Les déportés du Cambrien

Robert Silverberg, Le livre de poche, 1968, 192 p., 6€ papier

 

Que faire d’opposants politiques jugés irrécupérables ?
Les envoyer dans un bagne sur une île isolée ? Dans un goulag au froid polaire ? Trop de possibilités d’évasion.
Leur faire subir la peine de mort ? Pas assez démocratique
Les déporter dans le Cambrien ? Cela semble une bonne idée, surtout lorsque la technologie du voyage temporel est incapable de remonter le temps. Pourquoi cette période historique ? Eviter que les déportés puissent modifier le futur. La faune se résume juste à quelques petits brachiopodes et autres trilobites. Il y a l’eau et la roche.
Pour les ignares, le Cambrien est une époque très lointaine située il y a environ cinq cent millions d’années. Robert Silverberg situe dans le roman le Cambrien il y a 1 milliard d’années : erreur de l’auteur, du traducteur ou insuffisances des connaissances de l’époque ?


Nous suivons la vie quotidienne d’un petit groupe de rouges, militants d’extrême gauche, tentant de garder une certaine humanité et d’éviter de sombrer dans la folie. Roger Silverberg s’amuse en nous expliquant les différences entre les sensibilités, leur dialectique dogmatique, leurs idéologies. Difficile en 2016 de comprendre toutes les subtilités d’autant que le récit se déroule aux Etats-Unis, mais cela reste drôle : des anarchistes individualistes obligés de composer avec d’autres personnes, des inconditionnels de la propriété privé fouillant les affaires d’autrui. Difficile la vie en communauté avec des affinités politiques aussi diverses. L’auteur s’interroge sur les théories politiques révolutionnaires face à la réalité.

En parallèle, certains  chapitres nous relatent la vie avant déportation de Jim Barrett, devenu chef informel de cette tribu. Vie qui verra la création de la machine temporelle, des désillusions amicales et idéologiques.

Une bonne découverte, Robert Silverberg arrive à relancer l’intrigue et à faire monter la mayonnaise.


Barrett les regardait discutailler, sans sourire. Toutes ces arguties à propos de la phraséologie d’un tract lui paraissaient dérisoires et vaines. C’était exactement ce qu’il s’était attendu à trouver ici : une bande de futilitaristes, de coupeurs de cheveux en quatre, qui se réunissaient une fois par semaine dans une cave pleine de courants d’air pour mettre au point, à grand renfort de discussions passionnées, une dialectique fondée sur le pinaillage sémantique. C’étaient eux, les révolutionnaires qui allaient sauver le monde du chaos ? Difficile à croire en vérité.

La tête du serpent est bien plus difficile à trancher que tu ne parais le penser. Derrière les syndics, il y a les bureaucrates. Les petits führers. Les tyranneaux qui aiment tellement ce qu’ils font qu’ils sont prêts à tout pour défendre leurs privilèges.

La partie est perdue pour nous, à moins de nous attaquer directement aux enfants avant qu’ils grandissent. La syndicature est en train de les modeler peu à peu. Elle leur apprend qu’il n’y a rien de plus beau, de plus grand, de plus réel que le régime actuel, et plus le temps passe, plus le mal est enraciné. Ceux qui réclament le retour à l’ancienne constitution, ou la transformation de la nouvelle, vont bientôt passer pour de dangereux extrémistes imprégnés d’une odeur de soufre, alors que les syndicalistes seront considérés comme les braves conservateurs qui sont là depuis toujours et qu’il importe de maintenir en place. A ce stade, on ne pourra plus rien faire

Il se rendait compte qu’il avait cessé depuis des années d’avoir l’esprit révolutionnaire. Il n’était plus qu’un bureaucrate de la révolution, un agitateur de paperasse, un défenseur d’intérêts figés. Si la révolution devait éclater maintenant, il ne savait même pas s’il en serait réjoui ou terrifié. Il s’était habitué à vivre en fonction d’un but de plus en plus irréel. Il avait pris ses aises en bordure de la révolution. La volonté d’aller de l’avant s’était sérieusement érodée chez lui.

Quand nous avions seize ans, reprit Barrett, tu comparais les hommes qui nous gouvernent actuellement à une meute de loups sur le point de dévorer le monde. Tu disais que si je ne me réveillais pas, je resterais toute ma vie un esclave parmi des millions d’autres. Je te répondais toujours que je préférais être un esclave vivant plutôt qu’un révolutionnaire mort, tu te souviens, et ça avait le don de te mettre dans une rage folle. Aujourd’hui, tu fais partie des loups et moi je serai bientôt un révolutionnaire mort.
  
 

2 commentaires:

  1. Je ne me souviens plus du tout excepté que j'avais passé un bon moment ce qui n'est pas toujours le cas avec le très prolifique Silverberg !

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  2. De bonnes idées engagées un peu trop dilué parfois.

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