Chroniques du désespoir. Le faisceau chromatique : tome 4

Roland C. Wagner, Fleuve noir, 1991, 192 p., épuisé

 

C'est un roman prenant pour base différentes nouvelles écrites à l'origine par l'auteur dans des fanzines/revues confidentiels. Roland C. Wagner y a ajouté un fil conducteur pour toutes les reliées t profité pour faire un petit lifting aux nouvelles.
Rien ne se perd chez Wagner, il réutilise les pièces de son puzzle créatif pour les transcender dans un tout démesuré.

Bien que faisant partie de la série Le faisceau chromatique, ce roman peut se lire de manière totalement indépendante.
Nous sommes dans un mode divergent. Liège appartient à la France, dans un univers steampunk où la religion catholique tient les rênes du pouvoir. Monde où il n'est pas bon d'avoir des idées contraires à la doxa. Kafka en a fait les frais avant de finir emprisonné et assassiné et d'avoir pu terminer Le procès et Le maître du Haut Château. Ici, les psychiatres et autres psychanalystes sont des exorcistes assermentés.
Pour fuir ce quotidien totalitaire, certains auraient développé la possibilité de s'évader dans des mondes divergents...

Certains voyages dans le faisceau chromatique sont particulièrement bien réussis.
Le meurtre est en toi : L'usurpation d'identité avant internet. Quelle prescience !
20 ans sur le trône : Pas celui en fer ! Quand un État contrôle tout, c'est tout. Non-sense scatologique. Ou une vision de l'écologie extrême.
Catalogue d'impression au soleil levant dans une ville morte : Un solitaire est envoyé sur Mars. Toute la planète a les yeux rivés sur son aventure. Variations autour de la solitude et de la télé-réalité très bien écrites. Glaçant.

Et dire que ce roman est épuisé.
Aux éditeurs de Roland C. Wagner, ActuSF - L'atalante - Le bélial - Les moutons électriques, qu'est ce que vous attendez pour sortir de l'oubli cette pépite ?

Certaines nouvelles, sans le fil conducteur, sont aussi parues dans le recueil Musique de l'énergie, édité par Nestiveqnen, épuisé lui aussi.




"Après une bonne nuit de sommeil, je repris mes activités habituelles. Je ne suis pas un grand reporter et je crois que je ne le serai jamais ; je n’ai pas l’âme assez vile. Cependant, j’eus de quoi m’occuper pendant les deux semaines qui suivirent : meurtres, viols, incendies, messes noires, orgies homosexuelles – L’Écho de Liège et des Ardennes n’est pas une feuille à scandale, mais à le voir, on pourrait s’y tromper.
Prenez l’homosexualité, par exemple. Il y a dix ans, personne n’y faisait vraiment attention, ni dans un sens, ni dans l’autre. Puis, d’après la rumeur publique, le pape a surpris deux prêtres en train de se pomper joyeusement le dard, et l’homosexualité est devenue quelque chose de monstrueux, peut-être même pire que la conversion à l’islam, dans l’échelle des péchés mortels. Pour un journaliste, ça signifie désormais que le viol d’un garçon, quel que soit son âge, restera deux jours de plus à la une que l’agression d’une adolescente par un satyre, même si celui-ci l’a laissée pour morte après l’avoir suppliciée. Le sadisme ne fait plus recette, ma bonne dame."

"J’ai toujours eu des problèmes de communication. Mes rapports avec mes semblables étaient laborieux, pénibles pour moi et pour les autres. Je n’étais pas à proprement parler asocial, mais une certaine forme de misanthropie avait fini par se développer en moi, me poussant à éviter les contacts humains, à me renfermer dans ma coquille. Je crois que c’est ce goût pour la solitude qui a fait la différence, lors du choix de l’homme qui, le premier, foulerait le sable rouillé de Mars. Les autres volontaires, eux, avaient réussi à s’intégrer, avec un bonheur tout relatif, à la grande communauté humaine. Moi, j’étais un marginal, un personnage pour ainsi dire parallèle. On me méprisait, on se gaussait de moi, on me brutalisait parfois. Mais j’étais le mieux armé pour supporter onze mois de croisière, sans autre interlocuteur que la radio de bord. Et ceux qui me considéraient de haut ont fini par me jalouser. Curieux renversement de situation. "

"Je suis ivre. Je titube, j’ai envie de chanter, de hurler, de me rouler sur le sol. J’ai bu, aussi avidement qu’un chiot nouveau-né tète les mamelles de sa mère. J’ai vidé des verres et des verres, assis à cette table d’un café sans ambiance. J’ai bu, sans que cela me procure le moindre plaisir, et l’ivresse qui montait me paraissait bien aigre. Je n’ai jamais aimé les bistrots et leur foule de clients avinés – mais aujourd’hui, cette foule me manque. Je n’avais pas réalisé à quel point un bar vide peut être déprimant. Ce genre d’endroit n’est agréable que lorsqu’un joyeux brouhaha aux relents de gros rouge et de bière tiédasse en fait vibrer les vitrines fumées."

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