Blind Lake



Robert Charles Wilson, Folio SF (Lunes d'encre), 2005, 482 p., 9€ epub avec DRM



Les intelligences artificiels rêvent-elles de homard électrique ?

Blind Lake ou l'éveil de l'intelligibilité



Présentation de l'éditeur :



Utilisant une technologie quantique qu'ils ne comprennent pas totalement, les scientifiques des complexes de Crossbank et Blind Lake observent des planètes extraterrestres distantes de la Terre de plusieurs dizaines d'années-lumière. À Blind Lake, Minnesota, Marguerite Hauser s'intéresse tout particulièrement à un extraterrestre qu'elle appelle 'le Sujet', mais que tout le monde surnomme 'le homard', à cause de sa morphologie. Et voilà qu'un jour, personne ne sait pourquoi, le Sujet entreprend un pèlerinage qui pourrait bien lui être fatal. Au même moment, l'armée américaine boucle Blind Lake et instaure une quarantaine qui tourne à la tragédie quand un couple qui tentait de s'échapper en voiture est massacré par des drones de combat. Que se passe-t-il à Blind Lake? Avec ses personnages débordant d'humanité, Blind Lake prouve une fois de plus l'immense talent de Robert Charles Wilson. 

Mon ressenti :


Un ordinateur quantique supplée un télescope observant des planètes lointaines à 50 années lumière de distance. Jusqu'au jour où des images d'aliens apparaissent. Premier contact réussi, sauf que les images continuent d'arriver alors que le télescope ne fonctionne plus ! L'intelligence artificiel de l'ordinateur a t-elle pris le relais ? Est ce le réel ou une divagation quantique ?

Ça pourrait s’arrêter n’importe quand. 

Deux complexes scientifiques, dont celui de Blind Lake, utilisant la même technologie observent deux planètes lointaines, et un extraterrestre dont l'opinion a affublé du nom de Homard en raison de son apparence.
Wilson prend le temps de nous décrire le complexe et ses protagonistes avant d'entrer dans le coeur de son sujet qui n'est pas le premier contact auquel on aurait pu s'attendre. Marguerite Hauser, qui dirige le département Observation et Interprétation, est une femme peu sûre d'elle même suite au harcèlement psychologique de son mari devenu ex. Ex qui dirigera par interim le centre de Blind Lake suite à un événement mystérieux. Ils ont une fille dont ils ont la garde partagée semée d'embuches. Fille ayant une amie imaginaire assez flippante.
Nous suivons aussi une équipe de trois journalistes venus faire un article sur le homard et l'ordinateur quantique surnommé L'Oeil.

Ces personnages vont se retrouver dans une situation exceptionnelle et vont devoir s'interroger sur leur présence dans ce centre, les étrangetés qui semble s'y dérouler et réfléchir à leur but dans la vie.

Nous passons d'une visite agréable dans un complexe scientifique à un huis clos oppressant. La météo se déchaine aussi, les nerfs de nos protagonistes sont mis a rudes épreuves ainsi que ceux du lecteur. Difficile dès lors de s'arrêter dans sa lecture. Blind lake, c'est un page turner des plus efficaces, mais il n'est pas que ça.

Ne jamais faire confiance à un amateur de DingDong !

L'auteur nous parle de l’utilisation de technologies que les scientifiques ne maitrisent pas entièrement, mais dont les résultats de recherche sont trop importants pour se poser des questions éthiques ou physiques. Si le quantique vous file des boutons, ne fuyez pas, ce n'est pas le sujet du livre qui est l'intelligibilité, c'est à dire ici l'éveil de la conscience de l'intelligence artificielle. Thème on ne peut plus d'actualité.
Le roman aborde aussi la thématique de l'observation, en l’occurrence celle d'une race alien inconnue dont il faut éviter à tout prix toute tentative de compréhension anthropomorphique. Mais comment comprendre sans se mettre à la place de ?


Lorsqu’elle relut ses premiers paragraphes, Marguerite ne fut pas satisfaite par ce qu’elle avait écrit.
Non parce que c’était incorrect, même si cela l’était, bien entendu – d’une scandaleuse et délicieuse incorrection. Les erreurs d’attribution pullulaient. Les spécialistes en sciences sociales en seraient choqués. Mais elle en avait assez de l’objectivité. Son propre projet, son projet personnel, était de se mettre à la place du Sujet. Quel autre moyen les êtres humains avaient-ils de se comprendre ? « Voyez cela de mon point de vue », disaient les gens. Ou : « Si j’étais à votre place… » C’était un acte d’imagination si commun qu’il en devenait invisible. On considérait les gens qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas le faire comme des psychotiques ou des sociopathes.

