Les coulisses du libraire : Benjamin, smicard mais passionné

Libraire et fier de lettre – Le libraire se doit d’être multitâche.
Illustration : Jean-Baptiste MUS - Source



Tu aimes les livres, les lire, leur offrir les plus belles étagères pour les mettre en valeur ? Pourquoi ne pas en faire ton métier, comme libraire ?
Benjamin a sauté le pas et te raconte son labeur quotidien sans langue de bois, sur les questions sensibles telles que la dématérialisation croissante du livre, ou encore le grand méchant ogre Amazon. Car être libraire au 21ème siècle, ce n’est pas facile tous les jours.
Alors, avant d’entamer ta formation en septembre, lis bien ces quelques lignes, il n’est jamais trop tard pour changer d’avis !
Et si tu habites près de son coin, n’hésites pas à aller l’emmerder pour l’empêcher de lire durant son temps de travail.



Peux tu nous dire qui tu es, ton parcours professionnel ?

Je me prénomme Benjamin, j’ai d’abord suivi une formation d’archéozoologie, un mois de labo plus tard et j’entamais ma formation de libraire à l’INFL. J’ai travaillé à Paris dans de petites librairies généralistes (dans une très bonne l’Atelier 9, et une moins bonne qui a fermé pour votre plus grand bien), puis à Toulouse en littérature en poche, puis à Montpellier depuis mi-2019 pour un bon gros rayon SFFF. Si tu veux me serrer la main pour me transmettre le Covid il te suffira de chercher la plus grosse librairie de Montpellier (il faudra aussi que je ne sois pas en repos ce jour-là).


Tu travailles dans le rayon de l'Imaginaire, un choix de ton employeur ou ces littératures sont ce que tu aimes ?

Je suis un bon amateur de littérature de l’imaginaire, mais je ne suis pas que ça. J’aime également la littérature générale, j’ai une affection particulière pour les transfictions. Je suis un amateur de BD et manga et de livres de cuisine.


Peux tu nous évoquer les romans qui ont ta préférence ?

Je ne suis pas en quête de divertissement pur, j’aime les romans qui me nourrissent que cela soit intellectuellement ou émotionnellement. J’ai peut-être une affection naturelle pour la fantasy. J’ai toujours été plus attiré par les univers médiévalisant mais ça n’impacte que légèrement mes lectures au final. En revanche, ça conditionne bien plus mes autres loisirs.


Quelle est ta clientèle ? Des jeunes boutonneux jouant à des jeux de rôles tout en regardant des films de SF au cinéma ? Des anciens boutonneux bedonnants jouant à des jeux de rôles tout en regardant des films de SF au cinéma ? Évolue t-elle ?

La clientèle change mais plus parce que la librairie dans laquelle je bosse subit une mutation depuis son rachat qui n’est pas forcément au goût de tous. Pour faire simple, on prend une direction plus grand public, on augmente la part des produits non livre (comme des épices…), ce qui impacte notre image. La librairie mute, la clientèle mute également.

La clientèle pour le rayon est éclectique. Je ne suis pas le plus grand amateur de taxonomie mais si je dois regrouper en quelques ensembles ma clientèle on peut dire qu’il y a les lecteurs aguerris qui seront les plus curieux, les nouveaux lecteurs qui ont passé le cap de la honte et assument leurs goûts pour l’imaginaire (généralement ils ont au moins 30 ans), j’ai les lecteurs de Bit-lit, les lecteurs de pulp (aussi bien heroic fantasy que de space opéra), et l’ensemble des lecteurs qui vont de droite à gauche. Il y a tout de même une évolution qui se fait depuis quelque temps. Je trouve que l’imaginaire se démocratise un peu, avec Game of thrones, puis avec le dernier Damasio. On peut coupler cela avec l’évolution de la population, les jeunes qui lisaient de l’imaginaire et qui sont adultes aujourd’hui ne méprisent pas la littérature de genre. De plus en plus de gens semblent accorder un nouveau regard au rayon.


LA SFFF, c'est de la science fiction, de la fantasy et du fantastique. Tes clients préfèrent lire de la merde ou de la vraie littérature, de la SF ?


