Quand les souvenirs s'envolent...


Qui aurait cru qu'une simple sieste pourrait engendrer un excellent roman ? Apparemment, Emmanuel Quentin a découvert la recette secrète du succès : il lui suffit de s'endormir et d'attendre qu'une libraire onirique lui souffle le titre parfait, "Vent rouge". Ce roman, qui vient de paraître aux éditions Critic, incarne à merveille le slogan de la maison : "Des livres que vous ne lâcherez pas", une promesse sans doute née pour ce dernier opus d'Emmanuel Quentin. En explorant des thèmes tels que la mémoire, les souvenirs et la liberté individuelle, l’auteur dévoile les coulisses de sa création littéraire : écriture, relecture et travail éditorial. Une occasion rêvée pour, peut-être, succomber à l’appel du Vent rouge ?


Si vous ne connaissez pas Emmanuel Quentin, vous pouvez vous plonger dans cet autre entretien qu'il m'avait accordé : Emmanuel Quentin : L'écriture comme exutoire




Le chien critique : Résume ton livre de la manière la plus nulle possible.

Emmanuel Quentin : Le plus nul serait de reprendre la quatrième de couverture, non ?
Alors la voici : "Sur Sophis, chacun est soumis au règne implacable du Vent rouge. Simple phénomène météorologique ou manifestation surnaturelle, peu importe : quand il souffle, les souvenirs s’envolent, se mélangent, se perdent. Nul n’échappe à ses effets.
Pour tenter malgré tout de protéger son secret, Anat va faire ses adieux aux trois corps qu’il a découverts plongés dans des cuves en zone interdite. Lorsque l’un d’entre eux revient à la vie, il est loin de se douter qu’un péril plus redoutable que l’Oubli menace sa planète. Elle s’appelle Satia Layre. Elle est partie de chez elle il y a plus de 400 ans. Elle n’a rien oublié de sa mission, et rien ni personne ne l’empêchera de la mener à bien. "


Le titre "Vent rouge" t’a été soufflé par une libraire dans un rêve. Pourquoi ce titre t’a-t-il marqué au point de devenir un roman ?


Pour Dormeurs aussi, un rêve m'avait ouvert les portes du roman. J'avais du mal à avancer dans le récit, il y avait quelque chose qui ne fonctionnait pas. C'est en voyant la scène de l'opéra avec l'homme en rouge (tiens, tiens, à croire qu'il y a un truc avec cette couleur...) que tout s'est débloqué. Pour Vent rouge, une libraire m'informe donc qu'elle est désolée, elle n'a pas reçu les exemplaires de ce livre qui est pourtant celui qui fonctionne le mieux de tous mes titres. À mon réveil, je me suis dit qu'il y avait peut-être quelque chose à creuser. Il faut toujours écouter les libraires !



Est-ce une méthode que tu utilises souvent pour trouver l’inspiration ?

Pas forcément non, mais souvent lorsque je travaille tard sur une scène, mon cerveau continue de travailler en arrière plan quand je dors (c'est pareil pour tout le monde, je pense), et il m'arrive dans ma phase de réveil de penser à des incohérences ou à des pistes d'amélioration.


"Le Vent rouge" est-il une métaphore ? Si oui, que représente-t-il pour toi ?


Une métaphore, non mais un fantastique terrain de jeu, oui ! J'ai pu m'amuser à élaborer un monde avec ses règles, ses lois, ses travers et surtout, ceux qui le peuplent.


Penses-tu que Vent rouge reflète des problématiques contemporaines ?

Vent rouge expose deux civilisations qui sont soumises à une obligation de contrôle. L'une est hyperconnectée et chaque émotion des individus est auscultée, soupesée, enregistrée. L'autre est soumise au Vent rouge, ce phénomène qui provoque un échange de souvenirs entre personnes : potentiellement, donc, le moindre méfait, le moindre manquement, est susceptible d'être révélée à la communauté. Le contrôle et la soumission sont des problématiques qui ne sont pas nouvelles mais qui revêtent bien des apparats. Et notre monde contemporain ne manque pas de nous rappeler ses tristes conséquences.


Le titre évoque des éléments naturels et peut suggérer des problématiques environnementales. Est-ce un thème que tu souhaitais aborder ?


