Le 33e mariage de Donia Nour


Hazem Ilmi, Denoël, 2018, 368 p., 15€ epub avec DRM



La religion, c’est ce qui empêche le riche d’être assassiné par le pauvre.
Napoléon Bonaparte



Certifié harām

Présentation de l'éditeur :


Égypte, 2048. Le pays est sous l’emprise du Nezam, dictature d’un genre nouveau, mariage infernal entre consommation et religion.
Avide de liberté et incapable de s’adapter à cette étrange tyrannie, une jeune femme, Donia Nour, n’aspire qu’à une chose : quitter le pays. Malheureusement les frontières sont étroitement surveillées et le passage en Europe coûte un kilo d’or. Elle décide donc de tirer profit du système : elle épouse régulièrement des hommes fortunés et fait annuler le mariage aussitôt le douaire empoché. Mais, le soir de son trente-troisième mariage, la situation dégénère, et elle se trouve contrainte de prendre la fuite. Au cours de sa cavale désespérée, elle prend conscience de l’ampleur des machinations mises en place par les riches et les puissants. Très vite, elle comprend qu’au-delà de sa propre vie, c’est la liberté du pays tout entier qui est en jeu.


Mon ressenti :

Chère Donia Nour,

Nous avons constaté que, les 9 et 10 septembre 2048, vous avez omis d’effectuer la prière du matin. Nous vous informons par le présent avis que les infractions répétées au devoir de prière matinale inscrit dans la Constitution égyptienne sont préjudiciables à votre âme et susceptibles d’entraîner des investigations concernant votre réputation.

La Paix soit avec vous,

LE MINISTÈRE DES STRATÉGIES DE RÉDEMPTION


En 2048, le e-jab est en train de détrôner le hijab. Il est fait en tissu connecté et affiche de la pub. A chaque heure portée, à toi les points pour aller au paradis ainsi que quelques piécettes. Un must qui se doit d'être couplé au chapelet magique qui te donne des points supplémentaires si tu fais bien ta prière. Et si tes parents ton choisi un prénom béni, à toi 1000 points supplémentaires.
Bienvenue au Nizam, une dictature théocrate consumériste égyptienne

Il contrôla les chiffres d’un autre écran et constata que le recours au chariatainment avait triplé en Moyenne-Égypte. Demain, les centres commerciaux seraient pleins. Zulkheir sourit.
La conviction première du Nizam était que rien ne tranquillise plus efficacement les êtres humains qu’une consommation ininterrompue. Zulkheir connaissait Karl Marx, et il savait qu’il avait tout faux. L’opium du peuple, ce n’était pas la religion, mais la consommation. Si le système parvenait à lier les deux, alors la drogue obtenue ne perdait nullement son effet avec le temps. Elle provoquait une irrésistible dépendance. À vie.

Les clés de ce monde dystopique nous seront livrés par Donia Nour, employée pas très modèle, à la foi peu religieuse, dont l'univers va basculé le jour de son 33ème mariage. Et aussi par celle d'Ostaz en 1950, prof de droit et de philo qui aime débattre. A la veille de son procès pour blasphème, il se fait enlever par des extraterrestres qui voyagent à travers la galaxie à la vitesse de la lumière et ce qui devait arriver arriva avec la loi de la relativité restreinte, à son retour sur Terre, il s'est passé 100 ans depuis son enlèvement...

Religion, place de la femme, relation riche/pauvre, consommation, un roman parfois violent, contrebalancé par l'humour et le cynisme. Il y a de l'inventivité, de l''originalité, dans ce gouvernement d'un pays arabe autarcique qui utilise la religion et la consommation pour rester au pouvoir et asservir la population.

Donia remit son foulard en prenant bien soin qu’aucun cheveu ne dépasse. Sur l’e-jab, on voyait justement clignoter le logo de Nike assorti du fameux slogan Si Dieu le veut, just do it !

Une critique acerbe, aiguisée et virulente de la religion, à la manière d'un James Morrow. L'auteur condamne fermement les œillères, le fondement d'une manière de vivre sur un texte écrit il y a quelques milliers d'années et le manque d'ouverture à l'autre. La foi n'est qu'une chaine qui vous maintient à votre place, d'autant lorsqu'elle est au main des puissants. Et sa satire est argumentée, moi qui déteste les bigots, les religions et les dieux, j'étais aux anges.Pour autant, l'auteur ne laisse pas son intrigue de côté, et j'étais impatient de savoir comment tout cela allait se terminer.

J'ai souvent lu des romans sur la critique de la religion catholique, mais c'est la première fois que j'en lis sur l'Islam. Une très bonne découverte. Si vous aimez les dystopies, les romans féministes, si vous adorez James Morrow, jeté un oeil sur ce roman
Petite précision, ce roman est sorti dans la collection "& d'ailleurs" et non pas "Lunes d'encre" des éditions Denoël dans laquelle il aurait pu paraitre sans problème.


Quelques citations :



 Donia rougit, tripota son foulard et répondit : « Oui, Baba, c’est ça. C’est un e-jab. »
Avec soin, elle rentra tout tissu inutile à l’intérieur de son col, puis pressa un bouton. Le tissu s’alluma. De petits logos apparurent, disséminés sur toute la surface du voile.
« Les marques changent toutes les heures, précisa-t-elle en voyant son père ouvrir des yeux ronds.
— Et c’était un bon achat ?
— Je reçois 30 points et un virement de 20 piastres pour chaque heure où je le porte en public. »
Donia avait eu les larmes aux yeux en calculant qu’il lui faudrait porter cet e-jab 860 000 heures, soit 98 ans, pour pouvoir s’acheter la voiture qu’elle voyait en rêve.

