Malevil



Robert Merle, Folio, 1972, 11€ papier


La nuit commence ce jour de Pâques où l’Histoire cesse, faute d’objet :
La civilisation dont elle racontait la marche a pris fin.

Malevil ou le bon sens paysan, Le post apo du terroir.



Présentation de l'éditeur :


À la suite d'une explosion, sans doute nucléaire, qui a selon toute vraisemblance ravagé la Terre entière, Emmanuel Comte et ses six compagnons font du château de Malevil, dont la profonde cave leur a permis de survivre, la base de départ de leurs efforts de reconstruction de la civilisation, qui passera également par l'affrontement avec d'autres groupes de survivants, que ce soient des bandes errantes ou des groupes structurés nomades ou sédentaires.

Mon ressenti :


Quatre copains d'enfance dans la campagne du Périgord raconté par Emmanuel, l'ex directeur d'école du village de 400 âmes, devenu patron d'une exploitation agricole florissante. Une personnalité ambigüe : humaniste mais cynique et manipulateur.
Sa maitresse de maison, une vielle femme appelé La Menou, une "vieille coriace, elle ne manque pas de cœur, même s’il faut le trouver sous plusieurs épaisseurs d’écorce." et son fils Momo, un grand dadais de 49 ans qui n'a pas la lumière à tous les étages et s'exprimant en patois simplet "Mébouemalabé oneieu ! Emebalo !" (Mais foutez-moi la paix, nom de Dieu. J’aime pas l’eau !)
Le camarade Meyssonnier, celui qui a sa carte du Parti, toujours à fustiger les attitudes capitalistes et lorgnant de son oeil mauvais tout ce qui touche à la religion. Appelé malgré son étiquette à faire de grandes choses.
Peyssou, le campagnard typique, celui qui fait plutôt que tergiverser.
Colin, le malingre toujours à vouloir prouver sa force, mais oubliant qu'elle réside dans son astuce.
Et Thomas, le géologue parisien, "un peu raide, un peu gauche encore, en homme de la ville qui n’a pas encore le geste bien rond, ni assez prompte, l’insulte amicale."
Il y a aussi les quelques autres qui apparaitront et disparaitront au fil des pages.
Je vous parle longuement des personnages car c'est l'une des forces de ce texte. Toujours bien brossés, tout en nuance, jamais tout blanc ni tout noir, mais au final pas tout à fait gris non plus. Des psychologies complexes que l'on découvre peu à peu.
La Menou, avec son franc parler m'a fait passer de très bon moment, toujours avec ses bons mots, parfois médisants.
Robert Merle prend son temps, le temps qu'il faut, pour dresser sa géographie, ses protagonistes, leurs histoires. Le quotidien dans toute sa banalité. Et puis, lors d'une réunion informelle dans une cave du château de Malevil en dégustant un bon verre de vin : BOUM

L'originalité de ce roman, c’est d'avoir ancré son histoire dans le terroir, loin des décideurs de la Capitale. Pourquoi la catastrophe ? Qu'en est-il du reste du monde ? Des questions qui n'intéressent pas Robert Merle. Son credo serait plus une étude de psychologie sociale de quelques individus placés dans un environnement critique. Comme toujours, c'est dans les situations extrêmes que les gens révèlent leurs vrais visages, et ici, le lecteur est servi. Nous suivons donc leur tentative de se créer un petit havre de paix malgré l’événement dramatique. Relations sociales, survie, vie politique, religion et tensions dramatiques bercent le lecteur tout au long du récit. Sans oublier les relations hommes femmes.
La place de la femme dans le récit, cela fait parfois tiqué, le lecteur se demande : Merle misogyne ? Non, j'y vois plutôt la continuation de l'ancrage campagnard du roman dans ces années 1970 : la femme au fourneau, les hommes au bistrots, les nouvels moeurs du 68 parisien ne sont pas encore arrivée dans le peroçgord ? Les lignes sur la description de leur corps, (loin du dictat de la maigreur, nous sommes en campagne ! ) et leur rôle au final assez fort, je pense ne pas me tromper. Notamment en poursuivant la lecture, Merle propose d'autre moeurs plus à mêmes de régir ce nouveau monde : amour libre, prêtrise qui peut avoir une copine, utopie communautaire... Il faut savoir s'adapter si l'on veut survivre.

Un grand merci à l'honorable maison Gallimard qui ne daigne même pas offrir ce splendide roman en version électronique malgré l’exploitation de plusieurs dizaines d'années.

Un roman post apocalyptique du terroir qui fait la part belle aux hommes. Les pages s'animent et surviennent les images des mots. Le tout est servi par une belle plume qui nous fait vivre au plus près cette campagne oubliée. Bref, je vivais pleinement avec les personnages. Et une fin ouverte pour laisser le lecteur décider de la suite des événements.

Un film de Christian de Chalonge sorti en 1981,avec Michel Serrault, Jacques Dutronc, Jean-Louis Trintignant et Jacques Villeret. Vous pouvez zapper son visionnage si vous avez le roman pour les personnages. Le film débute dès la catastrophe sans que l'on sache vraiment qui et qui. La psychologie est assez binaire, la trame peu respectée et la fin y est différente. Le dialoguiste a été engagé à temps partiel, donc ils sont réduits à l’extrême. Par contre, les images des paysages sont splendides.

