Zones de divergence


John Feffer, 2017, Inculte Edition, 140 p, 13€ epub avec DRM



Économie géopolitique du désastre.

Présentation de l'éditeur :


Il y a trente ans, en 2020, l’universitaire Julian West a publié un best-seller visionnaire, Zones de divergence, qui anticipait les catastrophes survenues depuis : le réchauffement climatique, la montée des nationalismes, la propagation du terrorisme islamiste, la fin de l’État-nation. Désormais, l’Europe saturée de réfugiés s’est effondrée ; le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine se sont disloqués ; Washington a été détruit par l’ouragan « Donald » en 2022... Au crépuscule de sa vie, le vieil homme qui veut saluer une dernière fois sa femme et ses trois enfants entame un tour du monde pour les retrouver. Depuis le fond de son lit, West traverse les cinq continents sous la forme d’un avatar numérique et ne peut que constater la triste réalité de ses prédictions les plus noires et dystopiques...

Mon ressenti : 

Les zones de divergence s'observent là où deux plaques tectoniques s'éloignent l'une de l'autre. Elles font l'objet d'un volcanisme intense.
Futura sciences

Les américains ont Feffer et ses zones de divergence, les français ont Boudine et son paradoxe de Fermi. Même sujet, des lendemains désenchantés, même cri d'alerte, Ouvrez les yeux, même personnage, un universitaire et même forme, un essai déguisé.
Plébiscité par Libé, les inrocks, le canard et autres médias, je ne peux, après lecture, douter du charme de l'attaché(e) de presse des éditions incultes. Pas mauvais certes, invitant à la réflexion, certes, mais en tant que roman, c'est le néant.

Il y a plus de vingt-cinq ans, assis sur le toit de la maison à regarder les meubles des voisins dériver dans la rue, je ne voyais pas comment les choses auraient pu être pires. Tout ce que je possédais était sous les eaux. La capitale de mon pays était en ruine. Notre mère la Terre exerçait sa vengeance sur ses habitants les plus arrogants.
En fin de compte, les choses ont largement empiré.

Voilà comment débute ce livre. Cela m'a mis de suite en appétit, moi les catastrophes, ça me fait saliver.

Zones de divergence est le livre qui a prophétisé l'avenir et créé une nouvelle profession, la géo-paléontologie. Son auteur est devenu reconnu dans le monde entier. Trente ans plus tard, au crépuscule de sa vie, il tente d'écrire l'essai qui lui apportera une seconde gloire médiatique. Ce qu'il a prédit : la fragmentation du monde en de multiples Etats-Idéologies par les "prophètes de la désintégration" qui ne sont que les nationalistes d'aujourd'hui.

De son périple géographique d’adieu familial, (Enfin, famille éclatée elle aussi : une femme dont il a divorcé et trois enfants en révolte contre ce père absent et dont le seul enfant semble être son livre culte), il nous fait découvrir ces années 2050 et comment nous en sommes arrivés là.

Je ne peux qu'être d'accord avec l'analyse géopolitique de l'auteur, l'individualisme a gagné, le capitalisme gouverne et la solidarité, le bien commun et la société sont des coquilles vides. Il déroule seulement les conséquences des germes d'aujourd'hui. Ajouter à cela un climat qui se dégrade, favorisant le retranchement de soi et la construction de murs qui ne font que précipiter la chute.

Édition critique et annotée de son dernier rapport, les notes de l'éditeur imaginaire sont très ironiques et apportent un contrepoint bienvenu à la noirceur du reste. Ex : l'auteur parle, en le regrettant, de la désintégration du système scolaire public américain en oubliant de mentionner qu'il a envoyé ses trois enfants dans des écoles privées à Washington.
Elles permettent d'ancrer le récit dans la réalité en renvoyant à d'autres livres ou sources (certaines véridiques) les études complémentaires. Elles permettent surtout d'avoir une distanciation critique sur les écrits des prophètes du futur.

Ecrit parfois avec ironie, et second degré, tel cet ouragan qui dévaste les États Unis et qui se nomme Donald ! Ou ce passage

De même que ceux qui n’habitent pas le Nord de l’Arctique manquent de vocabulaire sophistiqué pour décrire la neige, nous n’avions pas encore trouvé les mots pour les catastrophes qui nous tombaient dessus. Pour l’heure, « c’est la merde » suffisait.

Malgré ces petites touches bienvenues, cela reste assez noire sur la nature humaine, si ce n'était une infime lueur d'espoir vers la fin :

Seulement, aujourd’hui nous pouvons tous clairement constater que, comme je l’ai écrit il y a tant d’années, l’essor des zones de divergence est la véritable tragédie de l’humanité. Voilà ce que j’ai appris au cours de mes recherches, de mes « voyages ». L’incapacité des cultures à trouver des compromis avec les États a précipité l’ère actuelle, où les États-nations qui se multiplient sont incapables à leur tour de trouver un compromis pour éradiquer les fléaux qui se développent à l’échelle planétaire. Ce qui nous faisait tenir ensemble – c’est-à-dire la solidarité quelles que soient notre religion, notre ethnie et notre classe – a perdu de sa force. Nous n’avons plus la capacité d’éprouver cette humanité commune qui nous rattache les uns aux autres, malgré nos différences. Mais peut-être pouvons-nous recréer ces liens, famille par famille, communauté par communauté – non sur l’aride planète Mars mais ici, dans les quelques poches vertes qu’il reste sur Terre…

Là où le bât blesse, c'est que je n'ai jamais eu l'impression de lire un roman, mais un essai de géopolitique du présent et du futur. les subterfuges que l'auteur usent pour faire passer la pilule paraissent bien mince pour maintenir mon intérêt le long de ces 140 pages. Vers la fin, le thriller prends le pas sur l'essai, mais cela arrive bien trop tard. Un livre intéressant, qui interroge notre présent, mais dont John Feffer a oublié une chose : les idées seules ne font pas un bon roman.

