Ceux qui grattent la terre

Patrick Eris, Editions du Riez, 2016, 310 p., 5€ sans DRM

 

A lire par une nuit froide et venteuse, dans le noir (j'espère que votre liseuse à la fonction éclairage, sinon, c'est la bougie !), seul dans sa maison remplie de bruits étranges, entêtants, obsédants...
Scriiitch, scriiitch...

Présentation de l'éditeur :

 

Pour Karin Frémont, après deux ans de chômage, obtenir un nouvel emploi est comme un rêve. Et quel emploi ! Secrétaire de Harald Schöringen, un auteur à succès spécialiste du surnaturel retranché dans son appartement dominant Montmartre. Un véritable conte de fées...
Je censure le reste du résumé qui en dit un peu trop.

Mon ressenti :

 

Auteur inconnu et éditeur inconnu pour ma part, j'ai voulu m'écarter du sentier balisé de la SF pour me jeter dans les bras glacés de l'angoisse.
Le titre me donnait envie, avec son rappel au prolétariat. La couverture avec cet homme en noir m'intriguait, même si elle aurait pu être plus réussie.


Le chapitre préliminaire nous entraine dans un cimetière où... Une bonne mise en bouche.
De nos jours, Karin une jeune diplômée en histoire se morfond à "Paul Emploi" depuis deux ans lorsqu'elle décroche enfin un travail de secrétaire un écrivain célèbre dans les sciences occultes.
La psychologie de la demandeuse d'emploi est très bien rendue. Par petite touche,l'auteur nous montre que la précarité s’imprègne au tréfonds de la personne. Même après avoir  retrouvé un job, l'angoisse de le perdre suite à un impair ne cesse d'être présent.
Partick Eris nous parle des gens de peu, ceux que l'on voit rarement à la télé et sous un jour souvent voyeuriste.

La description de la demeure de l'écrivain est pour beaucoup dans l'atmosphère fantastique : un propriétaire auréolé de mystère, la concierge raciste ordinaire à l'oreille toujours à  l'affut. Pas de tape à l'oeil dans les effets.

Je ne connais peu ou pas la littérature fantastique, donc je peux me tromper, mais dans mon esprit, le récit était souvent dans une atmosphère souvent victorienne avec un style idoine.
Ici, l'écriture est moderne, l'époque aussi. Les repères sont connus de tous : Paris, le Jura. L'élément surnaturel prend à mon sens plus d'ampleur.

Sur une intrigue somme toute classique, je me suis pris au jeu. L'auteur arrive à conter cette histoire de belle manière. La révélation finale n'en a pas été une pour moi, mais la conclusion m'a agréablement surprise. Le deuxième effet Kiss Kool.

Une belle découverte qui ne demande qu'à vous prendre dans son piège.
Et le tout à 5 euros sans DRM.

Quelques citations :


Après avoir été exclue pendant deux longues années, elle se réinsérait plutôt facilement.
Deux années à traîner entre ses quatre murs, son horizon rétréci au supermarché du coin, à la bibliothèque puis, à nouveau les quatre murs. Elle osait à peine croiser le regard des gens, comme si son stigmate social se lisait sur sa figure. Il y avait cette gadoue qui engluait son cerveau, faite d’inquiétude, de dégoût et de colère cristallisée ; cet engourdissement à force de passer chaque journée à attendre un courrier ou un coup de fil lui proposant un poste, un stage, n’importe quoi — qui ne venait pas. Sous l’effet de cette gangue comprimant son esprit, ses pensées devenaient lentes, hasardeuses, la rendant gourde, maladroite, amorphe, déconnectée et la poussant à traîner dans son lit le matin, redoutant de se lever pour entamer une nouvelle journée inutile.

Ce ressentiment l’avait marquée dans son âme et sa chair. Et il ne l’avait jamais quittée. Elle savait qu’elle n’était pas la seule, qu’ils étaient une « génération sacrifiée », comme l’expliquaient doctement dans les gazettes ou sur les plateaux TV ceux qui étaient d’une autre génération non sacrifiée — avec toujours le message sous-jacent que ces « jeunes » (catégorie à part, semble-t-il,) n’étaient que des branques et n’avaient que ce qu’ils méritaient.
Les vieilles excuses du violeur, avait-elle pensé plus d’une fois, celles qui déculpabilisent les hypocrites : « elle l’a bien cherché », « ça lui pendait au nez », etc., etc.


QUELQUE CHOSE arrive. Quelque chose qui fouisse, fouisse, gratte inlassablement la terre.
Il ignore quoi, mais son instinct chauffé à blanc lui dit qu’il vaut mieux ne jamais le savoir.
Alors même qu’il entend les chocs sourds annonçant sa salvation, ce petit grattement continue à résonner à ses oreilles ; ténu, sournois.
Et, même lorsqu’il arrivera enfin à se convaincre qu’il est en sécurité, qu’il a réussi, ce bruit n’en finira jamais de le hanter.
Un tout, tout petit grattement, faible et entêtant…
Scritch, scriiiitch…

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