Domaine public
Félix Juven
Herbert George Wells
Les Premiers hommes dans la Lune
Herbert George Wells, Félix Juven, 1901, 288 p., domaine public
L'histoire mouvementée de deux anglais qui égarent leur fusée sur la lune. Ballot !
Présentation (wikipedia) :
Cavor, un scientifique, met au point la cavorite, un métal révolutionnaire qui crée l'apesanteur, avec lequel il construit un astronef. Accompagné par Bedford, un jeune aventurier voulant faire fortune, il se dirige vers la Lune où ils découvrent la civilisation souterraine des Sélénites.Mon ressenti :
A l'inverse d'un Jules Verne empreint de vulgarisation scientifique, Wells donne le LA de suite :
Je ne suis nullement expert en matière scientifique, et s’il me fallait tenter d’exprimer, dans la langue éminemment savante de M. Cavor, le but auquel tendaient ses expériences, je craindrais d’embrouiller non seulement le lecteur mais moi-même, et je commettrais presque certainement quelque balourdise qui m’attirerait les railleries de tous ceux qui sont au courant des derniers développements de la physique mathématique. Le mieux que je puisse faire est, je crois, de donner ici mes impressions dans mon langage inexact, sans essayer de me parer d’une culture scientifique qui m’est absolument étrangère.
Le livre peut se découper en deux parties assez inégales en taille et en qualité. La première nous relate les préparatifs et le voyage dans la lune de nos deux héros. Partie la plus longue qui nous est conté par Bedford, un jeune escroc en difficulté financière. Les événement s'enchainent de manière assez effrénée. Les relations entre Bedford et Cavor, le scientifique ne vivant que par et pour la science semblent de plus en plus disparates. La violence contre les lunaires devient de plus en plus grande et nous fait penser aux colons blancs face aux indigènes des colonies. Pas de happy end ici, ce qui doit arriver arrivera.
La seconde partie, la plus réussie à mon avis, nous est conté par le savant Cavor. La révélation de
l'inimitié entre les deux hommes prend ici toute son ampleur. C'est aussi ici que le voyage dans la lune prend toutes ses aises. Wells nous brosse le portrait des lunaires (quel éclectisme!) vivant une sorte d'utopie toute relative. L'horreur d'une telle société nous révulse mais Wells n'oublie pas de nous mettre en face de notre soi-disante bienfaisance sociétale.
Je n'en dis pas plus au risque de vous en dévoiler trop.
Pluralité de points de vue, de pensées. Pas de didactisme sur la société idéale. Pas de prêt à penser.
Un roman au final assez sombre sur l'humain.
Une très belle réussite et découverte.
Ce cher Herbert m'avait déjà transporté avec sa machine à explorer le temps, mon choix entre lui et Prof Jules (Jules Verne) se précise.
Ayant désormais lu les deux romans qui ont inspiré Anti-glace de Stephen Baxter, il me reste à me plonger dans cet hommage à ces deux précurseurs du domaine de la SF.
Quelques citations :
C’était grand, c’était pitoyable.
Nous devions bientôt voir des choses plus étranges, mais ce ciel sans air et tout empoussiéré d’étoiles... Entre toutes, je crois que cette chose-là sera une des dernières que j’oublierai.
En ce temps-là j’étais jeune – je le suis encore, quant aux années – mais tout ce qui m’est arrivé depuis a effacé de mon esprit ce qu’il y restait de trop juvénile. Que j’en aie acquis quelque sagesse est une question plus douteuse...
C’est moi qui ai trouvé le moyen de venir ici, mais trouver un moyen ne signifie pas qu’on en soit toujours le maître. Si je remporte mon secret sur la terre, qu’arrivera-t-il ? Je ne vois pas comment je pourrais garder ce secret pendant toute une année, ni même pendant une partie d’année. Tôt ou tard il sera découvert. D’autres hommes peuvent faire la même invention. Et alors... Les gouvernements feront tous leurs efforts pour venir ici. Les nations se battront entre elles pour cette conquête et extermineront ces créatures lunaires. Cela ne fera qu’étendre et développer les industries guerrières et multiplier les conflits. Si je révèle mon secret, en peu de temps cette planète, jusqu’à ses galeries les plus profondes, sera jonchée de cadavres humains... On peut douter du reste, mais cela au moins est certain ! Ce n’est pas comme si les hommes avaient besoin de la lune. À quoi leur servirait-elle ? Qu’ont-ils fait même de leur propre planète ? Un champ de bataille et le théâtre de crimes et de folies innombrables. Si petit que soit son monde et si brève que soit son existence, l’homme a encore dans sa courte vie beaucoup plus qu’il ne peut faire. Non !... La science a travaillé trop longtemps à forger des armes dont se servent des fous. Il est temps qu’elle s’arrête. Que l’homme retrouve mon secret, lui-même !... Quand ce ne serait que dans mille ans !