En outre, 13 euros la version numérique vérolée (10€ chez Amazon !), 18 euros en papier pour 140 pages, je vous conseille fortement de ne pas l'acheter et de l'emprunter dans votre médiathèque numérique. Quand je pense qu'une novella chez Le bélial ou Actusf vous en coutera 4€, le monde marche décidément sur la tête. Encore un symptôme de cette fichue désintégration ?
Le paradoxe de Fermi vous coutera moitié prix pour une cinquantaine de pages supplémentaires, mais toujours verrouillé. Bref, préférez la limonade au coca !

Quelques citations :


De nos jours, nous écoutons nos enfants ; eux ne nous écoutent plus. Vu ce que nous avons fait de la planète, ils n’ont peut-être pas tort. Au moment de passer le témoin, comme des centaines de générations avant nous, mon équipe a raté la transmission.

En effet, après 1989, une étrange convergence idéologique semblait avoir lieu. Fini, l’affrontement bipolaire entre communisme et capitalisme. Cependant, au lieu de voir les pays progresser vers une social-démocratie heureuse, comme certains théoriciens des années 1960 l’avaient prophétisé, le monde se dirigeait vers un autoritarisme de marché, amalgame du pire des deux mondes. Lequel semblait toutefois représenter une sorte d’intégration, puisque les supposés communistes de Beijing finissaient par tenir le même langage que les soi-disant islamistes d’Ankara, les eurosceptiques de Paris et Budapest, et les partisans de « L’Amérique d’abord » à Washington. Ils formaient un genre d’Internationale nationaliste.

quand l’histoire appuie sur le bouton « marche arrière », comme elle l’a fait ces trois dernières décennies, elle peut transformer les réactionnaires en visionnaires.

En fin de compte, le commerce et sa recherche permanente de l’avantage compétitif requalifièrent purement et simplement le nationalisme en produit marketing. Les voyages et les communications accroissaient la possibilité d’incompréhensions et de conflits. Et un brouillard aveuglant d’amnésie fit oublier que la guerre, c’est l’enfer. Sous-estimé comme toujours, le nationalisme ne glissa pas gentiment dans la nuit. Au contraire : il redessina littéralement le monde dans lequel nous vivons. Cet esprit de désintégration allait finalement atomiser les frontières du XXe siècle.

Ma femme et moi nous étions toujours inquiétés de ce qui nous semblait être, chez Gordon, une absence de sens moral. Au départ, nous avions cru à une forme de syndrome d’Asperger, étant donné qu’il préférait les nombres aux gens. Mais en définitive, il n’avait aucun problème à communiquer ou à se conformer aux codes sociaux. Pendant quelques années, à l’insu de ma femme, je l’avais même soupçonné d’être tout bonnement un socio-pathe, à cause de ce qui ressemblait à un manque total de conscience. Mais en me familiarisant avec les cercles qu’il fréquentait, j’ai fini par réaliser que mon fils était plus proche de la norme que j’aurais voulu l’admettre. À en juger par leur attitude, toute une classe parfaitement fonctionnelle de gens – capitaines d’industrie, leaders d’institutions financières, de partis politiques – méritaient la même étiquette, car ils n’avaient absolument rien à faire du bien-être de la société. Leur prétendu intérêt pour « l’ordre social » venait simplement de ce qu’ils préféraient un environnement stable pour exercer le pouvoir et gagner de l’argent.

8 commentaires:

  1. Je vais faire l'impasse sur celui-ci... :-)
    13 euros avec DRM pour 150 pages, c'est juste pas possible...

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    1. Si si c'est possible, les éditions inculte l'ont fait pour notre plus grand bonheur.

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  2. AZh!Ah!
    le charme de l'attaché de presse! Que c'est bien vu! Rien qu'avec cette phrase, je savais que ce ne serait pas une perle!

    Bon tu m'as convaincue que ce texte ne serait pas pour moi. Effectivement les idées ne font pas un bon roman.
    Ah! c'est le résultat de notre société axée sur l'hédonisme...

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    1. Certains jouent de leurs atouts.
      Reste sur une assez bonne impression avec Boudine, cela vaut mieux

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  3. Mouais, Le paradoxe de Fermi de Jean-Pierre Boudine a l'air mieux maquillé que celui-ci. Le thème et le ton m'intéressent. A l'occasion, peut-être, mais je ne m'en fait pas une priorité.

    Tu n'es pas le seul à saliver devant les catastrophes, esprit dérangé que nous sommes :(

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    1. J'ai largement préféré le Boudine. Mais dans un sens, Zone de divergence est plus analytique sur la dégradation de la société. Ils auraient du l'écrire à quatre mains.
      Oui pour les catastrophes, nous avons un côté voyeur

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  4. Ce roman m'intrigue mais effectivement, je vais suivre ton conseil et plutôt voir s'il se trouve dans ma bibliothèque. Le prix est un peu excessif pour 140 pages.

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    1. Je te trouve très gentille en utilisant le terme "un peu excessif". Même en papier, je ne mettrai pas ce prix vu le nombre de pages. Je l'ai eu pour ma part via ma médiathèque numérique, en espérant que la tienne l'est.

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