Les hommes protégés


Robert Merle, Folio, 1974, 448  p., 10€ papier




Les écrivains de SF (même publié en blanche) ont de l'imagination à revendre : inventer un monde où les femmes seraient au pouvoir ! La suspension consentie de l'incrédulité n'a qu'à bien se tenir.

Présentation de l'éditeur :


A la suite d'une épidémie d'encéphalite qui ne frappe que les hommes, les femmes les remplacent dans leurs rôles sociaux, et c'est une Présidente, Sarah Bedford, féministe dure, qui s'installe à la Maison-Blanche. Le Dr. Martinelli, qui recherche un vaccin contre l'encéphalite, est enfermé avec d'autres savants à Blueville, dans une « zone protégée ».
Je censure le reste qui dévoile l'intrigue et résume le livre !!!


Mon ressenti :


Une épidémie mortelle frappe la gente masculine. Afin de continuer à faire tourner la machine, les femmes s'installent au pouvoir, politique, économique et social. Renversement des rôles sociaux avec à la tête de la Maison blanche, une féministe pure et dure. Le Dr. Martinelli travaille sur la recherche d'un vaccin, mais comme il est un mâle, il est protégé des autres hommes pour ne pas être contaminé. Toute la question est de savoir si il est protégé ou prisonnier ?

Suite à ma lecture du roman Les assoiffées de Bernard Quiriny, deux blogueurs (TmbM et Lekarr76) m'avaient vivement conseillé ce livre de Robert Merle. De bons prescripteurs ?

Le combat féministe ne date pas d'aujourd'hui. Déjà dans les années 60-70, certaines avaient voulu quitter les fourneaux. Robert Merle, qu'on ne présente plus (Malevil, La mort est mon métier) avait alors imaginé un monde matriarcal oppressant pour les quelques mâles restant.

Comment après des années de patriarcat, changer la société ? La ligne revancharde prônée par la présidente des Etats-Unis provoque un séisme, les hommes deviennent des parias. certains, pour montrer leur bonne foi, préfèrent devenir ablationnistes (je vous laisse le soin d'imaginer ce qu'il en retourne), d'autres choisissent la liberté et ses chemins de traverse et d'autres, de part leur connaissances, sont protégés pour servir les intérêts patriotiques.

Dans un monde en huis clos, l'auteur distille peu à peu les éléments de cette société, en tirant les conséquences psychologiques et  sociétales d'un tel paradigme. D'un début outrancier, une dictature féministe, chaque personnage apporte par la suite une touche de nuance, en particulier le Dr. Martinelli qui s'interroge de plus en plus sur l'ancien monde patriarcale et misogyne.
Le thriller pêche par moment mais nous sommes légèrement dans la Commedia dell'arte même si le fond est sérieux. Certaines situations sont surjouées, le personnage principal est un peu macho, un charmeur italien qui a du mal à ne plus tenir le haut du pavé. Ce qui fait que l'on passe un bon moment de détente, tout en se posant quelques questions sur l'égalité entre les sexes et quelques milliers d'années d'oppression masculine.

Un roman qui n'a rien perdu sa force critique



Quelques citations :

Je n’aime pas trop la façon cynique dont ce vif jeune homme parle de son patron. Il traite tout d’un peu trop haut, Cresby, y compris l’encéphalite 16. Il a tort. Il est peut-être né, en ce qui le concerne, avec une cuillère d’argent dans la bouche, mais la maladie, ce n’est pas comme la misère : ça s’attrape.

Dans la version vulgaire des faits de la vie, on dit que l’homme pénètre la femme. Mais ne pourrait-on pas dire aussi que la femme « entoure » l’homme ?

Il donna l’impression d’être un bon chimiste qui ne voulait pas voir plus loin que sa chimie et qui, par commodité personnelle ou paresse d’esprit, avait fini par élever une cloison étanche entre la science et sa conscience.

Et là, tout d’un coup, je comprends pourquoi dans nos films, si les rapports entre hommes sont souvent convaincants, les personnages féminins, par contre, sont si pâles et si faibles. La raison, c’est qu’on les spécialise dans leur sexe. Elles sont figées dans leur fonction coïtale, maternelle ou décorative. Elles n’existent qu’en tant que femelles de l’espèce. De ce fait, elles n’ont plus aucune possibilité de se développer, et de devenir intéressantes.