Et pour finir, un florilège de couvertures offertes par les maisons d'éditions du monde entier, de la plus fidèle (l'édition turque qui illustre le billet) à la plus surprenante (l’édition bulgare)


Edition française
Edition portugaise

Edition allemande

Edition anglaise
Edition arabe

Edition bulgare

Edition lettone

Edition tchèque
Edition tchèque



 Quelques citations :

En tout cas, dans ce domaine [la religion], je suis très méfiant, et pas seulement à l’égard des prêtres. J’ai, par exemple, la plus vive antipathie pour les gens qui se vantent d’avoir supprimé Dieu le Père, traitent la religion de « vieillerie » et la remplacent aussitôt par des gris-gris philosophiques tout aussi arbitraires.

— Ce n’est pas une idée de curé, dit Thomas avec un ton rageur qui lui fait le plus grand tort. Tu ne diras pas le contraire : une fille qui couche avec tout le monde, c’est une putain.
— Erreur, dis-je. Une putain, c’est une fille qui couché pour de l’argent. C’est l’argent qui rend la chose immorale. Et non pas le nombre des partenaires. Des femmes qui couchent avec tout le monde, tu en trouveras partout. Même à Malejac. Et personne ne les méprise.

Dans la société de consommation, la denrée que l’homme consomme le plus, c’est l’optimisme. Depuis le temps que la planète était bourrée de tout ce qu’il fallait pour la détruire – et avec elle, au besoin, les planètes les plus proches –, on avait fini par dormir tranquille. Chose bizarre, l’excès même des armes terrifiantes et le nombre grandissant des nations qui les détenaient apparaissaient comme un facteur rassurant. De ce qu’aucune, depuis 1945, n’avait encore été utilisée, on augurait qu’on n’oserait et qu’il ne se passerait rien. On avait même trouvé un nom et l’apparence d’une haute stratégie à cette fausse sécurité où nous vivions. On l’appelait « l’équilibre de la terreur ».

Il faut bien le dire aussi : Rien, absolument rien, dans les semaines qui précédèrent le jour J, ne l’avait laissé prévoir. Il y avait bien des guerres, des famines et des massacres. Et çà et là, des atrocités. Les unes flagrantes – chez les sous-développés, les autres, plus cachées – chez les nations chrétiennes. Mais rien, en somme, que nous n’ayons déjà observé dans les trente années passées. Tout cela se situait d’ailleurs à une distance commode, chez des peuples lointains. On était ému, certes, on s’indignait, on signait des motions, il arrivait même qu’on donnât un peu d’argent. Mais en même temps, tout au fond de soi, après toutes ces souffrances vécues par procuration, on se rassurait. La mort, c’était toujours pour les autres.
Les mass média – j’ai conservé les derniers numéros du Monde et l’autre jour, je les ai relus – n’étaient pas alors particulièrement alarmantes. Ou elles l’étaient, mais à échéance lointaine. La pollution, par exemple. On prévoyait que, d’ici quarante ans, elle mettrait la planète à deux doigts de l’abîme. Quarante ans ! Je crois rêver ! Que ne les avons-nous devant nous !
C’est un fait, je le dis sans ironie car elle serait par trop facile : journal, radio, télévision, aucun des grands organes d’information qui nous renseignaient si bien – en tout cas, si abondamment – ne pressentit en aucune façon et à aucun moment l’événement. Et quand il tomba sur le monde, ils ne purent même pas le commenter après coup : ils avaient disparu.

L’homme, c’est la seule espèce animale qui puisse concevoir l’idée de sa disparition et la seule que cette idée désespère. Quelle race étrange : si acharnée à se détruire et si acharnée à se conserver.

Chose bizarre, bien que les journées aient le même nombre d’heures, elles nous paraissent infiniment plus longues. Au fond, toutes ces machines qui étaient supposées faciliter notre tâche, autos, téléphone, tracteur, tronçonneuse, broyeur de grain, scie circulaire, elles la facilitaient, c’est vrai. Mais elles avaient aussi pour effet d’accélérer le temps. On voulait faire trop de choses trop vite. Les machines étaient toujours là, sur vos talons, à vous presser.




4 commentaires:

  1. Je ne suis pas surprise que ce roman t'ait séduit. Je l'ai lu dans mon adolescence et je m'en souviens encore pour te dire combien il m'avait marqué à l'époque. (je n'ai jamais vu le film, et je vais m'en passer). Je garde assez précisément en mémoire les scènes dans la cave et le reste qui m'avait paru assez logique.
    Faudrait peut-être que je le relise adulte, mais j'appréhende en même temps de perdre cette image forte qui me reste d'un excellent roman.

    Quelle bonne idée que ces illustrations internationales. C'est vrai que la version bulgare est particulière, la française ne reflète guère le roman.

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    1. Je l'avais lu aussi durant ma jeunesse, mais je voulais me replonger dans la plume de l'auteur. C'est un roman marquant pour toute une génération.
      Et quand les images restent après tant d'années , c'est le signe d'une grande réussite.

      Les couvertures m'avaient interpellé par leurs différences , il fallait que je vois en fasse profiter...

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  2. Il y a un moment que j'ai acquis ce livre chez un bouquiniste, il est resté en France donc je le lirais à mon retour, devant ton enthousiasme canin je ne peux qu'être impatient.

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    1. Tu es la première personne qui réagit à cette critique en ne l'ayant pas lu durant son adolescence ou sa jeunesse !
      J'espère que tu seras aussi enthousiaste que moi

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