Pas nécessairement dans ce livre, ce qui ne veut pas dire qu'elles me sont étrangères, bien au contraire. Il n'est pas impossible que cet aspect soit évoqué dans le roman en cours d'écriture.




La mémoire et les souvenirs sont au cœur du récit. Quelle est ta vision de leur rôle dans la construction de l’identité, à la fois individuelle et collective ?


La mémoire est quelque chose qui m'interroge sans cesse. Peut-être parce qu'il lui arrive de me faire défaut, au point que j'ai tout un tas de petites anecdotes personnelles à ce sujet. Rien de grave, mais... mais... ça me perturbe parfois. Au-delà de cet aspect, il y a donc les souvenirs et ça c'est quelque chose qui me passionne. Pas forcément mes souvenirs, plutôt ceux des gens, de ce qu'il en reste, de ce que nous en faisons, avant de les transformer ou de les perdre complètement – soit pour faire de la place, soit pour les enfouir profondément, soit parce que c'est dans l'ordre des choses. Il m'est souvent arrivé de voir de vieux albums de famille remontant sur plusieurs générations, et je m'interroge souvent sur ce qui se cache derrière les photographies. Quelles ont été les vies de ces personnes ? Qu'ont-elles traversé ? Qui se souvient encore d'elles ? Par extension, cela pose la question des traces que l'on laisse derrière nous...


La liberté individuelle face aux contraintes d’une société semble être un thème central. Comment explores-tu cette tension à travers tes personnages et ton intrigue ?


Je le fais par les personnages, justement. Enfin, il me semble. Ce sont eux qui illustrent le contrôle dont ils sont l'objet et la soif de liberté à laquelle ils aspirent. Tout cela se fait dans la confrontation des deux civilisations dont je parlais un peu plus haut. C'est cette opposition entre elles qui irrigue l'intrigue.


Ton récit oppose une société primitive à une société technologique, mais on voit que la liberté est limitée dans les deux cas. Comment as-tu construit ce paradoxe ?

Alors je vais faire une drôle de réponse, mais je ne l'ai pas vraiment construit. Cela s'est imposé comme une évidence. Peu importe en définitive le type de société dans laquelle nous nous inscrivons. La liberté n'est pas affaire de technologie, elle reste soit une aspiration, soit une lutte permanente pour la conserver.



J’ai l’impression que ton livre met particulièrement en avant les personnages féminins. Es-tu d’accord avec moi ?

Oui, c'est vrai. Et cela s'est fait naturellement. Les personnages, féminins ou masculins ont chacun pris leur place, quels que soient leur sexe, sans que je passe un temps fou à m'interroger sur l'équilibre des uns et des autres. Une fois qu'ils ont été posés sur le papier, le plus important pour moi était de les faire se mouvoir (ça a été long, mais j'y ai toujours pris beaucoup de plaisir).


Qu’aimerais-tu que les lecteurs retiennent de Vent rouge ?

Ils sont libres de retenir ce qu'ils veulent, ce n'est pas à moi de me prononcer là-dessus. J'espère seulement qu'ils auront du plaisir à le lire et qu'ils en garderont un bon souvenir... un souvenir qui ne s'échappera pas !


Si tu pouvais discuter avec un lecteur après qu’il ait fini ton livre, quelle question aimerais-tu lui poser sur son expérience de lecture ?

Je lui demanderais peut-être si cela l'a renvoyé à ses propres souvenirs. Parce que je dois avouer que pendant l'écriture du roman, j'ai moi-même été renvoyé à de nombreux souvenirs qui ont refait surface sans prévenir. C'était une expérience assez troublante.



Peux-tu nous parler de l’illustration de couverture ? Que représente-t-elle pour toi ?

Je suis très heureux qu'elle soit signée Pascal Casolari. Il avait déjà réalisé celle d' « Où s'imposent les silences » que je trouve absolument magnifique, et depuis nous avons continué à travailler ensemble dans le collectif des Explocréateurs avec Emmanuel Régis comme troisième larron.