Suite à un changement de comportement de l'observé, Wilson nous interroge aussi sur principe dit d’incertitude : l'observateur a une influence sur le sujet observé. (sur cette théorie, voir ici, les photons sont de sacré taquins !)

Ce roman m'a fait penser à Mystérium, du moins dans sa partie sur le laboratoire de recherche scientifique. Donc si la fin de Mysterium vous a laissé perplexe, Blind Lake pourrait vous donner quelques éléments de réponses.

Personnages réussis, histoire réussie, manque cependant ce qui fait le charme des romans de Wilson, la vision de la société vu par la petite lorgnette des protagonistes. Ici, les conséquences de la découverte sur la société est très vite survolée, nous sommes en vase clos.
L'auteur est réputé pour la caractérisation de ces personnages mais j'apporterai un bémol, les personnages malsains ne sont pas une franche réussite. Ici le directeur de centre acariâtre est un peu trop caricatural et prévisible. c'était déjà le cas dans Ange mémoire (l'agent mercenaire du FBI) et Le vaisseau des voyageurs (le militaire bas du front). Wilson est trop humaniste, il échoue à dessiner de méchants protagonistes.

Si vous aimez les univers claustrophobes, si l’intelligibilité et la singularité sont votre dada, Blind Lake vous comblera du moins pour les derniers par son traitement de côté, jamais frontal, mais original.
Si vous aimez Wilson pour son analyse sociétale suite à un événement extraordinaire, ce roman pourrait vous décevoir en partie.

Mais surtout n'oubliez pas, ça pourrait s'arrêter n'importe quand !

lutin82 a trouvé dans le roman une garce et un pervers narcissique, sauras tu les retrouver ?

Prix Aurora 2004

Vous auriez été hongrois, vous auriez eu le droit à cette couverture !
Alors qui a lu le livre, Manchu ou le dessinateur hongrois ?



Challenge Lunes d'encre


Citation : 


Il savait que quiconque cherchant à salir sa réputation (et ses ennemis étaient légion) pourrait qualifier de misogyne une partie de son comportement. Il ne haïssait pourtant pas les femmes. Bien au contraire : il leur donnait toutes les chances de se racheter. Le problème n’était pas qu’il haïssait les femmes mais qu’elles n’arrêtaient pas de le décevoir. 


6 commentaires:

  1. J'adore ta critique. Blind Lake est le premier roman de RCW que j'ai lu. Ce qui m'a surprise et c'était globalement le seul vrai bémol, c'était la non-réponse au mystère scientifique. Ayant lu 4 romans supplémentaires, ce traitement ne me surprend plus et ce n'est plus dans l'ordre du bémol, mais avec le recul je suis entièrement d'accord avec toi sur la dimension sociale assez réduite par comparaison aux autres livres découverts.
    Même sentiment également quand à la ressemblance avec Mystérium

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    1. Merci.
      Wilson aime les fins ouvertes, ce qui peut être frustrant parfois.
      Ce roman débutant par une incompréhension du fonctionnement de l'Oeil, il nous laisse un final sur ce que le lecteur entend par l'éveil de la conscience.
      Mysterium avait une consonance mystique qui est ici absente, cela ancre un peu plus l'aspect SF.

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  2. Pour ma part, l'un de mes préférés de l'auteur. L'interaction observateur/observé est juste top. Très prenant, intrigant, je le conseille à tous les lecteurs qui ne sont pas forcement fondus de SF pour découvrir RC Wilson.

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    1. C'est un roman que j'ai dévoré. Peut être pas aussi vertigineux que Spin, mais sur l'intelligibilité, il prend des chemins de traverses que j'ai beaucoup apprécié, sans parler du concept de "vie". Un livre très scientifique sous des dehors de huis clos.

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  3. J'aime la couverture hongroise ! Je note même si j'ai d'autres romans de RCW dans ma PAL.

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    1. Difficile de s'arrêter lorsque l'on découvre la plume de l'auteur, au final tu vas lire une bonne partie de sa bibliographie.
      Pour la couverture hongroise, elle fait un peu SF old school.

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