L'installation de la peur


Rui Zink, Agullo, 2016, 192 p., 10€ epub sans DRM


Une fable politique théâtrale orwello-kafkaïenne. Étonnant, intelligent, mordant, mais pari à moitié réussi.

Présentation de l'éditeur :


La sonnette retentit dans l’appartement d’une femme vivant seule avec un enfant. Ignorant qui se trouve derrière la porte, la femme, méfiante, décide de cacher son enfant dans la salle de bains avant d’aller ouvrir. Sur le perron se trouvent deux agents du gouvernement qui l’informent de leur mission : la mise en application de la directive n° 359/13 exigeant l’installation de la peur dans chaque foyer. Faisant irruption violemment dans le salon, les deux visiteurs se lancent dans une inquiétante performance : tour à tour, ils haranguent la pauvre femme, dressant un tableau horrifique des maux de notre temps. Dans leur discours halluciné, tout y passe : crise, épidémies, catastrophes naturelles, misère sociale, guerre et torture, terrorisme... Ils agrémentent leur diatribe d’histoires effrayantes jouant sur les peurs primales de l’homme (peur de l’autre, de la maladie, de la folie...), qu’ils mettent en scène pour un effet d’épouvante maximum. Petit à petit, ils installent ainsi une violence sourde dans la pièce, entraînant la femme – et le lecteur – dans leur délire paranoïaque. Mission accomplie? Pas sûr. La peur a une vie propre, et ses ravages peuvent parfois se montrer inattendus...


Mon ressenti :


Des chapitres courts, très courts qui donnent un sentiment d'urgence devant ces deux "ouvriers" venus installé la peur dans la maison d'une femme. L'Etat a voté la directive n° 359/1, refuser son installation a de fâcheuses conséquences.
Un huis clos paranoïaque et satirique qui se résume à un C'est quoi cette peur ? La tension est présente, palpable, un sentiment de malaise s'installe peu à peu. Et si ces deux hurluberlus n'étaient pas ce qu'ils disent être ?
On passe du rire gras au rire amer, du théâtre de boulevard à la comédie dramatique, de l'ironie au cynisme, de la farce politique à la critique sociale. Une première parti très réussie, tout en allégorie sur la situation portugaise lors de la crise. L'auteur élargit le propos qui devient dès lors universel. Ou comment devient on un citoyen mouton ?

Puis, une fois la réponse connue, nous sommes dans les travers réguliers des romans à message : trop appuyé, trop démonstratif, trop rhétorique, trop didactique. Mon intérêt s'envole. Malgré sa brièveté, et la clarté dans la mise en page, c'est long, très long. Seule la toute fin m'a sorti de ma léthargie.

A trop vouloir être compréhensif dans son allégorie, l'auteur passe de l'angoisse de cette situation ubuesque à une simple peur.
Vraiment dommage, car ce livre pourrait plaire à beaucoup de monde, tout en faisant réfléchir.



Quelques citations :



— Ça va être long ?
— Le temps qu’il faudra, chère madame. Tout dépend du temps que prendra l’installation. Parfois, en une heure, c’est fait. D’autres fois… Ça dépend.
La femme baisse les yeux, résignée.
— Mais ne vous inquiétez pas, chère madame. Avec nous, le temps passe en un clin d’œil.
— Si vous le dites…
— Oh oui, chère madame. L’installation de la peur est chose rapide. Avant même que vous ne puissiez vous en rendre compte, elle est installée et prête à l’emploi. Autrefois ça prenait des années. Maintenant, avec les nouvelles technologies, c’est l’affaire de quelques minutes.

— Madame se sent hésitante, n’est-ce pas ? C’est bon signe, c’est le signe que l’installation de la peur a déjà commencé. Voyez-vous, chère madame, en matière d’installation, il y a une partie physique et une partie métaphysique.
La femme acquiesce.
— Autrement dit, il ne revient pas qu’à nous d’installer la peur, il faut aussi qu’il y ait de la part de nos concitoyens un état de disponibilité mentale (je dirais même « morale ») afin d’accepter la peur. Comme pour un signal. Non seulement il est important que l’émission du signal soit forte, mais il convient que la réception le soit aussi.


s’il y a une chose importante dans l’installation de la peur, c’est bien le respect des hiérarchies. La conscience de la place de chacun, vous comprenez ? Pas de mélanges. Pour ne pas créer de confusion. Quand chacun sait quelle est sa place, les choses fonctionnent mieux, vous voyez ? Et au fond, nous sommes là pour ça. Pour que la société fonctionne mieux.



— Mieux vaut attaquer les vieux.
— De toute façon c’est leur faute.
— C’est pour payer leurs retraites que l’économie s’effondre.
— Ils sont pires que les immigrés.
— Ceux-là, au moins, ils travaillent.
— Ils volent nos emplois mais ils travaillent.
— Et puis, de toute façon, ils volent les emplois dont, même morts, nous ne voudrions pas.
— Voilà.
— L’inconvénient, c’est quand les immigrés en veulent encore plus.
— Quand ils se mettent à vouloir les emplois que, même morts, nous voulons.


— La vérité, c’est qu’il faut bien que quelqu’un souffre.
— Il faut bien que quelqu’un souffre pour que les autres vivent.
— À tout partager à parts égales, on finirait tous égalitairement pauvres, chère madame.
— Connaissez-vous l’histoire de l’ami riche et de l’ami pauvre, chère madame ?
— Il était une fois un riche dont l’ami pauvre passait son temps à le tanner à cause de sa fortune.
— Jusqu’au jour où le riche en eut assez et lui dit : « Écoute un peu, si nous partagions ma fortune entre tous les habitants du pays, combien crois-tu que cela ferait pour chacun ? »
— Le pauvre ne voulait pas répondre, mais le riche insista. Et il finit par dire : « J’en sais rien, cinq ou dix sous. »
— Alors le riche prit son porte-monnaie et en sortit dix sous.
— « Tiens, voici ta part. Et maintenant arrête de me casser les pieds. »

2 commentaires:

  1. Oui, au final c'est dommage de manquer le coeur de son objectif. C'est vrai que cela a l'air assez surprenant au dpéart et le mélange Kafka/Orwell largement propice à l'angoisse...

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    1. Très original comme forme et fond. Mais l'originalité ne fait pas tout...

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