C'est assez intéressant de voir les retours sur la couverture. Certains la trouvent très percutante, d'autres moins. Moi, elle me fascine. J'adore le travail de Pascal (qui commence à avoir pas mal de couvertures de livres à son actif, si on regarde bien) et je suis très honoré qu'il ait accepté de réaliser celle-ci. Il a été aux premières loges quand j'ai commencé à écrire Vent rouge, il avait même dessiné le portait d'Anat, et peint des éléments de Mowsif, le village où débute l'action du livre. En quelques mots, Pascal est capable d'avoir mille images en tête qu'il aimerait toutes pouvoir dessiner. C'est un véritable artiste, prompt à dégainer les pinceaux lorsqu'il est charmé par ce qu'il lit, voit, entend...


Y a-t-il des œuvres (livres, films, ou autres) qui t’ont influencé dans la création de Vent rouge ?

J'allais répondre non, mais en fait, si. « Des milliards de tapis de cheveux » d'Andreas Eschbach m'a sans doute influencé. Je ne l'ai pas lu depuis très longtemps, mais je le conseille ou l'offre régulièrement. C'est une œuvre qui m'a vraiment marqué et elle a dû infuser ici ou là, comme une somme d'autres œuvres aussi, mais c'est à celle-ci que je pense en premier.


Il a fallu attendre six ans pour te retrouver sur un format long. Pourquoi cette attente ?


Parce que j’aime prendre mon temps J. Et sans doute aussi parce que je laisse les choses infuser assez longtemps. Mon dernier roman Replis, est paru en 2019. Entre temps j'ai écrit, deux novellas, quelques nouvelles et Vent rouge a occupé le reste du temps. Je n'ai pas été capable d'écrire pendant la période de COVID. Ensuite j'ai déménagé, changé de médiathèque. En 2022, la moitié du roman était à peu près rédigée, sans aucun plan, mais le moment est arrivé où je me suis dit que ce n’était plus possible de continuer ainsi. Je devais poser les choses à plat. J'ai tout « chapitré » du début à la fin, effectué mon petit tableau de personnages avec des post-it de couleurs et hop, je me suis remis en selle, tout en revenant sur des passages que je pensais déjà bouclés. De septembre à décembre 2023, je m'y suis mis tous les soirs après le boulot. Je reprenais les chapitres entre midi et deux. Après il a fallu le soumettre, et lorsque la réponse est arrivée, le travail éditorial a commencé. Cela peut prendre un certain temps.


Est il plus dur d'écrire le premier jet d'un texte ou de s'atteler au processus de relecture correction ? Qu'en est il du travail éditorial ?

Ce sont deux étapes bien distinctes qui ont chacune leurs particularités. Là, je vais parler pour moi car je ne sais pas si tout le monde fonctionne de la même façon. Lors du premier jet, il y a une forme de jubilation, les choses se mettent en place, je pose les bases de l’univers, je le vois évoluer, et c’est assez grisant. Les personnages sont là, ils m’accompagnent… et pas seulement dans le processus d’écriture. Je pense à eux très souvent et je teste des situations dans ma tête, avec plusieurs points de vue. Pour le processus de correction et du travail éditorial (qui passe après les précieux retours des bêta lecteurs – j'en ai usé quelques uns ;) ), on est sur quelque chose de plus technique. Pour être tout à fait honnête, quand j’ai reçu le premier volet de corrections, j’ai eu comme un coup de massue. Non seulement parce qu’il y avait de quoi faire mais aussi parce que j’ai d’abord cru que la montagne était trop haute à gravir, que je n’y arriverai pas. Et puis, on laisse reposer un peu, on digère et là, on se dit « ah mais ouais, ça va être génial si je fais ça, puis ça, ça aura telle incidence, ça va renforcer tel ou tel aspect ; par petites touches ici ou là, ça va avoir encore plus d’impact ». À partir de ce moment, c’est aussi très jubilatoire, on va dans le cœur du texte, on zoome dessus avant de revenir en arrière. Il y a bien des moments où le récit nous sort parfois par les yeux parce qu’on perd la vue d’ensemble, mais on y revient toujours. Puis arrive le deuxième volet de correction et rebelote, lamentations, cris, larmes (bon j’en rajoute un tantinet), et on se rend compte qu’on va y arriver. On enlève des chapitres, on en rajoute d’autres, on change la fin (parce qu’on partait de loin de ce côté-là) Le travail avec Laëtitia Rondeau m’a en tout cas beaucoup apporté sur Vent rouge. Avec Eric, mon éditeur, elle a su déceler ses failles et lui révéler d’autres couleurs.