On sent un léger parti pris dans cette question…Ici la SF a un peu plus de place sur table. Le fantastique peine un peu plus. En dehors de Stephen King ou de Lovecraft, j’ai du mal à mettre en avant d’excellents titres ou des maisons d’éditions comme le Visage vert. J’ai de l’espace et je suis dans une grande ville. Ma clientèle ne penche pas forcément d’un côté ou de l’autre. Pour être franc, je ne pense pas avoir le recul nécessaire pour bien cerner les goûts de ma clientèle, bien que le ratio sur la table tend à confirmer un goût plus prononcé pour la SF.


Il y a encore une belle grosse étiquette de littérature pour débile ou/et enfantine qui colle à la SFFF, comme pour la BD


La SFFF fait partie des mauvais genres, à quoi cela est dû et penses-tu que cela peut évoluer ?

Je ne suis sûr de rien, mais je pense que cela est en parti dû au monde du cinéma. Je pense que l’être humain est essentiellement visuel et que l’image que l’on en a est essentiellement le fruit des images produites et fortement stéréotypé du cinéma (qui se reposent sur les pulps du début du siècle dernier). Je fais référence au cinéma grand public. En outre, j’ai quelques clients qui sont attirés mais abandonnent l’idée d’acheter à cause de la couverture. C’est franchement dommage. C’est un peu comme la littérature érotique. Ce qui explique peut-être que ces deux rayons fonctionnent bien en version numérique en comparaison aux autres. Il y a encore une belle grosse étiquette de littérature pour débile ou/et enfantine qui colle à la SFFF, comme pour la BD (“non pas une BD, prend plutôt un VRAI livre”). Je pense que ça change doucement depuis quelques années avec la mutation de notre population. Les enfants/ados qui lisaient de l’imaginaire sont adultes et non pas forcément ce dédain envers cette littérature. Quelque part les geeks gagnent du terrain pour le plus grand bien de ce rayon. L’autre gros défaut c’est l’absence de critique. Ursula Le Guin en parle très bien dans « Le langage de la nuit » (Aux forges de Vulcain ou Ldp si jamais). Parce qu’il faut être honnête, il y a une belle quantité de merde (au niveau de l’écriture). Trop d’auteurs ou d’autrices se lancent en oubliant que ce qui fait la littérature c’est la poétique et non l’histoire.


Pour beaucoup, le travail d'un libraire est de s'asseoir et lire. Y a t-il du vrai ? Quel est ton labeur quotidien ?


Malheureusement, je n’ai pas eu souvent le loisir de m’assoir pour lire au boulot. Cela dit, il y a du vrai (un tout tout petit peu). Grosso modo, en fonction de la taille de la librairie, il y aura le traitement des cartons (les livres à faire entrer ou à faire sortir), l’étiquetage ou non des ouvrages, le rangement de la paperasse que cela engendre, ranger les livres en rayon, penser le rayon et la cohérence et/ou l’articulation de la librairie, penser les thématiques possibles à mettre en avant, penser sa ou ses vitrines, le travail des nouveautés que cela soit des bons de commande que des rencontres avec des représentants, le travail des opérations commerciales parce que ça permet de gratter un peu de sous, idem pour les appels d’offre. L’écriture des notules que nos clients gardent parce ça apporte un petit plus au livre. Faire de la veille au niveau des médias parce que si untel parle d’un livre dont tout le monde se fout, il va subitement devenir le livre que tout le monde veut. Enfin bref, il y a beaucoup de petites choses comme ça, mais par moment, quand il n’y a plus rien à faire ou du moins plus rien d’urgent à faire on peut s’offrir un instant de lecture. Quand j’étais en librairie généraliste, ces rares (j’insiste sur le mot “rares”) moments étaient dédiés à la lecture d’albums jeunesses qui ne nécessitent pas la plus grande des attentions et sont suffisamment courts pour lire sans être coupé par l’arrivée de clients.



Devenir libraire c’est comme devenir moine mais avec le sexe


En partant du fait que la part du libraire est d’environ 35%-40% (Soit 7€ pour un livre de 20€), il faudrait vendre plus de 400 livres (20 par jour) pour dégager un chiffre d’affaire de 3000€, auquel il faut retirer les charges fixes (loyer, taxes, ...). J’imagine que le salaire ne doit pas être la motivation première. Comment un libraire peut s’en sortir ?

