La ménagerie de papier

Ken Liu, Le Bélial, 2015, 448 p., 12€ epub sans DRM



"Au début d’un de mes plus anciens souvenirs, je pleure."

Ainsi débute la nouvelle donnant son titre au recueil. Texte assez court ayant remporté trois des plus prestigieux prix littéraires : Hugo, Nebula et World Fantasy. Amplement mérité d’après moi. En quelques pages, Ken Liu nous parle du déracinement, du racisme et de ses conséquences dans une relation fils-mère. Sensible et sans faux-semblant sur l’intégration. Cela faisait longtemps qu’un texte ne m’avait pas autant touché et uppercuté.

Dix-huit autres nouvelles, majoritairement inédites, composent ce recueil, certaines très courtes, explorant les genres de l’imaginaire, passant du tragique au comique.
J’ai trouvé que la thématique récurrente était la communication (ou son absence ou son incompréhension) : dans le couple, dans la famille, avec soi, au travers des livres, des différences culturelles… Au fil des nouvelles, un tout se dégage sur le choix des textes ou d’une des marottes de l’auteur.

Quelques textes ont ma préférence : Les algorithmes de l’amour, très beau texte sur le deuil, la dépression et l’amour qui questionne aussi les différences-similitudes entre l’intelligence de l’homme et l’intelligence artificielle ; Faits pour être ensemble, énième variation, un peu trop didactique, sur les algorithmes autour des recommandations et des suggestions, mais j’ai aimé la chute ; Emily vous répond, nouvelle très courte sur l’effacement des mauvais souvenirs. Une histoire en boucle. Simple et efficace ; Erreur d’un seul bit, une tentative pour rationaliser la foi. Et si croire en dieu était une erreur ?

Côté négatif, la structure narrative de Ken Liu, que je nommerai l’art de l’ellipse : on change de narrateur, de personnages, de temporalité sans que cela soit indiqué. Ce style peut parfois servir l’histoire, mais dans le cas précis, je n’ai pas trouvé que cela était le cas. Et l’auteur en use et abuse dans la plupart des nouvelles.
Peut-être pour cacher une imagination absente ? Car je n’ai pas trouvé beaucoup d’inventivité dans les nouvelles. Ce sont souvent des thématiques science-fictionnelles récurrentes. Et on trouve parfois des lieux communs lus mille fois :
« La fermeté et la chaleur de son étreinte, sans attente ou demande de ma part, parlaient d’elles-mêmes : je sus qu’il comprenait. Parfois, on sollicite le pardon sans savoir qu’on le recherche, et le monde nous l’accorde quand même. »
« La plupart des questions sont inutiles. Soit les réponses sont des mensonges, soit on ne veut pas les croire. »
« Quand on leur fait un superbe cadeau, certains ne peuvent pas s’empêcher de se demander pourquoi le papier d’emballage n’est pas de leur couleur préférée. »
Mouaih Mouaih

J’ai longuement hésité avant d’acheter ce recueil : thématiques qui m’interpellaient moyennement, critiques louangeuses (je me méfie toujours quand c’est le cas, je me dis, soit le service marketing a bien fait son travail, soit c’est un livre "grand public"). Et un an plus tard, à la faveur d’une liste de cadeaux…
Ce n’est ni une déception, ni un enchantement (à part pour la nouvelle éponyme)
Du très bon (peu mais génial), et du bof (une grande part).
J’aurais aimé la présence d’une préface ou d’introductions aux nouvelles, surtout au vue du prix un peu élevé à mon goût pour un recueil.


"L’accès aux soins n’avait jamais été un droit, mais un privilège. Après avoir examiné intimement de si nombreux corps, je pouvais juger d’un simple coup d’œil de l’état de santé, et donc de la richesse, dont avait joui son propriétaire au cours de sa vie. Les riches ne vivaient ni ne mouraient comme les pauvres ; l’argent, les privilèges ne se voyaient pas qu’en surface. Ils s’insinuaient littéralement jusqu’à la moelle des os.
Autrefois, la mort supprimait les inégalités ; désormais, semblait-il, les riches pouvaient aussi y échapper. Que cela fâche tant de monde n’avait rien de surprenant."

"La mort est la plus grande invention que la vie ait jamais produite. Chaque jour, à chaque seconde, en me rappelant que je vais mourir, je fais des choses qui me terrifient, qui font battre mon cœur et accélèrent ma respiration. C’est parce que je savais que je vieillirais et que je finirais par mourir que je suis allé vers toi ce jour-là."

"Au début d’un de mes plus anciens souvenirs, je pleure."

"Je ne prête guère d’attention à la distinction entre science-fiction, fantastique et fantasy – ni entre les « genres » et la « littérature générale », si on va par là. À mes yeux, toute fiction attache plus de valeur à la logique des métaphores – soit la logique des narrations en général – qu’à une réalité irréductible dans son caractère aléatoire et absurde.
Nous passons nos vies à nous raconter des histoires sur nous-mêmes – elles constituent l’essence de la mémoire. C’est ainsi que nous rendons tolérable l’existence dans cet univers froid, insensible, hasardeux. Tenir cette propension pour un « sophisme narratif » ne signifie en rien qu’elle n’a aucun lien avec la vérité." Avant propos de Ken Liu



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