Dmitry Glukhovsky, L'Atalante, 2019, 400 p., 10€ epub sans DRM
De la littérature blanche avec de vrais mort-vivants ou des vivant-morts et des fantômes.
Présentation de l'éditeur :
Il est des gens qui laissent une trace derrière eux, et il y a ceux dont il ne reste rien.
Le smartphone sait tout de nous : notre quotidien, nos vices, nos amours, nos espoirs, nos secrets inavouables. Mon smartphone est moi. Si quelqu'un s'en empare, il devient moi aux yeux de tous. Le temps que l'imposture soit découverte, il est trop tard. Pour tout le monde.
Mon ressenti :
Dmitry Glukhovsky fait parti des auteurs dont j'achète chaque parution. Ici, au vue du pitch, je croyais qu'il s’agissait d'une anticipation sur le téléphone. Après lecture de quelques chapitres, je commençais à me poser de sérieuses questions sur le côté SF du roman, me demandant comment l'auteur aller retourner la situation. Ce qu'il ne fit pas : nous sommes devant un texte de littérature général. Mais même si j'ai été assez déstabilisé de me retrouver devant un roman sans voitures volantes, sans petits hommes verts et sans imprimantes 3D, le récit m'a vite pris dans ses filets, me demandant comment ce jeune
sortant de prison allait se sortir du bordel où il s'est mis.
Ilya Lvovitch vient de finir de purger sa peine de sept ans de prison. Il retourne vivre chez sa mère, pensant en avoir fini avec l'horreur. Mais cette chienne de vie lui réserve quelques chausse trappe dont elle a le secret. Nous allons découvrir peu à peu pourquoi il a été emprisonné, et les conséquences sur sa vie, et celles de quelques autres.
Dans la rame, nul ne lui prêtait attention : chacun était absorbé par son téléphone, chacun en fouillait l’écran ; les femmes maquillées de leurs ongles peints, les travailleurs immigrés aux yeux bridés de leurs mains calleuses, les écoliers de leurs petits doigts aussi fins que des allumettes. Derrière le verre renforcé, chacun avait une autre vie, plus palpitante, plus vraie. Avant, seuls les gens branchés possédaient des smartphones, les jeunes. Mais alors qu’Ilya purgeait sa peine, on avait créé des Internets pour tout le monde, les mécréants, les vieux, les nourrissons.
Roman qui aurait pu être assez conceptuel, car le smarthphone est tout de même l'un des personnages principaux. Mais l’écueil est évité avec brio, l'auteur se jouant des interstices vides entre les photos, les sms, les vidéos et autres applis capturant notre quotidien. On ne partage que ce que nous voulons bien, le reste demeurant notre vie privée. Notre anti héros va devoir jongler avec cette mémoire technologique incomplète pour dénouer l'écheveau d'intrigues.
Il étudia le trajet. L’application lui suggéra non seulement un parcours, mais calcula le temps de déplacement : une heure porte à porte. Elle était bien pratique, cette appli. Si seulement on pouvait faire de même avec le destin : saisir au point A la position actuelle, au point B ce à quoi on voulait arriver. Puis on laisserait Yandex prendre en main le récit : d’abord, mille kilomètres à pied, puis trois ans de train, puis deux mariages, trois enfants, ne travailler qu’à certains endroits bien précis pour une durée déterminée. Un trajet de quarante-cinq ans, mais il existe un itinéraire bis.
Derrière tout cela, Dmitry Glukhovsky nous parle de la société russe, du
sens de la peine, de la justice, de l'éducation, des valeurs. Comment se
tenir droit et honnête lorsque ceux qui "réussissent" sont ceux qui se
jouent du système, qui sont le système. Comment vivre sa vie
lorsque celle ci vous a été prise, dont on vous a privé quelques
années. Ilya Lvovitch tente de vivre une nouvelle vie par procuration,
de rattraper les erreurs du propriétaire du smartphone. Mais peut on se
racheter ? C'est aussi une réflexion sur l'apparence, celle que les gens
ont de nous, dans la vie réelle, mais aussi par les réseaux sociaux.
Nous n'avons qu'un aperçu d'une personne, forcément subjectif. Se connait on vraiment, connait
on réellement ceux qui nous entourent ?
La prison est une punition, non ? Afin de payer pour ce qui a été commis. Ou est-ce juste une leçon ? Réponds-moi comme une enseignante. C’est pour se venger de celui qui a volé ou tué ou pour apprendre aux autres à ne pas voler ou tuer ? Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai mis des petits flotteurs lumineux dans la rivière. C’est pour ça que j’ai pris sept ans ? Donc ce n’est pas une punition mais une leçon, pour que je ne contredise plus jamais un flic. Ou était-ce une leçon de la vie qu’il m’a fallu sept ans pour assimiler ? On fait moins d’études pour devenir médecin, putain, qu’est-ce que c’est que cette leçon ? Et pourquoi a-t-on inculqué d’autres leçons à Petia ? Qu’il ne faut pas payer, mais qu’il faut resquiller. Que si on bouffe les autres avec assez d’aplomb, ils n’auront pas le temps de penser à la vengeance.
Bémol cependant qui m'a fait tiquer à certains moment : le pistage possible si l'on a un smartphone sur soi, qu'il soit éteint ou allumé. L'auteur laisse sous entendre qu'une fois éteint, nous sommes invisibles. Mais comme le narrateur n'est pas une source fiable, à la limite de la parano, est ce que ce n'est pas lui qui se fait un film ?