Un ami libraire m’a dit une fois que devenir libraire c’est comme devenir moine mais avec le sexe. Je m’en sors en faisant des croix sur des choses que j’aimerai faire, comme n’importe qui au smic en fait. Il y a des libraires qui gagnent bien leur vie, ça dépend du coin, la concurrence, la richesse des clients, ce que l’on a négocié ou ce que l’on a pu négocier avec nos représentants et de ce que l’on appelle “bien gagner sa vie”. Pour l’instant mon expérience d’employé ressemble plus à “vivre de sa passion ça devrait suffire, non ?”.


Pourquoi avoir fait le choix de travailler comme salarié plutôt que d’ouvrir ta propre boutique ?

On va dire que pour ouvrir sa boutique, il faut se stabiliser dans un endroit, monter un dossier pour avoir les aides nécessaires (parce que je n’ai pas un rond en poche… c’est entre parenthèse mais c’est au final très déterminant). C’est compliqué d’ouvrir seul, ça demande une grande motivation et un investissement quasi religieux. Du coup, faut que je me trouve un ou une partenaire au minimum. Après faut être d’accord sur ce que l’on veut faire.
J’aimerai ouvrir quelque chose, mais faut trouver et l’endroit et l’argent et le ou la partenaire.
Du coup être salarié c’est un peu une option de facilité, une certaine garantie d’avoir une paie en fin de mois, et ça permet de rencontrer pas mal de monde. En outre, ça me permet de m’adonner à d’autres projets sereinement.


Pourrais-tu nous dire comment se fait la sélection de livres que tu as en stock. C'est toi qui choisit ou te met-on la lame sur le cou en t'obligeant à les écouler ? Quel est le rôle du diffuseur ? Du commercial des maisons d’édition ? J'entends parler d'office, de retours libraire. Peux-tu nous éclairer sur la réalité qui se cache derrière ces termes.


Alors là encore ça dépend des librairies. Il y a des catégories, une librairie dite de niveau 1 choisit ce qu’elle reçoit ou non dans sa librairie. Une librairie de niveau 2 est soumise à une grille d’office qui lui imposera certains titres tout en lui laissant la possibilité de rajouter d’autres titres. Cette histoire de niveau fait simplement référence à une sorte de podium pour le fournisseur où ses X meilleurs clients sont au niveau 1, puis la tranche en-dessous au niveau 2 etc. Les meilleurs clients des fournisseurs ne sont pas forcément les plus gros vendeur (le plus gros CA). Pour plus de précision, je pense qu’il vaut mieux s’orienter vers le SNE (syndicat national de l’éditions).

Normalement on doit garder une nouveauté 3 mois en stock avant d’avoir la possibilité de la retourner à notre fournisseur. Si on n’arrive pas à vendre un livre, il est possible (sous certaines conditions) de le retourner. Cela génère un avoir qui nous permettra de commander d’autres livres chez ce même fournisseur. C’est en parti pour cela qu’une librairie tient. Il est possible parfois d’acheter en ferme (donc sans possibilité de retour) contre une meilleure marge. Le rôle du représentant est de présenter les nouveautés et les opérations commerciales à venir. C’est avec eux que l’on négocie des remises supplémentaires ou des échéances pour nos factures.

Le but du diffuseur est simplement de faire en sorte que son catalogue soit bien représenté sur l’ensemble du territoire. Un bon représentant sera capable d’épauler le libraire en effectuant une première sélection. Un mauvais voudra tout caser bêtement sans se soucier de savoir si un livre trouvera un lecteur ou non. Parce que la diffusion travaille sur la mise en place uniquement sans soucis des retours.



Livre électronique, impression à la demande, livre audio, abonnement illimité, … A mon sens, la route est tracée et si le scénario de l'industrie musicale se confirme, les librairies seront les prochains disquaires, nous irons leur rendre visite à la Toussaint dans une dizaine d'années. Je me doute que ton avis est différent, peux-tu nous en toucher un mot ? Est-ce que la dématérialisation croissante te donne des sueurs froides ?

