Ange mémoire


Robert Charles Wilson, Folio SF, 2008 (parution originale 1987), 336 p., épuisé




Une civilisation alien dont l'essence même est le souvenir offre le Graal mémoriel à l'humanité.
Pas la panacée lorsqu'on traine quelques casseroles.

Présentation de l'éditeur :


Raymond Keller est un Ange : tout ce qu'il voit est enregistré dans une puce reliée directement à son cortex cérébral. Tenu à l'objectivité, il se veut une machine dénuée de sentiments. Sa nouvelle mission l'envoie au Brésil, au cour de la forêt amazonienne, en compagnie de Teresa Rafael, une artiste désoeuvrée, et de Byron Ostler, un Ange qui a définitivement renoncé à son câblage. Ils doivent y récupérer un onirolithe, une mystérieuse pierre extraterrestre aux propriétés hors du commun. Mais cela ne sera pas sans danger, d'autant que cette plongée au cour des ténèbres sera aussi l'occasion d'explorer un territoire chaotique : la mémoire, les souvenirs perdus...

Mon ressenti :


Futur proche. La découverte de pierres, les onirolithes, dans un ancien cratère dû à un astéroïde au Brésil provoque un bon en avant technologique. Et son lot de guerres pour contrôler le filon. Une nouvelle pierre ayant plus de capacités vient d'être mis à jour, suffisant pour mettre en branle le marché noir. Une expédition, journalistique, identitaire et mystérieuse est lancé à l'assaut de la mine de Pau Seca. A la poursuite du Graal ?
Des pierres aux propriétés étranges, de conception extraterrestre.

Les techniciens de laboratoire les voyaient comme des pierres de Rosette venues d’étoiles âgées et gorgées de données décodables extrêmement lucratives, les chimistes et leurs consommateurs urbains comme une nouvelle drogue, la source de visions divertissantes…

Second roman publié par Robert Charles Wilson, c'est le premier qui s'intéresse aux pierres qui irrigueront certaines de ses oeuvres : Le vaisseau des voyageurs, Les chronolithes, Pourquoi cette référence régulière à ces pierres ? La réponse peut être dans ses lignes :
 
Pour lui, on ne peut rien toucher ou sentir sur terre qui ne nous soit vraiment étranger, à part les pierres. L’Autre ultime.

Keller réagit d’un ton prudemment neutre : « Vous croyez à ce qu’il raconte ?
— Sur les pierres ? » Elle haussa les épaules. « Je n’en sais rien.
— Vous avez fait l’expérience.
— Pour moi, précisa-t-elle doucement, cela a toujours été plus personnel. » Le soleil étant désormais couché, le ciel au-dessus de la ville rayonnait d’un bleu sombre. « Est-ce possible, Ray ? demanda-t-elle. Qu’en examinant une chose aussi étrangère qu’une pierre de rêve, en la regardant aussi longtemps et aussi attentivement qu’on le veut… on découvre qu’on se regarde soi-même ? »

Et qui sont ces Exotiques ayant conçu ces pierres mémorielles ? Wilson ne s’appesantit pas dessus

Les questions les plus fondamentales – d’où provenaient les pierres, qui les avait abandonnées là, et pour quelle raison ? – restaient sans réponse. On en vint à ne plus poser la question, laissant les spéculations aux sectes, aux auteurs de science-fiction et aux journaux à sensation. Il y avait dans le monde réel des sujets d’inquiétude plus importants.

L'auteur s'intéresse plus aux conséquences de ces découvertes sur les humains. Et sur ce point, c'est une réussite comme lorsqu’est évoqué les récits du passé des protagonistes, troublant de justesse.
Car ce qui préoccupe Wilson dans ces pages, c'est la mémoire et les souvenirs. Les pierres ont aussi la faculté de mémoriser totalement la société de ceux qu'ils les ont conçus et de ceux qui croiseront leurs routes.
Mais les souvenirs, un sacré fardeau. Certains préfèrent s'en débarrasser, d'autres les retrouver. On refoule, on creuse, on cherche, on embellit, on édulcore, on noircit, on culpabilise. On expérimente les drogues, on s'oublie dans la guerre, on teste des technologies qui rendent froid et distant...
Puis il y a les souvenirs de l'humanité, franchement noirs : guerre pogrom violence...
L'occasion d'évoquer quelques sujets douloureux : les horreurs de la guerre, les conditions de travail esclavagiste des mines au Brésil, la pollution approuvé par l’État, les conditions de vie des sans papiers
Un cadeau empoisonné pour l'homme que celui de se souvenir.

Il y a bien quelques maladresses : par exemple le fait que les deux ex-militaires du transfert de pierre pensaient naïvement que leur mission serait une partie de plaisir ! Mais le style est fluide, si bien que malgré une partie thriller assez conventionnelle, les pages se tournent facilement. Cependant, une fois le livre refermé, il manque l'ingrédient liant le tout pour conserver en mémoire ce roman. Je conseille donc à ceux qui voudraient découvrir l'auteur de débuter par d'autres de ses romans plus réussis, à moins que la thématique ne vous est chère.
Reste une tentative de cyberpunk humaniste.


 

Quelques citations :



Les onirolithes n’étaient en outre pas de simples pierres passives, mais encodées, bourrées de couches d’informations, avec un dictionnaire d’atomes, une syntaxe d’électrons dans chaque molécule. Elles parlaient une langue binaire et universelle. Elles contenaient une nouvelle physique, une nouvelle cybernétique, elles laissaient entrevoir l’existence de technologies entièrement nouvelles.

Certaines choses étaient tout simplement trop horribles pour qu’on les supporte. Il fallait détourner le regard, voilà la vérité… et si on ne pouvait pas le détourner, il fallait apprendre à regarder uniquement pour regarder.
La vision sans désir. Le miroir parfait.






« Nous nous sommes écartés du Rio Branco, raconta-t-il, pour nettoyer après votre passage. Nettoyer les guérillas, cela voulait dire. Sauf que vous aviez laissé un autre genre de saletés. » Le souvenir avait gardé toute sa vivacité et Ng, désormais plongé dedans, se fit plus solennel. « Il y avait des cadavres partout. Femmes et enfants. Ça nous a dégoûtés. Même nous. Ça nous a même dégoûtés, nous. Et bizarrement, on s’est sentis mieux. On était des machines, mais pas des monstres. Vous nous le prouviez. Vous étiez notre consolation. Quoi que nous soyons devenus, il existait pire. » Il regarda Oberg et, des profondeurs de sa chaise, lui sourit. « Vous nous avez fait nous sentir humains. »

2 commentaires:

  1. Ah! celui-ci je viens de ma le prendre. Je pensais chroniqué un "inédit" dans le challenge.... ce ne sera pas le cas. Je n'ai fait que survolé ta critique car je compte le lire sous peu. ;-)

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    1. Trop tard.
      En "inédit" dans notre challenge, il reste Darwinia (que tu as déjà lu je crois), Axys et Vortex.

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