Le goût de l'immortalité



Catherine Dufour, Mnémos, Livre de poche, 2005, 320 p., 7€ papier


Confessions d'un zombie

Présentation de l'éditeur :


Mandchourie, en l'an 2213 : la ville de Ha Rebin dresse des tours de huit kilomètres de haut dans un ciel jaune de pollution. Dans les caves grouille la multitude des damnés de la société, les suburbains.
Une maladie qu'on croyait éradiquée réapparaît. Cmatic est chargé par une transnationale d'enquêter sur trois cas. Une adolescente étrange le conduira à travers l'enfer d'un monde déliquescent, vers ce qui pourrait être un rêve d'immortalité.
Mais vaut-il la peine d'être immortel sur une Terre en perdition ?

Mon ressenti :

Optimistes de toutes obédiences, passez votre chemin, ce monde futur n'est que souffrance et noirceur, les gens honnêtes n'y font pas de vieux os. Pour preuve le récit de deux protagonistes qui vont croiser le chemin de notre narratrice. 
Le propos : la narratrice le dit très bien en début de texte :

je peux déjà vous promettre de l’enfant mort, de la femme étranglée, de l’homme assassiné et de la veuve inconsolable, des cadavres en morceaux, divers poisons, d’horribles trafics humains, une épidémie sanglante, des spectres et des sorcières, plus une quête sans espoir, une putain, deux guerriers magnifiques dont un démon nymphomane et une... non, deux belles amitiés brisées par un sort funeste, comme si le sort pouvait être autre chose. À défaut de style, j’ai au moins une histoire. En revanche, n’attendez pas une fin édifiante. N’attendez pas non plus, de ma part, ni sincérité, ni impartialité : après tout, j’ai quand même tué ma mère.
Ce n’est pas un sujet qui peut se passer de mensonges.
Trois récits pour une histoire, une ado figée dans le temps, un entomologiste pris dans des enjeux géo-industrio-politiques et une musicienne qui va tenter d'adoucir les moeurs. Ajouter à cela des tours immenses qui ne sont pas sans rappeler certaines monades, une variation de paludisme extrêmement meurtrier, une utopie dictatoriale et une sorcière vaudoue. Et au milieu de tout ça, des hommes qui se battent pour survivre dans ce monde déliquescent. Seuls les plus forts survivent. 

A travers ces trois tranches de vie, Catherine Dufour nous dessine un futur pas très glorieux, où les Etats n'existent plus que derrière des multinationales qui se font la guerre. L'éternelle lutte entre classe laborieuse et classe dirigeante se creuse, ce n'est plus un fossé qui les sépare, mais un gouffre, avec quelques petites passerelles pour certains joueurs à l'éthique inexistante.
Rien de nouveau sous le soleil, mais l'auteure a une approche différente de bien ses confrères, un style incisif, parfois cynique et des personnages complexes. Le roman ne restera peut-être pas dans mes annales, mais le destin de ses trois personnages malmenés par l'histoire continueront de ma hanter, un petit goût d'immortalité en quelques sortes.



Prix Bob-Morane 2006.
Prix Rosny aîné 2006.
Prix du Lundi 2006.
Grand prix de l'Imaginaire 2007.


Récapitulatif

Quelques citations :

[à propos des scientifiques] Pour le moment, j’ai besoin de techniciens capables d’assurer la maintenance des générateurs d’air, pas de branleurs rêvant aux trous de Vers.

[...] on ne peut pas commencer quoi que ce soit de juste comme ça. Parce qu’affronter une maladie, une catastrophe naturelle, c’est dans l’ordre des choses. Les humains ont toujours lutté contre le monde et lutter, c’est perdre souvent. Mais le meurtre, c’est autre chose. Un être humain qui en tue un autre, c’est qu’il accepte de devenir lui-même une catastrophe naturelle. Il devient son pire ennemi, il pactise avec la force écrasante du monde. Quelle utilité de sauver une vie au prix de l’envie de vivre ?

[...] que peut-on attendre de gens qui, au bout de cent années d’existence, ne sont morts ni d’amour, ni de dégoût, ni d’épuisement ? Un peu de sagesse ? J’en cherche les effets autour de moi et je ne vois rien. Que peut-on espérer d’un monde que dirigent d’inusables vieillards ? Nous qui avons le temps, la connaissance et le pouvoir, nous ne savons que durer. Nous n’avons appris qu’à nous survivre. Nous sommes des monstres, mon ami.