Absolument pas. Le disque et le livre sont deux biens différents. Je pense que c’est une question d’investissement en terme de temps. Un livre prend rarement autant de temps qu’un album à être « consommé », et ce temps fait toute la différence. De plus, il y a l’aspect sociétal du livre. Le livre audio augmente un petit peu (le catalogue pas forcément les ventes dans ma librairie) et c’est une bonne chose à mon sens, même si les choix sont encore trop limités. Je pense que c’est une super alternative pour « ceux qui n’aiment pas lire » mais qui sont curieux.

Le livre numérique progresse que trop peu en France pour s’alarmer. Les livres numériques sont bien pratiques mais manque encore cruellement de choix. L’impression à la demande est une vaste blague qui manque d’encadrement. Je suis bien content de lire « impression à la demande » et non autoédition qui à mon sens est une erreur qui occulte le travail d’une maison d’édition. L’impression à la demande s’est sympa pour qui veut sortir un livre pour son entourage mais c’est tout. À la limite, je comprends que cela puisse servir une personne qui n’arrive pas à trouver une maison faute de connaissance sur le comment et le pourquoi et qui n’ose pas se renseigner. Si la personne est déterminée, elle pourra constituer un petit réseau de fans qui pourront appuyer les prochaines demandes d’éditions. C’est un sujet dont on peut parler longuement. Je trouve le sujet de l’auto publication complexe et riche.
Pour l’abonnement, j’admets que je ne connaissais pas, j’ai pu regarder un peu et le catalogue semble soit très singulier ou très limité. C’est intéressant, ça me fait penser à France Loisir en version plus moderne. Le netflix du livre n’est pas encore là, ça peut me donner des pistes de reconversion.

Pour ma part, je considère le libraire comme un défenseur (et vendeur également parce qu’il faut se nourrir) de texte, de contenu et non du livre comme objet, comme contenant. Il y a de très beaux livres, bien réaliser mais c’est au final le texte qui prime. Si un jour, on trouve le moyen d'exercer en dématérialisé, alors pourquoi pas. Ceci dit, c’est aussi une question de contact humain, le livre papier c’est palpable. Tant qu’il restera des gens en quête d’échange direct, il y aura des libraires.


La nouvelle marotte de bons nombres éditeurs SFFF est de faire des crowfunding. Autant d'argent pour les auteurs, illustrateurs et éditeurs, mais que dalle pour toi. Et tout ça sans aucun risque ! Pas mal de monde souhaite la mort du libraire on dirait !?


Non, je ne le prends pas ainsi. J’ai des collègues qui ne voient pas d’un très bon œil ce système, moi-même je n’étais pas spécialement content la première fois que j’ai vu un éditeur électrico-moutoneux le faire, mais il faut simplement se dire que ces ouvrages n’auraient jamais pu voir le jour sans ça. Je sais que pas mal de maisons d’éditions font ça parce que niveau thune c’est un peu compliqué et que la publication d’un ouvrage c’est toujours une prise de risque. Le financement participatif ne capte pas l’ensemble des acheteurs potentiels, donc il y a une place pour la librairie. Le plus gros problème ce sont les exclusivités crowfunding qui n’aboutissent qu’à un seul tirage et dont l’ouvrage n’est plus suivi par la suite. Personne ne veut la mort des libraires dans le monde de l’éditions, peut-être la mort de certains libraires (parce que ce sont de vrais connards et non parce qu’ils sont libraires). Pour parler simplement, la richesse du paysage éditorial français ne peut exister sans la présence de librairie.

Pour l’histoire, le premier financement participatif que j’ai vu était à l’initiative d’un éditeur dont il était impossible d’espérer avoir un service de presse. Je connais suffisamment l’éditeur pour savoir qu’il a eu de mauvaises expériences avec certains libraires, mais ça ne justifie pas le fait de ne rien envoyer à personne. Du coup, il y a eu une sensation assez désagréable où effectivement, j’ai pu me dire que le gars avait envie de travailler sans les libraires.

Pour mieux comprendre, le SP est un livre offert (il n’a pas forcément la tronche du livre fini) qui permet au libraire de se faire un avis sur un livre en question. Cela représente un coût non négligeable pour l’éditeur, et malheureusement parfois on trouve le livre pas super super et ça n’aboutit pas à la mise en avant du livre, et parfois on est super emballé et on en vend (ou du moins on en commande) des brouettes. Autant certains éditeurs fournissent un peu trop de SP (et on n’en veut absolument pas) autant certains n’en donnent pas. Il y a la figure amusante du “je veux un livre en SP et c’est l’autre bouse que tu m’envoies”.