Le premier jour de son contrat chez RosarPlus, elle avait allaité ce collègue. Ou, plus précisément, elle avait allaité chacun de ses quatre-vingt-quatre collègues de sexe masculin, depuis le patron jusqu’au stagiaire.
[...]Pour sa première journée de travail, une collègue lui avait demandé de se placer derrière une fine cloison où on avait fait un petit trou. On l’avait alors priée de passer un de ses mamelons dans le trou. De l’autre côté de la cloison, chaque salarié homme était venu téter tour à tour. Techniquement parlant, en l’absence de lait, elle ne pouvait avoir réellement « allaité » aucun d’entre eux ; mais les hommes avaient tous bu une gorgée de lait symbolique, sitôt que leurs lèvres avaient quitté son sein.
[...] Il s’agissait là d’une solution particulièrement raffinée au problème que posait la présence conjointe d’employés des deux sexes dans un espace réduit, notamment en soirée. On avait expliqué à Donia que l’allaitement conduirait les hommes à ne plus voir les femmes que comme des nourrices. En ce sens, Donia deviendrait la nourrice de tous les hommes présents dans l’entreprise — des hommes droits, qui ne se laisseraient jamais aller à faire des avances à celle qui les avait nourris.



— Ce-sont-de-faux-dieux ! » éclata Zulkheir.
Le juge placé à sa droite intervint. « Tu n’es pas ici pour poser des questions ridicules. Réponds plutôt : es-tu un athée ?
— Mais justement, voici ma réponse : par rapport à la plupart des cultures de l’histoire mondiale, chacun de vous est un athée, dans la mesure où il ne croit pas à leurs dieux. »
Regardant intensément les spectateurs, Ostaz poursuivit : « Et moi, je suis comme vous. Moi aussi, je rejette ces dieux. Sauf que j’ajoute un dieu sur la liste de ceux auxquels je ne crois pas. Si vous voulez, vous êtes tous des athées, et moi, je suis une athée plus un. »

« Pourquoi cette haine envers Dieu ?
— Haïr, moi ? Haïr Dieu ? Pas du tout…
— Alors dis-moi au moins pourquoi tu détestes l’islam.
— Je ne déteste pas non plus l’islam. Cela dit… pour être tout à fait honnête, le concept n’est pas précisément à mon goût. Toute cette histoire de soumission…
— Tu es contre le fait de se soumettre à la volonté de Dieu ?
— La volonté de Dieu, qu’est-ce que c’est, au juste ? Ça ne t’a jamais paru suspect de voir la volonté de Dieu s’accorder si joliment avec les intérêts des puissants ? Pour la plupart des acteurs de l’histoire, la volonté de Dieu n’est rien d’autre qu’une voix menaçante dans leur tête qui justifie l’oppression des femmes et la destruction de ceux qui pensent autrement. Rien de plus. Je trouve cette idée de soumission extrêmement dangereuse en soi. »

Seule l’intolérance permet aux religions de traverser les siècles. Regarde un peu l’histoire : les religions qui ont conquis le monde sont celles qui ont prétendu être la seule vraie religion. Les religions plus souples, plus spirituelles, comme celle des Aborigènes, ont presque entièrement disparu. Elles ne pouvaient pas rivaliser avec la force de l’intolérance, cette drogue que les religions distribuent à leurs fidèles.
Ostaz se laissa tomber dans le fauteuil.
« Je suis désolé, Donia, fit-il avec une grimace, mais ce livre qui devrait guider les humains en tout lieu et en tout temps n’est pas assez bon, c’est tout. Il y a 1 400 ans, pardon, 1 500, il était sans doute progressiste ; mais pour qu’on le prenne au sérieux aujourd’hui, il faudrait que ses conceptions de la morale soient moins ringardes. »
Bien sûr que je sélectionne ce qui m’intéresse. Plutôt deux fois qu’une ! Je prends les meilleurs passages, et le reste, je le laisse de côté. J’aime ma religion. Elle fait partie de mon identité. Mais une religion doit évoluer, sans quoi elle finit par disparaître. Aussi longtemps que mes frères en religion considéreront le Coran comme la parole intangible de Dieu lui-même, notre religion restera bloquée au Moyen Âge. Exactement comme toutes les autres religions avant qu’elles ne se débarrassent de leur lecture littérale des textes.





Récapitulatif

12 commentaires:

  1. Ce livre est sur ma liste de livres à lire, ce que tu en dis conforte sa position.

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    1. Très bon choix, j'espère que tu y prendras autant de plaisir que moi à sa lecture

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  2. Oh tu m'intrigues ! Je le note dans un coin. Merci pour la découverte.

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  3. Encore un pauvre petit roman de SFFF égaré dans les vastes prairies de blanche. Heureusement que le courageux chien de berger critique est là pour nous faire découvrir cela.
    Avec en prime un auteur qui n'oublie pas que le message c'est bien, mais avec une histoire c'est mieux, hourra !

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    1. Et oui, certains auteurs jouent à cache cache avec les lecteurs SF.
      Je l'avais repéré sur les étagères numériques de ma médiathèque, classé en SF. Merci à eux.

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  4. Et bah j'en aurais jamais entendu parler sans ta chronique. Merci, je suis intriguée maintenant !

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    1. C'est le but aussi de parler de romans qui prennent l'ombre

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  5. Intrigant. Je me laisserai bien tenter...

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