La guerre des salamandres


Karel Čapek , La République des Lettres, 1936, 336 p., 5€ epub sans DRM


Comment n’aurai-je pas pitié du genre humain, je te le demande bien ? Mais il m’a surtout fait pitié quand je l’ai vu courir lui-même tête baissée à sa perte. Ça donne envie de crier, de voir ça. Crier et lever les bras comme quand on voit un train s’engager sur une mauvaise voie. Maintenant, il est trop tard pour l’arrêter.


Karel Čapek tend le miroir à l'humanité. Un reflet noir mais drôle.

 

Présentation de l'éditeur :

Lorsque Jan van Toch, capitaine de navire hollandais, découvre, à l’ouest de Sumatra, une espèce de salamandre douée d’une certaine forme d’intelligence et susceptible de l’aider dans l’exploitation des perles, il est loin d’imaginer que cette découverte sera à l’origine d’un bouleversement complet de l’ordre mondial. Et pourtant…

Mon ressenti :

Karel Čapek est un illustre inconnu dont pourtant beaucoup d'auteurs, de scientifiques et de lecteurs emploient un terme qu'il a inventé, rentré dans le langage courant (plus d'infos sur le blog du Bélial):

L’homme qui inventa les robots
Pour le monde entier, Čapek reste l’homme qui, en 1920, écrivit la célèbre pièce « R.U.R. », ce qui signifie Rossums’s Universal Robots. C’est dans ce titre que l’on vit, pour la première fois apparaître le mot « robot », qui veut dire en tchèque « travailleur » et qui devait finalement entrer dans le vocabulaire de toutes les langues de la planète. Le robot, c’est l’homme artificiel, l’homme destiné à nous remplacer. Le péché de créer, se substituant chez l’homme au péché de détruire. Le Golem et l’homunculus des légendes devenant réels, menaçants et prêts peut-être à livrer contre l’humanité la dernière guerre.
Postface Les salamandres dans les rues de Prague par Jacques Bergier


Nous sommes dans une histoire assez classique, celle de l'exploitation d'une ressource, ici les salamandres, des êtres qui ont eu la mauvaise idée de croiser la route de l'homme et lui faire miroiter des bénéfices substantiels en leur amenant sur un tapis rouge des perles naturelles devenues extrêmement rares. Les salamandres vont révéler d'autres avantages qui pourraient bien causer leur perte, ou celle de l'homme... La guerre du titre est trompeuse, n'occupant en fait que quelques pages en toute fin du roman.

Un roman datant de plus de 80 ans, malheureusement toujours d'actualité. Le capitalisme du début du 20ème siècle n'a pas à rougir face à celui de notre époque.
De la découverte du "sauvage" qui va bientôt passer à celui de "bon sauvage", l'histoire de ces salamandres est une satire de notre société. Tout y passe : industrie, finance, vie politique, géopolitique, nationalisme, racisme, société, médias, patron/ouvrier, syndicalisme, religion, éducation, la brocarde est salutaire, le cynisme à son paroxysme, l'humour y est noir, très souvent grinçant. Notre histoire, reconstruite dans les grandes lignes et qui n'est pas à porter à notre bénéfice.

Un défaut à mon sens, qui peut expliquer l'oubli de ce livre face à d'autres "grandes oeuvres" : l'auteur emploie différents styles pour nous livrer son conte philosophique : récit, coupures de presse, extraits de livres, médias qui donnent un aspect assez décousu, il manque clairement une intrigue un peu plus conséquente pour rester dans les mémoires du lecteur.

Ceci dit, une lecture salutaire, même si l'humanité ne s'y montre pas sous son jour le plus favorable.  Les années passent et n'améliorent pas notre civilisation, les erreurs du passé n'offrant que de nouvelles idées pour asservir son prochain. Mais mème si le propos est sombre, le texte pourra plaire au plus grand nombre de part son humour quasi omniprésent.


Challenge S4F3

Quelques citations :



 — Tu crois qu’il y aura la guerre ? s’inquiéta Mme Povondra. Tu sais, à cause de notre Frantik, pour qu’il ne soit pas obligé de partir.
— La guerre ? fit Povondra père. Il faut une guerre mondiale pour que les États puissent se partager l’Océan. Mais nous, nous resterons neutres. Il faut bien qu’il y ait des neutres pour livrer des armes et tout le reste aux autres. C’est comme ça, décida M. Povondra


Tu vois. Si ce n’étaient que les salamandres contre les hommes, il y aurait peut-être quelque chose à faire ; mais les hommes contre les hommes, mon vieux, rien ne peut les arrêter.
 
