Angélus des Ogres

Laurent Pépin, Flatland, 2021, 102 p., 8.5 € papier

Une nouvelle édition revue est disponible


J'aime lorsque je ne rencontre pas de pépins lors de ma lecture.

Présentation de l'éditeur :

« J’habitais dans le service pour patients volubiles depuis ma décompensation poétique. Au fond, je crois avoir toujours su que cela se terminerait ainsi. Peut-être parce qu’il s’agissait du dernier lieu susceptible d’abriter une humanité qui ne soit pas encore réduite à une pensée filtrée suivant les normes d’hygiène. Ou plus simplement, parce qu’il n’y avait plus de place ailleurs dans le monde pour un personnage de conte de fées.

Je dois pourtant reconnaître qu’il n’y avait rien eu de féerique dans les évènements qui avaient présidé à mon admission : ma rencontre amoureuse avec une Elfe avait terriblement mal tourné, et les Monstres de mon enfance en avaient profité pour ressurgir. Je m’étais retrouvé plongé à nouveau dans le désert de ma venue au monde, un monde étranger et dangereux, où je ne savais pas bâtir. Sur ma langue desséchée, les mots mouraient ou devenaient fous. Parfois, même, mon corps se déchirait, sans savoir pourquoi. »


Mon ressenti :

Après une première novella flamboyante et très étrange, voici la suite des aventures du narrateur. Monstrueuse Féérie poussait l'imaginaire psychiatrique très loin, Angélus des Ogres nous plonge dans un début plus terre à terre où notre narrateur nous conte son quotidien asilaire et le changement de paradigme psychiatrique. Fini les méthodes où on laissait les fous explorer leur folie, comme dans le documentaire La moindre des choses, place à la rationalité, au neuroleptique et au retour à la norme.  Bref, des méthodes efficientes pour la société, moins pour ceux qui les subissent. Moins de folie, plus de réalité.

le service pour patients volubiles était en pleine mutation : il avait rompu pour de bon avec sa tradition asilaire au profit de nouvelles méthodes thérapeutiques consistant pour l’essentiel à l’élaboration d’un système de filtration de la pensée des patients. En somme, la psychiatrie ne prétendait plus offrir droit de cité aux décompensations poétiques des Monuments, mais concevoir des dispositifs d’épuration de la marge…

Mais l'auteur a plus d'un lapin dans sa caboche et nous pond un twist qui rebat les cartes et nous fait repartir dans un imaginaire débridé dans la psyché sombre de son personnage. Plus noir que son prédécesseur, le grain de folie est cependant présent pour nous permettre quelques respirations bienvenues. Comme je l'avais déjà dit dans mon avis sur Monstrueuse Féérie, j'ai du mal avec ce qui est psy, mais ici, je ne sais pas pourquoi cela passe. Est ce du fait que Laurent Pépin nous met dans la tête d'un malade mental comme si nous en étions un ? Est ce dû à la physique des patates ? Ou simplement au talent de l’auteur ?

Les Monstres ont toujours habité dans un coin de ma tête. Ce sont des allégories, d’après ma psychiatre. Elle ne pense pas qu’ils existent pour de vrai. Moi, je crois que j’appelle mes souvenirs ainsi à cause des véritables Monstres que ma mère mettait au monde : des créatures épouvantables peuplent mes souvenirs d’enfance, ce qui fait que rétrospectivement, tous mes souvenirs d’enfance sont subsumés sous le terme générique de « Monstres ». Naturellement, ma psychiatre ne pense pas non plus que ces vrais Monstres aient existé.
Enfin, pour des allégories, ils m’ont bien pourri la vie, quand même…


Même si j'ai une préférence pour le premier tome, plus déjanté, j'ai une attirance vers cette vision folle de la psychiatrie. Est ce si grave d'avoir des pensées et des comportements hors normes ? Est ce aux fous de s'adapter à la société ou à la société d'intégrer une part de folie ? A l'heure où l'on parle d'inclusion, j'ai le sentiment que l'auteur nous montre que c'est plutôt l'inverse qui se produit. Que sous les mots nouveaux, c'est tout un changement de société qui s'impose en douceur.
J'aime lorsqu'un texte m'amène à réfléchir hors des sentiers normalisés et laissent mon imagination vagabonder, m'offrir des "décompensations poétiques".

Mais nous ne pouvons plus lutter. Depuis qu’ils savent inventer des machines qui distillent la pensée pour en retirer l’alcool, nous ne pouvons plus que secouer nos chaînes, pleines de mots muets trop lourds à porter.
Et nous pouvons seulement hanter nos lits, les couloirs, nos pensées, nos corps. Parce que nous ne sommes plus des inventeurs de mondes et que nous errons en regardant se dissoudre la langue, les paroles écroulées, abattues comme des oiseaux morts à nos pieds...


Lu dans le cadre d'un service de presse

Mon avis sur Monstrueuse Féérie

Une interview de l'auteur sur AOW
 
Je ne pouvais pas sortir du centre-ville et des rues piétonnes… C’étaient des quartiers qui étaient faits pour aller se promener, et si on en sortait, ce n’était pas la même chose car on était à présent dans un endroit où on était censé aller d’un point à un autre alors que moi je ne me rendais nulle part…


8 commentaires:

  1. *se rend compte qu'il a la première novella qui attend toujours sagement d'être lue*
    On devrait interdire aux auteurs d'écrire des suites tant qu'on - je - n'est pas à jour tiens.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est pas con ton idée, pas de suite tant que tout le monde n'a pas lu le 1.
      Mais bon, le monde étant ce qu'il est, dépêche toi de rattraper ton retard, le 3 est en route...

      Supprimer
  2. je trouve que la suggestion de Baroona est pleine de sens...

    RépondreSupprimer
  3. Arf, il est aussi dans ma PAL, celui-là...

    J'avais bien aimé le premier, que j'avais découvert d'ailleurs grâce à un certain blogueur canin :

    https://weirdaholic.blogspot.com/2021/06/debout-face-aux-vivants.html

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Content que mon avis t'ai fait découvert ce texte, et je m’aperçois que tu y as vu des références que je n'avais même pas vu. Je pense que le 2 te plairas encore plus.

      Supprimer
  4. Wouah, tu dois être devin ! J'ai beaucoup apprécié le 2, en effet :

    https://weirdaholic.blogspot.com/2021/10/nous-mourons-et-ca-nen-finit-pas.html

    Vivement le 3...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai plus d'une corde à mon arc...

      ET je plussoie, vivement le trois.

      Supprimer

Fourni par Blogger.