Je trouve qu’il ne faut pas se tromper d’ennemi. L’homme n’est pas un ennemi – même s’il joue souvent à l’égard de la femme un rôle négatif. Il ne faut pas confondre l’acteur qui joue le rôle avec celui qui écrit le scénario.
— Et qui a écrit le scénario ?
— La culture misogyne dont nous avons hérité.
— Bedford vous dirait que c’est l’homme qui a fondé cette culture.
— Oh, écoutez, docteur, il y a si longtemps ! On ne va quand même pas frapper l’homme d’un second péché originel. [...]
— Je vais vous étonner, dit-elle. Il y a même des jours où je me demande si c’est bien exact que la femme se libère par le travail.
— Oh, quand même, ça, c’est vrai !
— C’est surtout vrai pour les penseuses de LIB. Elles sont avocates, médecins, journalistes. Bref, une élite. Mais pour une ouvrière dans une usine, vous trouvez que c’est très « libérateur » de faire un travail à la chaîne, avec un contremaître sur le dos ?

Je n’ai pas prévu qu’à mi-chemin, j’aurais à passer devant une bonne vingtaine d’ouvrières du Bâtiment qui font la pause casse-croûte assises sur le trottoir. Quand je les vois, c’est trop tard. Il faut passer. Ce que j’essaye de faire les yeux baissés, feignant l’indifférence. Mais je n’aurais jamais imaginé ce qui suivit. Jusqu’ici, dans mes déambulations, tout s’était borné à quelques frôlements, interpellations, sifflements, voire une fois ou deux, à des propositions grossières. Mais ici est-ce le beau soleil, le désœuvrement de la pause, le peu de passage à cette heure ? Du plus loin qu’elles m’aperçoivent, les ouvrières me fixent et me détaillent avec des yeux comme des soucoupes et dès que je suis à distance audible, elles m’interpellent. C’est un déchaînement inouï. Il y a quelque chose de méprisant et de sadique dans ce déshabillage, une sorte de viol verbal dont la violence m’atterre. Je feins la surdité, je passe, je n’ose presser le pas, je ne voudrais pas les provoquer en ayant l’air de fuir. Peine inutile. Devant moi se dresse une grande fille, le visage couvert de taches de rousseur. Ses yeux bleus perçants lui sortent presque des orbites, elle est ruisselante de sueur et me barrant le passage, elle crie, au milieu des rires et des encouragements : les filles, ce petit mignon, je vais me le farcir ! Elle me saisit avec force par les bras, me serre à m’étouffer et m’embrasse sur la bouche. Ses lèvres sont chaudes et il émane d’elle une forte odeur. Je me débats, je crie, je lui échappe, mais d’autres mains m’agrippent. Les filles, en poussant des cris, se ruent à l’assaut, s’agglutinent en grappes autour de moi. Petit mec ! dit la blonde au milieu des rires, en me serrant de nouveau le cou dans le creux de son bras gauche, faudrait voir à nous aider à faire notre devoir patriotique !

12 commentaires:

  1. Tu arrives toujours à nous surprendre par tes choix littéraires.

    Sur ce coup je passe mon tour. ;-)

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  2. Fais gaffe, à force tu risques de passer pour un féministe.
    Je ne suis pas hyper emballé, mais je note quand même dans un coin, parce que les bonnes vieilleries ne doivent pas tomber dans l'oubli.

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    1. Et puis c'est Robert Merle tout de même.
      Le chien critique, défenseur des minorités et pourfendeur des injustices. Le super héros blogueur !

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  3. Comme quoi ça a aussi bien vieilli que dans mon souvenir.

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    1. Oui, cela se lit sans problème encore de nos jours, et il est toujours tristement d'actualité.
      Encore merci pour cette découverte. J'avais lu quelques romans de l'auteur dans ma jeunesse, celui ci était passé sous mes radars.

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  4. Pour l'intérêt critique non vieillissant pourquoi pas. Mais j'avoue avoir un peu de mal avec le côté très surjoué...

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    1. J'enlèverai le très, il ne faut que cela te fasse peur. C'est une touche de légèreté qui permet au récit de vivre sans que cela soit trop indigeste.

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  5. Jamais entendu parlé, merci de l'avoir porté à mon attention, si je le croise chez un bouquiniste je tenterais peut-être par curiosité.

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    1. Tout le mérite en revient à TmbM et Lekarr76, et il vaut le coup d'oeil.

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  6. Je ne connais pas non plus, mais je note, ça peut me tenter à l'occasion !

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    1. C'est dans les vieux pots que l'on fait les meilleurs confitures

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