[...] je ne crois pas à cette sagesse des anciens pour laquelle vous avez tant de respect. Car les vieillards sont ceux qui ont beaucoup vécu et donc beaucoup souffert. Je suis morte et j’ai tué, j’ai vu tuer et mourir, j’ai eu un temps immense pour la douleur et la méditation, ai-je pour autant grandi en force morale ? En discernement ? La souffrance n’élève pas, elle abaisse. Elle ne rend pas intelligent, elle abrutit ; elle ne rend pas plus fort, elle fêle ; elle n’éclaircit pas la vue, elle crève les yeux ; elle ne mûrit pas l’esprit, elle le blettit.

Mais peut-être est-il encore possible, avec beaucoup de soin, de science et de patience, de rendre la terre aux hommes et les hommes à la terre ? De rogner les tours à défaut de les abattre, épurer nos sols, nos eaux et notre air pour y relâcher, ressuscitées, toutes les Espèces dont nous conservons l’adn avec un soin pathétique ? Et ensuite, oser risquer un œil hors du Réseau sous un ciel moins jaune de crasse ? La tâche est immense, il y faudrait une parfaite maîtrise du présent, une connaissance intime des erreurs passées et beaucoup de temps.

20 commentaires:

  1. Oui, même impression de mon côté, une lecture valable sur le moment mais qui n'est pas pour autant restée dans mes annales.

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    1. Peut être est dû à l'effet "fix up", il manque un liant qui resterait plus dans les esprits.

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  2. Apres avoir lu Entends la nuit, j’ai très envie de decouvrir ce titre. Mais bon... quand je serais dans un bon mood... ou alors je vais finir depressive 😅

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    1. C'est le futur de dans 200 ans, tu seras déjà poussière et tes enfants aussi... Il faut le lire avec distance, comme une ironie, mordante, pour les futures générations : "Nous avons vécu comme des pachas, mis des oeillères, profitez bien de notre cadeau !"

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  3. Je l'ai lu mais il ne m'a pas marqué non plus !

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  4. Noir, noir et un peu étouffant ! j'avais trouvé le style original, mais à ne pas conseiller à des dépressifs !

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    1. Cela ne fera que confirmer aux dépressifs que la vie ne vaut pas le coup d'être vécu, donc cela ne peut que renforcer leur estime de soi.

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  5. Bien aimé lors de la lecture, mais je dois avouer qu'il ne m'en reste pas grand chose aujourd'hui...

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  6. Fun fact : je l'ai emprunté la semaine dernière à la bibliothèque (avant de voir ta chronique). Je suis à la fois refroidi et enthousiasmé, on verra comment ça se passe. ^^

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    1. Mais c'est quoi ce commentaire ? Je suis un prescripteur, tu aurais pu dire que mon avis t'avait donné une furieuse envie de le lire. Je passe pour quoi moi maintenant.

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    2. Mais bien évidemment, ce fut certainement un choix subconscient guidé par mes lectures de tes toujours excellents chroniques. Abonnez-vous, lâchez un pouce bleu, filez du pognon pour la nourriture de ce pauvre chien qui fait tant d'efforts pour nous.

      (c'est bon, je me suis rattrapé ?)

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    3. On sent tout de même poindre un certain sarcasme !

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  7. Ah, je suis un chouïa déçue de se que tu en dis. J'aimle bien le titre, et je l'avais repéré. Mais, je crois que je vais me rabattre sur l'accroissement mathématique. Ma PAL est trop conséquente. :-)

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    1. Le recueil ne me tente guère, je verrai lors de ta critique si je change d'avis.

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  8. Ah j'avais lu un jour la quatrième de couverture et j'étais pas forcément fan. Là comment tu dépeins la bête ça pourrait peut-être me plaire. Je vais être plus attentif si je le recroise. Merci pour cette chronique !

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    1. C'est très loin d'être mauvais, c'est plus la structure qui selon moi pêche un peu

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  9. Je garde plus de souvenirs d'Outrage et Rébellion (qui se passe plus tard dans le même univers), pourtant perclus de défauts, mais qui m'avait envoyé une bonne grosse claque.

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    1. Je ne savais pas qu'Outrage et rébellion se situait dans le même univers, merci de l'info. Je note pour plus tard

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