Le vaisseau des voyageurs

Robert Charles Wilson, Folio SF, 2006 (J'ai lu, 1994), 576 p., 9€ papier


"La mort de la Mort"

Un thriller serein sur le crépuscule de l'humanité. 

Présentation de l'éditeur :


Il est là, au-dessus d'eux depuis un an, ombre menaçante, sourde et muette. Tous attendent un signe, un message de ses occupants. Vont-ils envahir la Terre, sont-ils bienveillants ou hostiles ? Nul ne le sait. Le vaisseau ne part pas, et les Voyageurs se taisent...
Jusqu'à cette étrange nuit. La nuit du rêve. On apprend alors pourquoi ils sont venus. Ils proposent aux hommes ce que seuls les dieux possèdent : l'éternité.
L'éternité... mais à quel prix ? Il n'y en a qu'un sur dix mille pour s'interroger. Et refuser. Matt Wheeler, par exemple. Qui voit ses collègues, ses amis, et jusqu'à sa propre fille, se transformer en êtres qui ne sont plus tout à fait humains.
Résister ? Mais comment ? Comment sauver l'humanité ?
 

Mon ressenti :

 

On reconnait tout de suite la patte de Wilson : un vaisseau luminescent d’origine extraterrestre apparait dans le ciel et rien ! (Comme dans le début du film génial District 9). Des années lumières de voyage et pas de contact.

"Nous l’appelons « Contact » mais, comme l’a pertinemment remarqué le sénateur républicain Russel Welland de l’Iowa la semaine dernière, le contact fait cruellement défaut dans cette affaire. Le vaisseau spatial – s’il s’agit bien de cela – tourne autour de la Terre depuis plus d’un an sans émettre le moindre signal. La seule fois où il s’est manifesté – en envoyant ces monolithes qui occupent nos grandes villes comme autant de monuments à l’impuissance de notre défense aérienne –, personne n’a été en mesure d’interpréter l’événement. C’est comme si nous avions été envahis par une troupe de mimes extraterrestres, détraqués mais très puissants."
 
L'auteur a souvent un regard différent sur nos thématiques, ici celui du contact et de la post humanité.

Ici vous ne "verrez" pas d'aliens, les raisons de leur arrivée restent assez floue, quand à leur(s) motivation(s)... Pas d'action proprement dite, juste le récit de quelques personnes qui ont refusé la proposition. La narration s'attarde sur leur point de vue. Il est donc logique d'en connaître peu sur ces voyageurs. Cela est un peu frustrant, mais permet aussi à l'imagination du lecteur de fonctionner à plein régime.
Mais même sans méchants aliens, l'auteur parvient à créer la tension. Le casse d'une maison se terminant par une non poursuite avec la police glace les sang. Certains passages m'ont fait penser au film Le Village des damnés, celui de 1960.
Et les voyageurs sont-ils aussi altruistes qu'ils le laissent penser ? N'est ce pas un piège vicelard pour corrompre et soudoyer l'humanité ?



Et l'humanité dans tout ça ?
Plus que la thématique du contact, c'est l'humanité et la post-humanité qui intéresse Robert Charles Wilson. Car la question est : qu'est ce qu'être humain.
On suit le petit groupe de personnes ayant refusé la proposition, on vit leur décision, leur doute, leur peur... en se demandant qu'est que j'aurais fait à leur place ? Difficile de répondre...
Qu'est ce qu'être  humain au fond ? Qu'est ce qui nous différencie de l'Autre ? Qu'en est-il de notre soi-disant humanité en tant que nature humaine ? Les voyageurs semblent bien plus humains que certains de nos compatriotes. Est-ce humain de saccager notre planète ?



"J’en connais plus sur notre passé qu’avant. C’est une vraie galerie des horreurs. Infanticides, guerres, sacrifices humains… Le pire, c’est que ce ne sont pas des exceptions. Et l’histoire moderne n’est pas la plus belle. À l’école, on nous apprenait la civilisation romaine et on trouvait ça affreux. Les Romains abandonnaient les enfants non désirés sur le bord des routes, tu le savais, ça ? C’est abominable. Mais notre siècle n’a rien à leur envier. On a eu Auschwitz, Hiroshima et les Khmers rouges. Aller dans l’espace ne nous aurait pas rendus plus civilisés. Nos robots ne se seraient pas gênés pour étriper les musulmans et les communistes qu’ils auraient rencontrés sur Mars."

Difficile de faire la distinction langagière entre ceux qui ont accepté (les non humains, les plus humains) et ceux qui ont refusé. Wilson s'en amuse aussi et trouve l'expression la moins discriminatoire : "Les personnes demeurées sceptiques devant l’expérience que tant de nous ont partagée le dernier vendredi du mois d’août"

Un peu moins de 600 pages, cela peut refroidir les ardeurs. Mais ne vous arrêtez pas à cela. Robert Charles Wilson a une plume plaisante et facile d'accès. Pas de jargons techniques. Une pléthore de personnages, certains pour quelques lignes mais toujours bien croqués, esquissés, même si le militaire à la solution finale facile est un peu caricaturale (mais moi, un militaire schizo et assassin, ça me fait rire) L'auteur évite le manichéisme en adoptant une pluralité de points de vues.

