DRM
Folio SF
Lunes d'encre
Robert Charles Wilson
Roman
A travers temps
Robert Charles Wilson, Folio SF, 2013 (parution originale 1991), 432 p., 8€ epub avec DRM
Qui n'a jamais rêvé d'aller voir "ce connard de Temps pour lui balancer un bon coup de pied dans les bijoux de famille."
Et vous, que feriez vous si vous aviez la possibilité de vivre dans le
passé à l'avenir gravé dans le marbre plutôt que dans le présent et son avenir incertain ?
Présentation de l'éditeur :
Tout juste licencié, largué par Barbara, sa compagne, Tom Winter
sombre dans la dépression et l’alcool. Aidé par son frère, il décide de
revenir dans sa ville natale, Belltower, où il acquiert une maison
banale et loin de tout. Elle a autrefois appartenu à un certain Ben
Collier qui a mystérieusement disparu, dix ans plus tôt. Mais Tom sent
que cette maison pourrait lui permettre de prendre un nouveau départ. Ce
qu’il ignore, c’est que Collier était en fait un voyageur temporel ; il
a été assassiné dans le jardin où il faisait des plantations et son
corps a été caché dans la forêt voisine.
Mon ressenti :
Tom Winter a une vie qui tourne à l'aigre : sa femme gauchiste l'a
quitté car elle reprochait à son ingénieur de mari d'être à la solde du grand capital et de l'armement; il
vient de perdre son travail (son ex avait raison !) Résultat : il a noyé sa tristesse dans l'alcool. Le
tout pour revenir dans la ville de son enfance, tiré par un frère au conformisme ancré dans la peau. Bref, un retour la queue entre les jambes et un avenir qui s'annonce tout sauf rose. Mais...
Il rentra dans la maison, seul.
Le silence semblait vaguement vivant.
« Salut les fantômes, lança Tom. Je parie que vous n’avez pas fait la vaisselle, finalement. »
Le problème, c’est qu’ils l’avaient faite.
En quelques lignes, Tom Winter nous est proche, nous marchons à ses côtés, traversons les mêmes déboires. Wilson est reconnu pour la caractérisation de ses personnages, ce roman le prouve une nouvelle fois.
Souvent, voyage dans le temps rime avec paradoxe, l'auteur botte en touche ici avec son tunnel temporel, son propos n'est pas d'apporter une énième pierre à l'édifice des paradoxes temporels, mais de s'interroger sur la notion de passé, de présent et d'avenir. Comme dans son dernier roman La cité du futur, le passé n'est pas tout rose, pas de c'était mieux avant.
"Non pas la porte du paradis. Trente ans dans le passé. Ils ont la Bombe. Ne l’oublie pas. Ils ont la pollution industrielle. Ils ont le racisme, l’ignorance, le crime, la faim… "
L'avenir du passé est juste certain, alors que l'avenir du présent est incertain. Le passé, c'est "un abri dans la tempête". Une morale assez résignée au final sur le temps qui passe.
Sur la thématique du temps, c'est du tout bon, mais l'auteur nous enrobe le tout dans un thriller temporel de bonne tenue. Les hommes du futur lointain sont fidèles à l'imagerie wilsonienne : décidément, l'homme est trop "mal foutu" pour voyager dans l'espace ou dans l'espace temps, à l'inverse des robots.
Quand à l'avenir d'ici quelques dizaines d'années, il n'est guère reluisant. L'homme a réussi à flinguer le climat de la terre et passe son temps à jouer à la guerre avec des soldats-cobayes. En bref, "ils avaient dansé avec beaucoup de classe au bord du gouffre."
Quand à l'avenir d'ici quelques dizaines d'années, il n'est guère reluisant. L'homme a réussi à flinguer le climat de la terre et passe son temps à jouer à la guerre avec des soldats-cobayes. En bref, "ils avaient dansé avec beaucoup de classe au bord du gouffre."
