choses

C’était toujours MacReady qui donnait les ordres. Le concept lui-même paraît toujours absurde : donner des ordres.Comment ce monde ne voit-il pas la sottise des hiérarchies ? Une balle dans un point vital et le Norvégien meurt, pour toujours. Un coup sur la tête et Blair est inconscient. La centralisation, c’est la vulnérabilité – et encore le monde ne se contente-t-il pas de bâtir sa biomasse sur un modèle aussi fragile, il l’impose aussi à ses métasystèmes. MacReady parle ; les autres obéissent. C’est un système avec un point fatal intégré.
Les choses

Il ne sait rien du combat feutré qui se poursuit, ni des règles d’affrontement dans les locaux de l’ONU. La distinction légale opérée entre crime de guerre et panne des systèmes d’armement, les divers degrés de culpabilité respectifs du biologique et de l’électronique, l’acceptation réticente de l’architecture éthique, le rôle non-négociable des humains comme ultimes responsables, tout ça lui échappe. Réveillé, il obéit aux ordres  ; endormi, il ne rêve jamais.
Le Malak

À cette époque, les gens croyaient encore posséder des choses. Ils retrouvaient leur maison éparpillée d’un bout à l’autre du quartier et l’ennemi qu’ils craignaient n’était pas les intempéries, mais leurs semblables. Les ouragans étaient des accidents, des caprices de la nature. Les experts continuaient à tout mettre sur le dos des volcans et de l’effet de serre. Les pillards, d’un autre côté, étaient réels. Tangibles. Un problème ayant une solution évidente.
Nimbus

« Bien entendu, on pourrait en principe en dire autant de l’expérience religieuse », continue-t-il, affable et sacrilège. « Un simple hoquet électrique dans le lobe temporal, pas plus divin que la force qui fait pivoter l’aiguille de la boussole et attire la limaille de fer sur l’aimant. »
Un mot pour les paiens

La vision du monde sous-jacente à ces histoires n’est pas forcément du goût de tous. Les gens n’ont pas l’habitude de voir leurs aspirations et leurs rêves les plus nobles réduits aux interactions déterministes des substances chimiques dans une cuvette osseuse, par exemple. Certains pourraient ne pas accepter que nos troncs cérébraux continuent à faire la pluie et le beau temps, peu importe ce que s’obstine à dire cet irascible enfant gâté de néocortex. Les bases les plus fondamentales de la biologie humaine – que l’évolution ayant conduit à notre apparition a suivi le même processus au petit bonheur la chance qui a façonné toutes les autres formes de vie terrestres – sont carrément choquantes pour certains. Mais ces idées n’ont rien de particulièrement sombre, là d’où je viens. Ce n’est que de la biologie : neutre, empirique, utile. J’ai grandi avec elles, je les trouve chouettes. Je ne suis jamais tenté de m’ouvrir les veines, quand j’écris. Si vous avez envie de le faire en me lisant, eh bien, c’est votre problème.
En route vers la dystopie avec l’optimiste en colère

Où pouvons-nous aller, depuis notre situation actuelle ? Où peut-on aller, avec sept milliards d’hominidés qui n’arrivent pas à contrôler leur appétit, font chaque jour disparaître trente espèces sous le poids de leurs empreintes, sont trop occupés à rejeter la théorie de l’évolution et à construire des drones tueurs pour s’apercevoir que les calottes glaciaires sont en train de fondre ? Comment écrire un avenir proche plausible dans lequel nous avons réussi à stopper les inondations et les guerres de l’eau, dans lequel nous n’avons pas fait disparaître des écosystèmes entiers et transformé des millions de nos semblables en réfugiés climatiques ?
C’est impossible. L’occasion est passée, ce navire – gigantesque, pesant, de la taille d’une planète – a déjà appareillé et il ne change que très lentement de direction. La seule manière d’éviter ces conséquences en 2050 est de raconter une histoire dans laquelle nous avons pris le changement climatique au sérieux dans les années 1970… et là, on n’est plus dans la science-fiction mais dans le rêve.
En route vers la dystopie avec l’optimiste en colère

Les dystopies ne sont pas toujours des endroits horribles. Il s’en trouve certaines où on peut tout à fait vivre heureux comme un poisson dans l’eau. Énormément de gens traversent l’existence sans même se rendre compte qu’ils vivent dans une dystopie et la tyrannie pourrait remplacer progressivement la liberté sans qu’ils s’aperçoivent de rien.
Tout se ramène au fond à l’envie de voir le monde.
Imaginez votre existence comme un chemin qui passe dans le temps et la société. Il est flanqué de clôtures recouvertes de panneaux Défense d’entrer, Pelouse interdite, Tu ne tueras point. Ce sont les contraintes qui gouvernent votre comportement, les limites légales de ce qui constitue une conduite acceptable. Vous êtes libre de flâner où vous voulez entre ces deux barrières… mais en franchir une vous expose aux rigueurs de la loi.
En route vers la dystopie avec l’optimiste en colère


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4 commentaires:

  1. Ah! Je suis finalement ravie de ton avis. J'étais certaine que quelques nouvelles te laisseraient dubitatif, nous en avons discuté. ET j'espérais que d'autres te botteraient. Mais surtout, tu as pu goûter aux saveurs et nuances d'un de mes auteurs préférés, et je vois que tu as apprécié en partie. C'est trop chouette, pour moi aussi, toutes les nouvelles ne sont pas géniales, mais j'en ai adoré certaines.

    Je suis heureuse de ton point de vue sur la nouvelle "Maison"! :-)

    Bref, un avis super et qui je pense donnera envie de découvrir l'auteur!

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  2. Merci.
    J'ai surtout été bluffé par l'éclectisme des textes. Peu d'auteurs savent jongler entre différents genres et Watts s'en sort haut la main. Qu'on aime ou pas le genre d'un texte, il est en outre difficile de dire que c'est mal écrit. Bref une très bonne découverte.

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  3. Heureusement que tu as fait ta critique, désormais Watts va pouvoir nous pondre des choses moins Hard SF :p

    Pour sa digression sur ses déboires juridiques, j'ai bien aimé personnellement.

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    1. Il ne fait aucun doute que Watts ai lu ma critique et va se lancer dans un nouveau roman plus accessible. Le temps de le pondre, de le traduire, le roman devrait être disponible en 2020-21 en France, avec en phrase d'ouverture : merci au Chien critique sans qui ce roman n'existerait pas.

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