Des monolithes qui annonceront Les chronolithes, des extra terrestres ressemblent fortement à ceux de Spin.
Des regrets : les conséquences sociétales de l’apparition des aliens sont vites traités et de manière assez légère; les relations entre ceux qui ont accepté et les autres manquent aussi d'explications : pourquoi une cassure si nette? (Bien que dans la relation du jeune bidasse et de la fille qui ne dit pas son nom, on peut comprendre que c'est juste la différence nommée qui fait peur). Pas de version électronique légale (Eh oh Folio SF, à quand une version numérique de l'ensemble des romans de l'auteur ?)
Le titre original The harvest (La moisson) est plus fidèle au contenu du bouquin et à un sens  équivoque plus adapté

Pour moi, la SF est surtout une littérature de l'Autre, Robert Charles Wilson enfonce le clou : l'autre, c'est moi.


Lu (et dévoré) dans le cadre du challenge Robert, je t'aime



Quelques citations :


Le temps, cruel enfant de salaud, avait tout bouleversé

Matt Wheeler avait trois raisons de vivre : sa fille, son travail et la ville de Buchanan, dans l’Oregon.
Les yeux rivés sur cet engin lactescent aux dimensions inconcevables qui glissait au-dessus des arbres, qui quittait Orion pour filer vers la constellation des Gémeaux, il éprouva une brusque certitude : Ces trois choses sont en danger.
Il s’évertua à repousser cette pensée née de la peur animale que lui inspirait cet engin inconnu.
Mais elle revenait. Tout ce qu’il aimait était fragile. Tout ce qu’il aimait pouvait être détruit par cette nouvelle lune sans nom.
La pensée s’enracina. Angoissante. Menaçante.


S’il y a un paradis, il est au-delà de vos sermons, et s’il y a un enfer, ce ne sont pas vos prières qui nous en garderont.

— Et maintenant que j’en ai l’occasion, y a rien à voir. Rien que les infos.
— La dernière fois que je l’ai allumée, dit Matt, il n’y avait même pas d’informations. En tout cas, pas celles auxquelles j’étais habitué. Tous les militaires sont rentrés chez eux et personne n’a braqué l’épicerie du quartier.
— Je crois que c’est ça, les nouvelles, en fait.
— On dirait bien que le monde est plus pacifique.
— Mon cul, oui. Y a que le cimetière qu’est pacifique.


Il avait fallu des années à Matt pour apprendre à vivre dans un monde où tout ce qu’il aimait risquait de disparaître. Et encore n’avait-il jamais pu supporter cette idée. Toutefois, il avait appris à s’y résigner. Il avait en quelque sorte passé un contrat avec elle. On ne lésine pas sur l’amour, même si ceux que l’on aime vieillissent ou s’éloignent. On sauve une vie quand on le peut, même si tout le monde est destiné à mourir. On ne gagne rien à se restreindre. Vivre au jour le jour est l’unique récompense.
Mais le prix, songea Matt. Mon Dieu, le prix.
Le chagrin. La douleur. La souffrance infligée par un univers indifférent : les blessures de l’âge, les cruautés de la maladie. Ou la souffrance qu’on s’inflige à soi-même. La mort qui tombe en pluie du ventre des bombardiers ; la mort qui s’abrite sous l’uniforme des jeunes militaires. La mort qui se tapit dans les ruelles sombres, au bout d’un couteau, ou sous des électrodes dans les sous-sols des locaux gouvernementaux. La souffrance dispensée par les salauds convaincus, par les salauds occasionnels, ou par les cerveaux vides ambulants.
 
 

8 commentaires:

  1. J'aime bien l'angle que prend le livre. Malgré le côté sociétal un peu délaissé. Pourquoi pas. Je vais voir déjà si j'accroche au monsieur, mais je note !

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    1. RCW choisit souvent des angles d'approches différentes de nos thématiques. C'est vraiment un plus.
      ET puis c'est bientôt l'époque des moissons, au temps en profiter

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    2. Ouep, d'ailleurs je me taperais bien des vendanges.

      PS : Je déteste ton blog qui me connecte par défaut sur mon identité cachée et qui grille ma couverture de super héro.

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    3. Je te laisse te taper les vendanges, je me contenterai d'écluser le résultat de ton travail.

      Je pensais que tu étais juste schizophrène! Je pense que ce n'est pas mon blog, mais que cela se produit sur tous les blogs blogger. Si tu commentes sur un PC, il faut nettoyer tes identifiants mis en mémoire dans ton navigateur. Si tu utilises un smartphone, cela doit être lié à ton compte google.

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    4. Eheh merci, je râle mais c'est uniquement de ma faute et de mon absence d'attention.

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    5. Ca fait du bien de râler parfois.

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  2. Cool,
    C'est un RCWilson en plus dans mes tablettes! Et puis la façon dont c'est traité me plait bien! Et puis la thématique du contact, c'est en plein dans la SF quand même.

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