Tout cela n'est guère très joyeux dans le fond, pour preuve cet extrait
Mais l'auteur a décidé de jouer la note de l'humour. Tant à nous amener dans les années 60, autant jouer avec la culture SF de l'époque : des pistolets lasers "soldat de l'espace"; le soldat déserteur temporel ressemble étrangement aux pulps. J'ai trouvé ce roman assez drôle, une sorte d'hommage à la littérature populaire de genre comme le confirme les couvertures originales. Il y a même quelques détours dans l’horreur (ah la cabane dans les bois) et dans la quatrième dimension avec une télé qui communique.
Au cinéma, les radiations produisaient des insectes énormes, tandis qu’au voisinage des piles atomiques défectueuses, elles provoquaient surtout cancers et leucémies… la différence entre l’Art et la Vie
Mais l'auteur a décidé de jouer la note de l'humour. Tant à nous amener dans les années 60, autant jouer avec la culture SF de l'époque : des pistolets lasers "soldat de l'espace"; le soldat déserteur temporel ressemble étrangement aux pulps. J'ai trouvé ce roman assez drôle, une sorte d'hommage à la littérature populaire de genre comme le confirme les couvertures originales. Il y a même quelques détours dans l’horreur (ah la cabane dans les bois) et dans la quatrième dimension avec une télé qui communique.
De l'action, du divertissement et de la réflexion, un roman plaisir que j'ai beaucoup apprécié.
Il semblerait que ce roman soit un "hommage" au roman Au carrefour des étoiles de Clifford D. Simak.
Et rassurez-vous, Wilson n'écrit pas de blockbuster américain, il nous épargne donc la guimauve : Tom Winter ne va pas passer son temps à reconquérir son ex. Cool !
AC de Haenne a dégusté un très bon cru, tout en finesse, malgré un millésime un peu ancien. Millésime qui a plongé le maki dans une agréable mélancolie.
Challenge Lunes d'encre |
Quelques citations :
Au cinéma, les radiations produisaient des insectes énormes, tandis qu’au voisinage des piles atomiques défectueuses, elles provoquaient surtout cancers et leucémies… la différence entre l’Art et la Vie
Tu pourrais tout abandonner.
Tu pourrais abandonner la concession automobile, le divorce, la lettre de licenciement polie et l’effet de serre.Écrire ces mots lui donna le vertige. Tu pourrais quitter tout ça. Il n’y a que toi sur terre à ne pas être entraîné heure par heure dans le futur, il n’y a que toi à pouvoir y échapper. Tu as trouvé une porte de sortie. Il se força à un peu plus de rationalité : Non pas la porte du paradis. Trente ans dans le passé. Ils ont la Bombe. Ne l’oublie pas. Ils ont la pollution industrielle. Ils ont le racisme, l’ignorance, le crime, la faim…
Ils ont la Bombe, se dit-il, mais le plus important est peut-être qu’Ils ne s’en sont pas servis. Il pourrait vivre trois décennies, s’il le voulait, en sachant comme si c’était gravé dans le marbre que les sirènes d’alerte aérienne ne se déclencheraient pas. Il pourrait se moquer des journaux. S’il faisait attention, s’il préparait bien son affaire, il saurait que l’avion dans lequel il montait ne tomberait pas du ciel, il aurait quitté la ville au moment du tremblement de terre…
Et même si quelqu’un mourait, ce décès figurait déjà dans les livres d’histoire. Aucune tombe ne serait remplie qui ne l’était déjà. La tragédie du monde continuerait sa marche en avant, mais au moins Tom saurait-il à quel rythme.
Il entendit un écho de Barbara dans cet endroit en lui où les souvenirs vivaient et prenaient parfois la parole : As-tu vraiment si peur de l’avenir ?
Après Tchernobyl, après la place Tian’anmen, après son divorce ? Dans un monde où les cargaisons de tritium arrivaient régulièrement incomplètes, où il allait falloir rembourser la dette publique, où le marché financier ressemblait à une compétition olympique de plongeon de haut vol ? Peur de l’avenir, ici dans le monde des suicides adolescents et du fusil d’assaut rentable ? Peur ? Alors que l’incendie des forêts amazoniennes troublait l’atmosphère et que le taux de cancers de la peau était devenu une rubrique du journal télévisé du soir ? Comment ça, peur ?
