La merditude des choses

Félix Van Groeningen, 2009, 01h50




Chez ces gens là.

Présentation de Télérama :

La merditude, c'est quand on a une vie de merde... et qu'on trouve ça normal. Question d'habitude. Ou même d'hérédité. C'est le cas de Gunther, 13 ans, qui vit dans les années 80 à Trouduc-les-Oies chez sa grand-mère, avec son père et ses trois oncles, quatre ogres braillards, chômeurs et biturés à la bière du réveil au coucher. Faire ses lignes de punition (quelque chose dans le genre « Tu ne frapperas pas tes camarades sous prétexte qu'ils se sont moqués de ta famille») à côté d'un papa torché ou voir ses tontons foutre à la porte l'huissier, ça le fait marrer, Gunther. Sa mère, qui a fui depuis longtemps ? « Une pute, madame », répond-il tranquillement à l'assistante sociale. Il est un Strobbe, il en est fier, et, comme le dit l'oncle Petrol, carabine à la main : « On ne touche pas à un Strobbe. » Sauf quand l'ado se fait tabasser par papa, que l'alcool et la déprime finissent par rendre dingue...

Mon ressenti :



D'abord, d'abord, y a Oncle Baraqué, avec sa moustache à la viking, qui ne résiste jamais aux jeux de hasard, des dettes à n'en plus finir. "Dire que Baraké était né pour perdre était peut être aller trop loin. Quoique !". Il a l'amour propre porté bien haut et l'esprit imaginatif pour une histoire de rivalité fraternelle avec son frère Koen. Il invente pour cela Le tour de France revu et corrigé, sur les chemins de la métaphore. Magnifique d’inventivité et de folie. Imaginez un jeu de plateau où les dés sont remplacés par des cul secs !




Y a aussi Oncle Koen (prononcez kounne), heureux en jeux mais malheureux en amour malgré sa gueule d'ange. Il a la paternité nombreuse et les pensions alimentaires en conséquence. Le plus effacé de la bande mais qui gagne avec panache le concours du plus grand buveur de mousse organisé par le bistrot du coin.

Et puis il y a l'autre, Oncle Petrol, méchant comme une teigne, poussant ses frangins parfois tenté par une vie meilleure dans le précipice. Il partage sa chambrée avec son jeune frère Gunther, mais n'hésite jamais à y ramener ses conquêtes d'un soir pour les butiner. Jamais le dernier dans une bagarre ou pour tester les cellules de taule. C'est celui qui porte haut l'honneur de la famille. Gare à ceux qui se moqueraient ou voudraient s'éloigner des "valeurs familiales"

Et puis y a Papa Cel, celui qui a l'alcool à la place du sang. "Mon père était un buveur convivial, la compétition ne l’intéressait pas." "Je ne suis pas fou, boire pour le sport, faut pas déconner !" Il prend sa tournée de facteur très très au sérieux. Il a la garde de son fils, la mère ayant préféré partir chez un autre loustic qui n'envisage même pas avoir dans sa bicoque un fils bâtard. Aimé de tous mais capable d'emportement furieux, il est toujours à deux doigts du delirium tremens, le fiston l'aide à tenir son verre de genièvre le matin car il tremble trop. Cel qui a cependant une conscience politique bien ancré : Son crédo : « plus on possédait, plus on avait à faire la poussière ». Il écluse donc son argent au bistrot. « C’était sa manière à lui de nous protéger des tentations du capitalisme "

Et Tante rosie, partie de Trouduc-les-Oies vers une autre ville. Qu´aimerait bien avoir l´air, mais qui a pas l´air du tout. Mais qui revient quand même lorsque son mari la tabasse un peu trop fort.

Y'a Mémé ausii, la mère de toute cette bande de soiffards. Elle qui ne dit rien, ou qu'on n'écoute même pas. "Qui avait un coeur bien plus gros que sa pension" Mais elle n'est pas le dernière à rigoler comme lorsqu'elle laisse en plan un de ses rejetons sans PQ dans le chiotte de la courée et qui part en pouffant. Elle veut le meilleur pour son petit fils, faisant ses coup en douce pour l'aider.
Son mari a passé sa vie se mettre en bière bien avant l'heure, une épreuve réussit haut la main.