Que dirions-nous si une espèce animale autre que l’homme proclamait que, vu son nombre et son instruction, elle possède seule le droit d’occuper le monde entier et de dominer toute la nature ? C’est donc cette confrontation entre l’histoire du passé humain et l’histoire actuelle qui m’a poussé de force à m’asseoir à mon bureau pour écrire « La guerre des salamandres ». La critique l’a qualifiée de roman utopique. Je m’élève contre ce terme. Il ne s’agit pas d’utopie, il s’agit d’actualité. Ce n’est pas une spéculation sur les choses à venir, c’est un reflet de ce qui est, de ce qui nous entoure. Ce n’est pas une fantaisie ; de la fantaisie, je suis toujours prêt à en rajouter gratis tant qu’on en voudra ; mais je voulais parler de la réalité. Je n’y peux rien, mais une littérature qui n’a cure de la réalité, de ce qui arrive vraiment au monde, des œuvres qui ne veulent pas réagir devant cette réalité avec toute la force dont la pensée et la parole sont capables, cette littérature n’est pas la mienne.
Karel Capek, postface


12 commentaires:

  1. Ha oui je vois, j'avais déjà trouvé le principe décousu par exemple chez John Brunner (dans Le troupeau aveugle ou Tous à Zanzibar) et je reprochais la même chose, qu'au final ça manquait un peu d'intrigue même si la critique de la société est bien faite !

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    1. Oui, parfois la forme prends le dessus sur l'intrigue. Les lecteurs d'hier étaient peut être un peu différents.

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  2. J'ai été convaincu dès la première citation.
    C'est dommage si l'intrigue n'est pas complètement à la hauteur, c'est forcément dommage pour un livre de fiction, mais je reste tenté par ce morceau d'histoire. ^^

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    1. Cool, content d'avoir pu donner envie de redécouvrir ce roman.
      Disons que cela ressemble plus à un journal de ces années sombres. C'est justifié, compréhensible, mais il m'a manqué un souffle romanesque (oh les gros mots !)

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  3. Je ne sais pas où tu vas pêcher tous ces "vieux" livres. Ce n'est pas là que j'irai mais merci pour les découvertes.

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    1. J'aime me promener la nuit dans des manoirs sombres, leurs étagères sont souvent bien garnies.
      C'est souvent au détour d'une critique, d'un article sur la SF que des oeuvres sont citées. je stabilote et lorsque j'ai le temps, j'y regarde de plus près.

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  4. Le défaut dont tu fais état, l'utilisation je cite de "récits,coupures de presse, extraits de livres, médias", est pourtant un indice de modernité. Voire d'avant-garde (pour l'époque).

    Vraisemblablement inspiré de la trilogie U.S.A de John Dos Passos (publiée entre 1930 et 1936), dont on peut penser que ses ouvrages étaient traduits et diffusés de l'autre côté du "rideau de fer", du moins avant 1937, compte tenu de ses idées politiques d'alors. Or donc disais-je, je doute que ce roman ait pâti de ce type de "découpage".

    Il n'est qu'à voir le sort réservé à "Tous à Zanzibar", devenu un classique de la littérature SF, qui reprend également la Méthode Dos Passos©.

    Classique ne veut pas forcément dire "page-turner". Et pas plus "Tous à Zanzibar que la "trilogie U.S.A" ne sont à ranger dans cette catégorie. Et peut-être ne sont-ils plus très lus non plus.

    Dans le cas de Čapek, l'éditeur chez qui on le trouve doit aussi jouer pour expliquer son relatif anonymat chez les lecteurs de SF (d'aujourd'hui). Non ?

    Mais je ne doute pas que ton coup de projecteur, lui redonnera son aura perdue.

    [-_ô]

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    1. Que ce soit sur Tous à Zanzibar, ou plus proche de nous dans World War Z, ce procédé peut se suffire à lui même. J'aime en outre souvent la Méthode Dos Passos©, montrant le talent de celui qui l'utilise.
      (Merci en passant pour la référence)

      Dans ce roman pourtant, cela m'a moins emporté, peut être aussi du fait du découpage par sujets qui alourdit la démonstration. J'ai lu dans un avis que ce livre était paru à l'époque en feuilleton, mais je n'ai pas eu confirmation en faisant une recherche rapidement. Si c'est le cas, cela pourrait peut être expliqué mon ressenti.
      Après, cela reste mon appréciation personnelle et n'a que légèrement terni ma lecture, mais j'ai préféré le signalé aux hypothétiques lecteurs.

      Sur le fait de la relative discrétion de l'oeuvre, je tablerai plutôt sur un manque d'intérêt politique des lecteurs. Les éditeurs publient la soupe que nous leur demandons. Et au vue de ce qui truste les palmarès, pas sûr que la critique Politique soient ce qu'ils veulent.
      Les lecteurs actuels ont 1984, Fahrenheit et Le meilleur des mondes sur la critique sociétale, il ne faudrait pas non plus trop leur monter la tête avec des propos subversifs, ils pourraient devenir de vrais contestataires, voir des révolutionnaires.

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  5. Tu as de nouveau enfiler ton chapeau d’archéologiste littéraire! Pour notre plus grand bonheur!

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    1. J'ai encore une vieille pierre en attente pour votre plus grand bonheur.

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  6. Karel Čapek: un auteur à lire absolument et nullement dépassé.

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