De nombreux auteurs disent qu’ils se sentent "dictés" en écrivant leur roman. Est-ce ton cas, comme le suggèrent tes rêves ?


Ce n’est pas mon cas. Enfin, ce n’est pas comme ça que je le vois. En règle générale, j’ai plutôt tendance à me triturer le cerveau une fois qu’une idée d’histoire est là, à imaginer plusieurs angles d’attaque et, une fois au boulot, rien n’est absolument figé, j’aime aussi me laisser surprendre. Mais je n’ai pas l’impression que l’on me dicte quoi que ce soit.


Comment définirais-tu ton écriture, ton style ?

Je dirais « visuel » ou « cinématographique », mais c’est peut-être plus compliqué que ça. Je ne suis pas sûr de savoir répondre à cette question, en fait. Et la musique du texte est aussi importante pour moi. En général, j'écris un chapitre, je le relis, le corrige, puis j'utilise la fonction lecture à voix haute de mon logiciel. Cela permet par exemple de déceler quand les phrases sont trop longues ou quand, tiens, il manque un mot, là. J'ai l'habitude d'écouter pas mal de livres audio, alors j'essaie aussi de voir si le texte tient la route de cette manière.


Comment penses-tu que ton écriture a évolué entre ton premier livre et Vent rouge ?

Elle a évolué, ça c’est sûr, mais je ne sais pas comment. J’essaie en tout cas de toujours progresser d’un roman à l’autre. De me renouveler aussi, même si certaines thématiques reviennent forcément.


Dans ton futur roman, on alterne entre passé et présent, ou plutôt futur et présent. En tant que lecteur, on imagine souvent qu’un auteur écrit une trame d’abord, puis une autre, avant de tout découper. Toi, tu écris un chapitre sur le passé, puis un sur le présent. Pourquoi cette méthode ?

Tu es bien renseigné, on dirait ;)
Cette construction elle m’est induite par l’histoire elle-même. L’idée est de ne pas tout révéler d’un coup ou de façon trop linéaire, mais d’avoir une progression éclatée, tout en essayant de ne pas perdre le lecteur. C’est un peu un travail d’équilibriste car il faut garder la cohérence entre ces lignes temporelles et faire en sorte que cela reste fluide tout en gardant un certain maintien. Cela prend du temps, mais je me régale.


Rendez-vous donc dans 6 ans pour lire ce futur roman. D'autres projets entre temps ?

Voilà, dans six ans ou plus, qui sait ? Et pas de projet entre temps, si ce n’est la poursuite des aventures avec les Explocréateurs (qui pourrait peut-être devenir un roman, il y a matière…). Et puis je construis toujours mon polar, briquette par briquette… Je me le dis souvent, je le dis souvent aussi, mais il faudra que je me penche sérieusement dessus un de ces jours.




Les avis sur Vent Rouge commencent à fleurir, et ils sont plutôt très bon :

"En finalement assez peu de pages, j’ai trouvé que l’auteur réussissait à nous proposer un univers vraiment riche et complexe" (Les mots magiques). "On se prend vite à cette histoire très dépaysante et d'une grande richesse." (Au pays des Cave Trolls). "Franchement un très bon roman, usant avec beaucoup d'intelligence d'un concept central ambitieux et original ; le magnifiant par un découpage nerveux faisant la part belle à un très riche jeu de perspectives" (Le syndrome Quickson)



Son compte Twitter : https://twitter.com/QUENTINEmmanue5

Une interview de 2019 sur ActuSF : Emmanuel Quentin, ses projets 2019

Une interview vidéo de 2018 : Interview de Emmanuel Quentin à Gres'Imaginaire

Le projet Mutrae sur Actusf

Le site des ExploCréateurs : www.lesexplocreateurs.com

Mes avis sur les livres d'Emmanuel : Mes avis


 



Aucun commentaire

Fourni par Blogger.