Et puis, et puis
Et puis, y a Günter, qui est beau comme un soleil. L'école n'est pas son fort, si ce n'est la buissonnière "Si tu n'apprends pas à être à l'heure mon garçon,  tu finiras ramasseur de crottes derrière le train." Qui passe donc sa scolarité à faire des lignes (dont une magnifique, "Ma mémé a les nénés poilus"), déchiré entre l’attachement au clan et le désir d’une vie normale. Devant l'assistante sociale qui lui demande si il ne préférerait pas vivre chez sa mère, il répond que cette dernière est « Une pute, madame ». Son père ne sait pas s'occuper de lui mais on abandonne pas un Strobbe. Une relation père fils fusionnel , faite de violence et de soutien indéfectible, de déchirement et d’amour.
Toute cette histoire nous est narrée par lui, du haut de sa vie d’adulte. Ne pas renier ses origines, mais ne pas se laisser submerger par son enfance. Et si c’était ça être un Strobbe, être adulte, vivre SA vie, même si cela coûte.
Sa réaction à l’annonce de sa paternité proche  :
Il restait une petite chance que l’enfant soit mort-né, ou noir pourquoi pas ? Dans un cas comme dans l’autre, je savais que j’aurais du mal à cacher ma joie"
"La vie avait été transmise, comme un bâton de relais dans une course sans fin dont personne ne comprend le sens mais à laquelle tous s’accrochent dans la grande merditude des choses"
"Bien sur qu’on est un salaud quand on abandonne une maman et son bébé, mais c’est souvent parce qu’on n’est pas assez salaud pour la quitter avant de l’avoir engrossé"
Toute la réussite du film réside dans ces clairs obscurs, dans ce parallèle entre les 14 ans de Gunther et sa vie d’adulte, dans ces fulgurances. Un récit de vie sur le devenir adulte, la paternité et la famille. Il ne faut pas oublier non plus la qualité de l’image, faite de reconstitution de ces années 80 en Belgique, dans des couleurs chaudes de l’époque ou de somptueux noir et blanc, le tout magnifié par la musique religieuse, Roy Orbison ou rythmé par les chansons paillardes. Si vous avez passé quelques années de votre vie dans les années 1980 dans le Nord ou en Belgique dans les quartiers populaires, les réminiscences vont affluer.
Et puis ce titre, tout en poésie familière.

Un film dur, cru (ne mettez pas vos gosses devant la vidéo, sauf si c’est un Strobbe) mais aussi tendre et poétique. Le tout sans aucun misérabilisme et avec beaucoup d'humour. Des scènes inoubliables par leur élan comique : la venue de l'huissier, le chiotte dans la courée, le concours cycliste à poil, le concours du plus grand buveur de bière, les courses de début de mois où toute la famille se jette sur les provisions, le visonnage du retour de Roy Obinson (mais si monsieur Pretty woman) chez le voisin, André, le copain de bar, qui passera pas l’année, avec sa "poche" qui « Mine de rien, ça m’fait des sacrées économies de papier toilette »
On passe des éclats de rire à la tension glaciale.

Dans le film Embrassez qui vous vous voudrez, le personnage de Jacques Dutronc dit
« La vie est bizarre. Si tu y penses, ça te déchire le coeur... Mais si tu la traverses en zigzaguant, c'est plutôt comique. »
Cette maxime résume ce film de belle manière.

Quatrième ou cinquième fois que je visionne ce film avec le même plaisir. Il est tiré du livre éponyme, dont l’auteur a coécrit le scénario.
Le dvd comporte des bonus : Le réalisateur revient sur la transposition cinématographique du roman et du choix des acteurs et de leur rôles, de ses choix de réalisation, des scènes de beuveries, des trucages. Et bien sûr, belgitude oblige, l'épisode culte de Strip-Tease Les aventures de la famille De Becker
L’équipe de La Merditude des choses a fait sensation sur la Croisette en arrivant lors de la projection officielle… nu et à vélo.



Pour conclure, je ne résiste à vous mettre les paroles de La chanson de la moule, une chanson paillarde :
Miracle alléluia, Miracle alléluia,
Ta chatte est mouillée et il ne pleut pas
Miracle alléluia, Miracle alléluia,
Ma moule est mouillée et c’est pas la marée
Miracle alléluia, Miracle alléluia,
j’ai la moule qui dégouline, c’est une soirée divine




Quelques citations :


Je vais en faire un collier moi de ses couilles

Je constatais à nouveau que soit les belles choses étaient détruites, soit elles quittaient notre village

Le train passe par les coulisses du monde. Les belles maisons classées du quartier de la gare s’avèrent, en réalité, être des taudis. Mais ces ruines ne se voient que depuis la voie ferrée. Rien ne vous donnera une vue plus sincère de notre pays, que le train. Regardez nos jardinets, nos pigeonniers et nos cabanes. Admirez nos sous-vêtements qui sèchent dehors. Contemplez nos nains de jardin, nos céleris et nos poireaux, nos vérandas et nos barbecues maçonnés. Regardez dans les prairies comment les vaches font place à des monstres de briques, battis par des gens sans goût, avec la complicité des banques. Des monstres qui défigurent le paysage belge. Prenez le train, et regardez comment, immobiles le long des voies, le marbre et le granit s’ennuient sous la poussière, offrant une dernière demeure à nos morts.

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