Mausolées

 

Christian Chavassieux, Mnémos, 2013, 336 p., 8€ epub sans DRM

Un post apocalyptique atypique, tout en nuances servi par une belle plume. Magnifique.



Présentation de l'éditeur :


Descendu d'un ferrail brinquebalant, Léo Kargo pose son sac à Sargonne, une commune libre de l'Europe Ralliée établie après les terribles Conflits dont les destructions massives sont encore dans les mémoires de tous. L'un des hommes les plus célèbres de son temps, le richissime et controversé Pavel Adenito Khan, l'a recruté pour s'occuper de son immense collection de livres, l'une des dernières bibliothèques au monde.
Mais Kargo comprend rapidement que son embauche ne doit rien au hasard. Inquiet, il enquête... Et les questions, les rumeurs, nombreuses, surgissent... À propos des livres atteints d'une mystérieuse lèpre, sur la séduisante Danoo Forge, l'assistante du milliardaire étrangement surnommé le Diable. Et qui est cette fascinante et dangereuse Lilith, mi-femme, mi-machine qui rôde dans la cité ?
Dans cette quête, hantée par le souvenir d'une science déréglée et la folie guerrière des hommes, Kargo trouvera bien plus que des réponses. Il rencontrera un destin poignant, le sien et le chaos, celui du monde.

Mon ressenti : 



La période des Conflits a totalement reconfiguré le visage géopolitique mondial, une méfiance, voir une haine tenace contre la science et le savoir est ancrée dans la population et ses dirigeants. Danc ce nouvel âge obscurantiste, le riche Khan, un ancien chef de guerre, embauche un poète et savant pour prendre soin de sa bibliothèque légendaire.

L'univers m'a fait penser à China Mieville, du fait que nous sommes entre science fiction et fantasy, et aussi de certains de ces personnages, tel Lilith, mi femme, mi robot.
Nous naviguons entre quête des origines, la démocratie, les luttes de pouvoir, les représentations, l'éthique scientifique et la nécessité (?) de la culture et du savoir.
Dans ce monde vieillissant, deux camps s'affrontent : ceux pour qui l'absence de natalité est une chance pour le monde, celle enfin de voir l'humanité disparaitre (Peter Watts ne renierait pas l'idée, nous en reparlerons avec le dernier Bifrost en date), et les quelques autres avec une lueur d'espoir.
Les personnages sont tout en nuances, comme ce chef de guerre, le méchant du livre qui se révèle beaucoup plus subtil qu'il n'y parait au premier abord. Et puis il y a Sargonne, la ville-monde dont nous déambulons dans certaines ruelles et commerce, ces quartiers cachés où la révolte grogne.
L'action est plutôt rare et lorsqu'elle est présente, elle est loin d'être spectaculaire. C'est un roman d'ambiance, assez sombre, crépusculaire, avec quelques touches d'optimisme.


Christian Chavassieux sait utiliser sa plume, ses mots font naitre les images. Sans trop en révêler sur sa ville et ses habitants, il fait naitre notre imagination pour combler les vides. Et au final, l'impression d'avoir lu beaucoup en si peu de mots.
Des belles phrases, voir plus bas, et bons mots comme ce "livres libres", ou mourir ? Ou cette citation que  tout critique pourrait employer face à certains textes :

Le scénario sur lequel j’avais déjà décidé de ne pas m’attarder m’épargnait l’effort de l’oublier


Passé assez inaperçu lors de sa sortie, ce roman mérite amplement qu'on s'y attarde.

Une belle interview de l'auteur est disponible sur ActuSF

Baroona a aimé les ambiances, mystères, actions et réflexions, Julien le naufragé a aimé un récit d'ambiances évoluant quelque part entre la tragédie, le drame, le polar et l'anticipation.




Récapitulatif



Quelques citations :


Kargo se présenta devant une employée massive, farouchement plantée là, les membres raidis par une veste monolithique. Elle avait la taille et l’allure générale d’une allégorie soviétique.

C’était la vue d’une librairie, comme il était possible d’en voir encore dans quelques villes de l’Europe Ralliée. Une boutique étriquée, encombrée de volumes sans ordre. Le nom du magasin s’arrondissait sur la vitrine, comme un sourire retourné : « livres libres ». Kargo se souvint avoir lu un jour que les deux mots français avaient la même origine : liber, la partie du bois dont on faisait les livres autrefois, qui avait aussi donné le mot liberté. Le rapprochement étymologique était joli, mais Kargo n’était pas convaincu qu’un monde où le livre était vecteur privilégié d’éducation fut un monde plus libre que celui dans lequel il vivait, où le livre avait pratiquement disparu, n’étant plus utilisé que par une élite.