On devient libraire parce que l’on veut se battre pour des livres, des maisons d’éditions.
Un libraire qui ne se bat pour rien doit changer de métier
parce qu’il y a plus rentable et moins casse pied.


Tu es un libraire indépendant, la morale veut donc que j'achète chez toi plutôt que dans la grande distribution. Je lis des éditeurs indépendants, le bon sens est de les soutenir en achetant directement chez eux. J'ai l'impression de vivre le syndrome d’aliénation parentale des enfants lors des séparations. Quel est, à ton sens, la bonne marche à suivre pour aider au mieux ?

Le mieux est d’acheter chez son petit libraire indé (qui n’est pas forcément l’indé de son quartier) bien qu’acheter en direct chez un petit éditeur c’est cool aussi. S’il n’y a plus de librairie, il y aura un appauvrissement du paysage éditorial, et ça sera un chemin de croix pour trouver de petites pépites. Déjà que c’est un chemin de croix pour nous… Pour illustrer un peu plus mon propos, le métier de libraire est un métier de conviction. On devient libraire parce que l’on veut se battre pour des livres, des maisons d’éditions. Un libraire qui ne se bat pour rien doit changer de métier parce qu’il y a plus rentable et moins casse pied.


Je lis exclusivement en numérique, je ne rentre quasi jamais dans une librairie. Pourquoi ne pas y vendre de livres électronique ? Ou des livres d'occasions ?


Une question de rentabilité pour le livre électronique. Le monde du livre est une vraie purge. En gros, l’accès au livre numérique nécessite un site ou une borne, des comptes, des trucs payants et faut pouvoir vendre suffisamment de livre numérique pour rendre ça rentable et du coup digne d’intérêt. Le livre numérique mérite un chantier à l’échelle nationale, malheureusement pour l’instant cela n’attire pas suffisamment.
Tout dépend de pourquoi on lit en numérique, mais s’il y a possibilité, j’invite le lecteur exclusif à visiter des librairies. Non pour passer au format papier, mais juste pour voir. Il y a une telle production, une telle quantité et variété de maisons d’éditions que ça permet de belles surprises.

L’occasion est un monde à part. La part des livres d’occasion dans le CA ne doit pas excéder un certain pourcentage sous peine de faire sauter des aides. Vaut mieux aller chez des spécialistes c’est mieux fait et tout le monde est content.

Le problème d’Amazon n’est finalement pas vraiment un problème de librairie,
c’est un problème d’espace public, de société.


Pour les bouquins que tu n'as pas en stock, tu peux les commander. Cependant, il faut environ une semaine pour le réceptionner, alors qu'Amazon me le dépose dans ma boite aux lettres le lendemain. En outre, j'ai l'impression que ces délais n'ont pas trop changé en 20 ans. Tu peux nous expliquer les dessous de cette histoire.

Quand on commande chez Amazon et qu’on reçoit le livre le lendemain c’est que le livre est en stock. Si Amazon n’a pas le livre en stock ça prendra autant de temps, parfois plus parce qu’ils font des commandes groupées, parfois moins si on a de la chance. Après Amazon arrive a imposé aux fournisseurs des conditions bien drastiques qui les pénalisent en cas de retard. Nous on peut toujours crever en cas de retard de livraison. C’est un long combat, mais je ne pense pas que l’on arrive au niveau de l’Allemagne pour la vitesse de livraison. Je préfère renvoyer au sociologue Harmut Rosa sur la question du temps social et notre besoin d’immédiateté. Je pense que ce qui implique un temps aussi long (Quand nos commandes arrivent le soir chez nos fournisseurs qui les traitent le lendemain et nous les envoient dès que possible par camions. il y a parfois plus rapide, notamment un fournisseur) c’est la nécessité de ne pas envoyer un camion pour trois fois rien. Question aussi bien écologique qu’économique. Le problème d’Amazon n’est finalement pas vraiment un problème de librairie, c’est un problème d’espace public, de société. Je peux en parler plus longuement avec plaisir.


Les prix littéraires en blanche font souvent s'affoler les chiffres de vente. Est-ce le cas des prix dans l'imaginaire ? Un événement comme les Utopiales, les Imaginales, les remises de prix ont-ils impact sur le nombre de ventes ?