Au lieu des quatre ou cinq formes différentes de fourmis que l’on a trouvées, il y a des formes innombrables de Sélénites. Je me suis efforcé d’indiquer les différences très considérables que l’on observe chez les divers Sélénites de la croûte extérieure que j’ai rencontrés. Les différences de dimensions, de teintes, de conformation sont certainement aussi tranchées que les disparités entre les races d’hommes les plus largement séparées, mais les dissemblances que je vis ne sont absolument rien en comparaison des énormes diversités dont parle Cavor. Il semble que les Sélénites extérieurs avec lesquels je fus en contact étaient, pour ainsi dire, d’une couleur unique et se livraient chacun à une seule occupation – bergers, bouchers, dépeceurs, et autres. Mais à l’intérieur de la lune, pratiquement insoupçonnées par moi, il se trouve, paraît-il, un grand nombre d’autres sortes de Sélénites, différant de dimensions, de formes, de facultés, d’aspect, sans qu’il y ait plusieurs espèces de créatures, mais seulement des formes diverses d’une seule espèce. La lune est, en vérité, une vaste fourmilière ; seulement, au lieu des quatre ou cinq sortes de fourmis – soldat, travailleur, mâle ailé, reine et esclave –, il se trouve des centaines de variétés de Sélénites et presque tous les degrés entre une sorte et une autre.
Dans la lune, dit Cavor, chaque citoyen connaît sa place, et la discipline compliquée de l’éducation, de l’entraînement et de la chirurgie à laquelle il doit se soumettre le dispose enfin si complètement a son rôle qu’il n’a ni les idées ni les organes qui lui permettraient d’en jouer un autre. Pourquoi serait-ce autrement ? demanderait Phi-ou. Si par exemple un Sélénite est destiné à devenir un mathématicien, ses éducateurs et ses professeurs l’y disposent dès le début. Ils répriment dès sa naissance toute autre disposition ; ils encouragent ses goûts mathématiques avec une habileté psychologique parfaite. Son cerveau se développe, ou du moins ses facultés mathématiques croissent avec juste les organes physiques nécessaires à soutenir cette partie essentielle. Finalement, en dehors du repos et des repas, son seul délice est dans l’exercice et le déploiement de sa faculté particulière ; il s’intéresse uniquement à son application, et fait exclusivement sa société des autres spécialistes de son genre. Son cerveau s’accroît constamment, au moins les seules parties qui sont occupées par les mathématiques ; elles se gonflent toujours plus et semblent aspirer toute la vie et la vigueur du reste de sa carcasse. Ses membres se recroquevillent, son cœur et les organes de la digestion diminuent, sa face d’insecte disparaît sous ses contours enflés. Sa voix devient un simple murmure pour l’exposé des formules, et il est sourd à tout ce qui n’est pas un problème proprement énoncé. La faculté du rire, sauf en cas de la découverte soudaine de quelque paradoxe, est atrophiée chez lui ; son émotion la plus profonde est le développement d’un nouveau calcul, et il remplit ainsi son office.
Mais chacun de ces Sélénites ordinaires que j’ai vus est excellemment adapté à la fonction sociale qu’il remplit. Les ouvrages fins sont confiés à des ouvriers affinés, miraculeusement rapetissés et conditionnés. Il en est que j’aurais pu tenir sur la paume de ma main. Il existe même une espèce de Sélénite tournebroche, très commun, dont le devoir et l’unique délice est de fournir la force motrice à de petits appareils variés. Et pour gouverner cela, pour réprimer toute tendance fâcheuse de quelque nature égarée, il y a les êtres les mieux musclés que j’aie vus dans la lune, une sorte de police lunaire, dont les membres sont entraînés dès leurs plus tendres années à obéir aux têtes gonflées et à les respecter parfaitement.
J’espère cependant que cela me passera et qu’il me sera possible de voir encore de semblables aspects de ce merveilleux ordre social. Cette main misérable, sortant de ce bocal, semblait appeler faiblement ses possibilités perdues ; j’en suis encore hanté, bien que ce soit, en somme, un procédé beaucoup moins cruel que notre méthode terrestre de laisser les enfants devenir des hommes et de les transformer alors en machines.
Le Grand Lunaire s’entretint avec ses savants, selon ce que je suppose, sur l’étrange superficialité et la déraison de l’homme qui se contente de vivre à la surface d’un monde, créature soumise aux tempêtes, aux vents et à tous les hasards de l’espace, qui ne sait même pas former des ententes pour triompher des bêtes qui dévorent sa race, et qui cependant ose envahir une autre planète.
Le développement illimité des esprits de la classe intellectuelle est rendu possible par l’absence de tout crâne osseux dans l’anatomie lunaire, de cet étrange boîte qui jugule le développement du cerveau humain et signifie impérieusement « jusqu’ici et pas plus loin » à toutes ses possibilités.
Ton archéologie littéraire est séduisante, tu déniches des curiosités et des petits trésors.
RépondreSupprimerJe suis très tentée par celui-ci ce sera l'occasion de comparer!
Séduisante peut-être, mais ma femme en a marre de l'odeur de naphtaline dans la maison !
SupprimerJ'attends de lire ton avis