Quant à mes parents adoptifs… Ils n’étaient déjà plus de ce monde quand je rackettais dans les villages. Je ne veux pas dire qu’ils étaient morts mais ils avaient intégré une sorte de secte anti-écologiste avant de se kamikazer en dynamitant les derniers ânes du Poitou. Quelle imbécillité, n’est-ce pas ? En arriver là. Un tel abîme entre la pertinence de mes parents adoptifs et la stupidité de leur dernier geste sur Terre. Aucune culture ne peut donc vous retenir de verser dans la barbarie ou la bêtise ? C’est un constat affligeant, malheureusement bien expérimenté et depuis longtemps. Sais-tu ce qui est nécessaire pour l’éviter ? L’idéal : la conviction viscérale qu’il faut tendre à un but qui nous élève. Une morale, quoi. Sans cela, on a vite fait de rejoindre les troupeaux de la barbarie, et aucun discours ne tient pour l’éviter.

Chaque pays était désormais souverain, délivré de l’emprise mafieuse. En août 37, Nairobi et Alger étaient libérées et les conflits d’Europe s’essoufflaient. Modkine et son pendant chinois Wong étaient de plus en plus isolés ; et les démocraties, réorganisées, leur portaient de sérieux coups. Wong est mort, déchiqueté par la foule, comme tout bon dictateur, et je prépare depuis longtemps un sort peu enviable à Modkine, qui se terre quelque part en Amérique. J’ai quelques comptes à lui rendre au nom de l’humanité et de mes proches ; les gesticulations gentillettes des tribunaux internationaux m’agacent autant qu’elles doivent le faire rire. Tout semble figé et patient. Des gouvernements et des peuples qui ne se soucient plus de justice. On laisse vivre en paix un génocidaire. C’est insupportable.

Je les méprise ? Pas vraiment. Je ne méprise plus personne. Je me vois trop misérable pour récuser chez l’autre sa propension à la médiocrité ; ce sera mon prochain livre. L’univers des médiocres écrit par l’un d’eux. Si le pouvoir c’est l’écrasement des autres, le mépris des médiocres, alors je veux bien me consoler de ne jamais le partager et demeurer du côté des besogneux arpenteurs de cette terre. J’ai vu des génies d’une insupportable limitation d’esprit. À quoi sert le génie ? Il est une malédiction pour celui qui en hérite. Je me sens assez bien dans ma peau de médiocre.


Dis-moi, Léo, as-tu déjà entendu le cri d’une hirondelle ? » Kargo rappela qu’elles avaient disparu bien avant sa naissance, et Pavel conclut : « Voilà. La corde de l’arc d’Ulysse répond à la tension en émettant le cri de l’hirondelle, dit Homère. Nous ne savons donc plus, aujourd’hui, quel son faisait la corde de l’arc d’Ulysse. Si les choses qui donnent le sens d’un livre disparaissent, l’une après l’autre, est-ce que ce livre a encore un sens ?

10 commentaires:

  1. Je sais que ça n'a surement rien à voir mais le résumé me fait penser à L'Empire Brisé de Mark Lawrence. Au niveau ambiance, mélange entre fantasy et post-apo.

    Je ne sais pas si j'ai vraiment envie de lire ce livre. Mais juste parce que moi et le post-apo de toute façon on est pas trop copain et que ce n'est pas du tout un genre qui m'attire comme ça. Après on ne sait jamais, j'en lis quand même de temps en temps, on verra :P

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    1. Je ne connais pas le roman dont tu parles, je ne pourrais donc infirmer ou confirmer !
      Mais ce roman est vraiment hors norme, le post apo est juste là pour expliquer le pourquoi de l'univers. (Un peu comme Julian de Wilson). Cela serait vraiment dommage de passer à côté à cause du sous genre.

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  2. Ravi que tu l'aies apprécié. Il est très injustement méconnu et j'espère que ta chronique, toi l'influenceur, lui redonnera la lumière qu'il mérite ! =D
    (même s'il faut souligner que c'est bien mieux que China Miéville, mais je suis peut-être biaisé par mes déconvenues avec l'auteur... =P)

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    1. On ne critique pas China Mieville, surtout si on n'a pas lu Perdido street station ! En plus, il est beau, costaud et intelligent. (si ce n'est pas de l'argument ça)

      J'influence surtout les bots d'après ce que me dis blogger. Après, si une ou deux personnes le lisent grâce à moi, j'en serais déjà très content. Cela faisait pas mal d'années que je voulais le lire, je m'en veux d'avoir attendu si longtemps.

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  3. Je l'ai dit dans ma PAL depuis un moment, content de voir qu'il est bon !

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  4. effectivement, il est passé inaperçu.. jusqu'à présent.
    Les citations que tu as mis et ta chronique me plaisent beaucoup.

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    1. Quoi, tu n'es pas déjà en train de le lire ? Je pense qu'au vue de tes goûts, ce roman a tout pour te plaire.

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  5. Dans ma PàL, je l'avais repéré parce qu'il trainait dans la section fiction du centre de documentation des métiers du livre, et depuis que j'ai lu Les nefs de Pangée forcément j'en redemande. Reste à me plonger dedans...

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    1. ET en plus, tu peux le lire au boulot comme doc professionnel

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