Alors certains prix littéraires oui, beaucoup non. La moitié des prix littéraires européens sont français. Il y a une chiée de prix qui n’ont qu’un impact local. Certains prix fonctionnent mieux que d’autres. C’est très variable, mais généralement un prix rajoute un petit truc qui rend le livre plus attractif, mais rien de comparable à un prix Goncourt. Ceci dit, je pense qu’à l’échelle national cela doit se ressentir. Il faudrait interroger une maison d’édition. À l’échelle d’une librairie les prix de l’imaginaire ont un petit impact (mais un impact tout de même).


La collection Une Heure Lumière des éditions Le Bélial cartonne depuis sa création, tu le constates aussi chez toi ? Quels en sont les causes à ton avis ?


C’est simplement une collection d’une super qualité, même les plus mauvais sont bons. Le prix est celui d’un poche, les couvertures sont sobres et marquées SFFF. Ce ne sont pas forcément des ventes faramineuses mais c’est une collection qui a un fort caractère qui mérite d’être défendu. Du coup, dans mon rayon, je consacre une étagère à la collection.
Est-ce que ça cartonne ? On va dire que ça fonctionne. Je n’en vends pas des brouettes, les gens ne se ruent pas dans mon rayon pour l’avoir, mais ça fonctionne paisiblement.


Pour moi, c'est une ineptie d'ouvrir une librairie sans un site internet de commande et de réservation, ainsi que d'avoir une présence sur les réseaux sociaux. Quel est ton opinion ?

Je pense que ça demande du temps et de l’argent… et mine de rien sur internet les librairies sont invisibles. Amazon domine complètement le marché. Ceci dit vaut mieux vaut tard que jamais.
Après faut voir le site, certains se contentent d’une page facebook. Petite photo des nouveautés, possibilité de réserver le livre par message, c’est un moyen économique d’avoir un site. Parce qu’avoir un site sans vente de livres numériques ou/et de ventes à distance (avec livraison) est-ce bien utile ?
Faut aussi l’entretenir, si personne le fait, un site ou une page FB qui ne bouge pas n’est pas non plus super intéressant.e. Mine de rien, l’entretien/l’animation d’un site est chronophage et ne rapporte pas tant que ça, mais je suis d’accord. Au moins une page facebook avec un poste par semaine (minimum) ce n’est pas la mort, ça coûte pas grand chose, ça permet de faire des réservations.


Difficile de ne pas évoquer l'actualité du moment avec la Covid. Comment as-tu vécu cette période et aura-t-elle un impact sur ta librairie ?

J’étais confiné chez moi, c’était cool. Si j’étais proprio, je pense que je pleurais à chaude larme sur le plancher.


Les maisons d'éditions ont toutes craché par terre en disant "croix de bois croix de fer si j'mens j'vais en enfer", on va diminuer notre (sur)production pour préserver les libraires. Que penses-tu de ces promesses ? Peux-tu nous toucher un mot sur cette surproduction qui a envahi nos genres ? A-t-elle un impact sur ton travail ? En quoi moins produire aide le libraire ?

De la merde, il n’y aura pas de baisse de production, ou du moins presque pas, j’en suis prêt à mettre ma main à couper. La surproduction quel que soit le genre noie les livres. Une petite librairie ne peut pas tout prendre et c’est d’autant plus de chance d’entendre « vous n’avez rien ici ! ». Pour une grande librairie c’est la garantie d’avoir une table bien pleine, bien illisible et de pouvoir répondre « non » à la question « avez-vous lu ce livre ?». Cela dit plus tu produis et plus tu as de chance d’être sur la fameuse table des nouveautés une question mathématique. Il est impossible de tout lire du coup, on met sur table des choses dont on ne sait pas encore si oui ou non ça vaut vraiment le coup (après il en faut pour tous les goûts). Plus la production est faible et plus on peut affiner nos choix et plus on est sûr de ce que l’on met sur nos tables.


Robert Charles Wilson (mon auteur fétiche) est-il le plus gros vendeur de livres de ta boutique ?

Malheureusement non. À l’atelier 9, quand j’y étais ça devait être le cas, parce que notre rayon SFFF était relativement petit et qu’il y prenait une place démesurée.