Comme toujours, l’exubérance et l’extravagance du vingtième siècle le surprirent. Toutes ces lumières ! Des néons colorés, des ampoules à incandescence qui brillaient, tout cela alimenté, avait-il appris, par des barrages mécaniques sur des rivières à des centaines de kilomètres de là. Et si étonnant que cela paraisse, la plupart de ces lumières servaient à la publicité.
Qu’était le temps, après tout, sinon une marche pesante depuis les alentours de la jeunesse jusque dans le pays de la tombe ? Le temps était la force qui réduisait le granit en miettes, dévorait la mémoire et attirait les petits enfants dans la sénilité, le tout avec l’implacabilité d’un juge sans merci et la poésie d’un char d’assaut.
Billy ne connaissait pas grand-chose en histoire.
Après son recrutement, quand il s’ennuyait au camp d’entraînement, il s’emparait parfois des romans populaires que lisaient ses camarades… des romans historiques illustrés portant sur l’extravagant vingtième siècle. Ils plaisaient à Billy. On y trouvait toujours une morale peu équivoque sur les péchés de gloutonnerie et d’orgueil, mais Billy sentait bien que les auteurs prenaient autant de plaisir lubrique à écrire ces histoires que lui à les lire. Certains de ces livres avaient été interdits en Californie parce qu’ils décrivaient sans fard des magnats forestiers qui brûlaient des arbres ou des politiciens cupides en train de parcourir le monde à bord d’avions à essence. En tant que conscrit, Billy savourait la promiscuité de ses ancêtres. Il trouvait qu’ils avaient dansé avec beaucoup de classe au bord du gouffre.
Les années 1960 – la décennie légendaire – avaient pris fin peu après ses onze ans. Il avait grandi en croyant avoir raté quelque chose d’important, même s’il ne savait jamais vraiment quoi… tout dépendait de votre interlocuteur. Une époque merveilleuse ou terrible. Celle où on avait combattu au Vietnam ou contre la guerre au Vietnam. Où les drogues étaient bonnes ou pas. Où on ne risquait pas la mort en couchant avec quelqu’un. Une décennie où « la jeunesse » comptait ; lorsque Tom arriva à l’adolescence, ces mots avaient perdu une partie de leur glamour.
Ben dit que la seule manière de posséder le passé est de le respecter… de ne pas le transformer en quelque chose de désuet, de risible, de pastel ou d’aigre-doux. C’est un endroit réel où vivent des personnes réelles. Et l’avenir est réel parce que nous le construisons à partir d’heures et de jours réels. »
Pas de monde en dehors du monde, se dit Tom.
Pas d’Éden, pas d’Utopie, seulement ce qu’on peut toucher et le fait de le toucher.
Mais on a fait quelque chose d’extraordinaire, non, Tom ? On a fait une grande balade dans le passé. Imagine ça. J’ai marché dans ces rues, en 1962, bon Dieu, j’entrais à l’école maternelle de Pine Balm ! Hé, Tom, tu sais ce qu’on a fait ? On est allés tout droit voir ce connard de Temps pour lui balancer un bon coup de pied dans les bijoux de famille. »
Tom ouvrit la moustiquaire et retrouva la chaleur de la cuisine. « Espérons qu’il ne nous rendra pas la pareille. »
J'avais bien aimé aussi !
RépondreSupprimerEt oui le rapport avec Au carrefour des étoiles de Simak est flagrant, l'un de mes premiers romans SF et j'avais adoré....
Si tu adoré Carrefour des étoiles, je vais me faire un devoir de le lire. En plus, je suis en pleine lecture d'un autre Simak, Demain les chiens. Et pour le moment, c'est du tout bon.
SupprimerAha! Un roman plaisir de RCW!!! J'achète!!
RépondreSupprimerFonce à ta librairie
SupprimerIl a l'air sympa ce roman. A tenter!
RépondreSupprimerNon, pas à tenter, à lire !
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