Alors, si toi aussi tu tentes de survivre dans cette société des apparences, dans ce monde où l'individualisme règne, où écraser son prochain pour gravir un échelon de l'échelle de la réussite est un sport de haute lutte, lis Texto et réfléchis à ton épitaphe !
Quelques citations :
On dit que la vodka rend sourd. C’est faux. Elle rend idiot, elle empêche de penser droit, de construire une conversation, de se méfier de son interlocuteur. Mais elle a un effet positif sur l’audition. On s’entend mieux tout comme on entend mieux l’autre, malgré tous les efforts de son intellect sobre pour dissimuler ses sentiments derrière des mots. La vodka, c’est le rayon X de l’âme.
Les mortels se frottaient les uns aux autres sur la piste de danse, pour leur ravir le feu. Les plus brûlants s’embrassaient dans les coins et gémissaient dans des cabines verrouillées. Tout le monde parlait, personne n’écoutait. Le club était à l’inverse de la vie terrestre. Le Paradis ? Et pourquoi pas ? L’Éden avec ses pelouses vertes, ses vêtements blancs et ses harpes n’était pas le paradis, mais plutôt une maison de retraite pour vieux bourgeois. Pour un vingtenaire, y mourir n’avait aucun sens.
Certains chiaient dans les ascenseurs, d’autres défonçaient les arrêts de bus. Les raisons en étaient limpides. Il n’y avait pas d’autre réponse qu’un individu pouvait apporter au gouvernement et nul autre moyen de se venger de la vie.
Sa mère n’aimait pas le mensonge, pas plus que les pleurnicheries. Elle appelait toujours les choses par leur nom et regardait l’avenir avec sévérité à travers ses lunettes professorales. Se préparer au pire pour ne jamais être déçu par la vie, telle était sa devise.
quand tu auras des enfants, tu comprendras qu’il ne faut pas leur dire toute la vérité sur le fonctionnement du monde. Si on leur dit dès leur plus jeune âge que tout le monde vole, que tout le monde est avide, que tout le monde commet l’adultère, alors ils penseront que c’est la norme et ne ressentiront aucune culpabilité en commettant des péchés et, à cause de cela, ils commettront de bien pires atrocités sans sourciller. Pour les protéger de cela, il faut enjoliver le monde à leurs yeux tant qu’ils sont petits. Et nos enfants restent petits à nos yeux qu’ils aient 5, 25 ou 30 ans. Cela aussi, tu le comprendras quand tu élèveras les tiens.
— En Belgique, le Premier ministre va travailler à vélo, dit une femme assise au fond.
— Ouais, mais c’est un homo, lâcha un costaud roux barbu avec des mèches grisonnantes.
— Ils ont des homosexuels au gouvernement ; chez nous, c’est des pédés, fit le vieil homme à lunettes d’un air entendu. Allez savoir ce qui est mieux.
Sergueï l’accueillit sur le palier, il maintenait son sourire comme on retiendrait un pantalon sans ceinture ; s’il n’y prenait garde, il tomberait et on lui verrait la bite.
Je ne suis pas sûr que ça sera avec celui-ci que je découvrirai Dmitry Glukhovsky, j'ai du mal à me motiver pour l'auteur.
RépondreSupprimerQuoique je dois avouer qu'ici je le lirai bien juste pour la manne de jeux de mots et d'idées qu'apporte ce titre. =P
Je te laisse seul juge pour savoir si tu débutes ta découverte avec ce titre, mais ce n'est peut être pas le meilleur pour commencer. Moi je commencerai par Futur.Re ou Metro 2033. Et tant pis pour les jeux de mots !
SupprimerEt si on n'a pas de smartphone, ça marche quand même ?
RépondreSupprimerCela dépend,
Supprimer- si tu veux le lire sur smartphone, le mieux est d'en avoir un !
- si tu as regardé la définition de smartphone en lisant mon avis, ça va coincer
- sinon ça passe ;p
Je ne sais pas trop, j'ai lu les premières pages et j'ai trouvé ça assez lent, j'ai pas vraiment accroché !
RépondreSupprimerPour les premières pages, j'attendais la SF, donc un peu dur, mais j'ai vite accroché. Par contre j'ai lu quelques avis où cette lenteur était déplorée, je ne l'ai pas ressenti, j'ai avalé le roman en trois jours.
SupprimerMais si dès le début ça coince, je ne pense pas que tu accrocheras.
Oh! cela me déçois un chouïa de voir que ce n'est pas de la SF. Même si c'est pas mal, je ne sais pas si je vais du coup me laisser tentée. ET ce n'est pas un tempo posé qui me gêne.
RépondreSupprimerJe ne pense pas que cela soit dans tes goûts.
SupprimerPour la non-SF, je ne savais pas que L'Atalante avait une collection hors genre. Et au vue du pitch et de la couverture, je ne me suis même pas posé la question, ce qui a dû arriver à d'autres lecteurs. En même temps, si L'atalante avait mis en avant le côté blanche, pas sûr que je l'aurais lu.
Pour le coup, ça me pourrait me tenter même si ce n'est pas de la SF ... à voir !
RépondreSupprimerL'auteur a du style, beaucoup lui reproche une certaine lenteur dans le déroulement de ses intrigues, mais je trouve que cela pose l'ambiance.
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