Ce serait trop bête d'avoir un libraire sous la main sans lui demander si il a quelques conseils de lecture à nous proposer dans les différents genres ?


Bienvenue à Sturkeyville, de Bob Leman
aux éditons Scylla


Le Grand Midi, d’Yves et Ada Remy
au Visage vert




Galeux, de Stephen Graham Jones
à La Volte



Esther, d’Olivier Bruneau
au Tripode



Trop semblable à l’éclair, d’Ada Palmer
au Bélial


Un long voyage, de Claire Duvivier
Aux forges de vulcain



Et pas encore sorti mais pour bientôt un pavé chez Albin Michel Imaginaire mais je n’en dis pas plus, faut attendre septembre.

Note du chien : je  pari sur ce roman, mais chut !
La Marche du Levant, de Léafar Izen


Un très grand merci à lui
Pour la petite histoire, Benjamin avait vu passer mon billet sur un entretien invisible avec un libraire et m'avait contacté pour me dire qu'il me répondait sur certaines questions, à titre individuel. Au vue de la qualité et du côté très instructif, je lui ai proposé de partager cela sur mon blog. Je n'imagine pas le temps qu'il a passé pour fignoler l'ensemble mais bravo.
Alors si tu habites du côté de Montpellier, passe écouter ses conseils pour qu'il devienne le vendeur libraire du mois.

La librairie Le comptoir de la BD Versailles s'est prêté au jeu des questions-réponses

Si d'autres libraires veulent donner leur point de vue sur ces questions, contactez moi.

17 commentaires:

  1. Bravo, un entretien intéressant et sans langue de bois !

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    1. Merci.
      Il a joué le jeu avec franchise, c'est assez rare pour le féliciter

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    2. Merci à toi et à lui. Très instructif. Ca serait intéressant d'avoir d'autres librairies pour d'autres points de vue.

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    3. Je suis d'accord, mais ça ne se bouscule pas au portillon pour l'instant.
      ET merci à lui surtout, c'est lui qui a fait tout le boulot.

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  2. Questions et réponses très intéressantes ! Merci !

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  3. Super intéressant. Je rejoins beaucoup de choses dans ce qu'il dit, notamment l'évolution des lectures liée au fait qu'une certaine génération est aujourd'hui adulte! :)
    Je vais parler de mon interview à mon homme. Pas sûre du tout qu'il ait envie de répondre, mais qui sait. Il vend des BD, ça ferait un point de vue différent.

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    1. Il veut bien te répondre, bien qu'il trouve les questions "méchantes" :D Mets-moi un mot sur FB si tu veux que je vous mette en contact.

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    2. Mes questions ne sont pas méchantes, elles reflètent juste mes interrogations sur la profession, avec un peu de provoc pour montrer ce que certains pensent...
      Cool que ton homme veuille se prêter au jeu. Je modifie juste 2-3 questions pour mieux coller aux BD et je te recontacte dans la semaine. Dis lui merci de ma part.

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  4. Intéressant ! Je partage son point de vue sur beaucoup de points, en tant qu'ex-libraire.

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    1. Et moi, j'apprends un peu plus sur ta personne. Et pourquoi ex ?

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    2. J'ai eu des problèmes de dos qui rendaient compliqués le port de charges lourdes au quotidien, et vu que mon dos est pourri de base, ça n'aurait fait que s'aggraver avec le temps.

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    3. Ah, ok, j'avais peur que tu en avais eu plein le dos du métier de libraire !

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  5. Ça cite Damasio et les Moutons, on n'est pas dépaysés de notre microcosme blogosphérique. =P Bon, par contre, "Trop d’auteurs ou d’autrices se lancent en oubliant que ce qui fait la littérature c’est la poétique et non l’histoire", euh... ça serait trop demander d'avoir le fond et la forme ?
    Intéressant en tout cas, merci à vous deux. En plus, la prochaine fois que je voudrai des épices, je saurai où chercher... X_x

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    1. Heureux de t'aider pour tes courses.
      Pour le passage que tu cites, j'ai tiqué aussi, mais c'est son point de vue.

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  6. Très intéressant cet entretien, merci à toi pour ces questions exigeantes à Benjamin pour ses réponses prolixes ^^

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