Galaxies SF n.61 : Les quatre époques de la science-fiction au Québec


Galaxies SF, 2019, ? p. (numérique), 5€ epub sans DRM

Présentement, voici mon opinion sur le dernier numéro de la revue Galaxies SF consacré à la SF québécoise. Et il n'y a pas à fortiller des foufounes, c'est de la belle ouvrage, je ne me suis pas achalé à sa lecture.
Mais on va se calmer le pompon, on ne va pas se niaiser avec le puck, ni parler à travers son chapeau, osti de câlisse de ciboire de tabarnak, et on va voir tout cela en détail :

Sur les trois Galaxies SF que j'ai lues, les dossiers étaient assez mitigés, seul le numéro consacré à Julia Verlanger avait eu mes faveurs. La tendance va-t-elle s'inverser ?
Pas moins de onze nouvelles ici, dont deux ont clairement emporté mon adhésion : Nouer des liens de Ken Liu et Tinkerbelles de Michèle Laframboise.
Le dossier n'est pas en reste : composé de deux articles, un entretien et deux nouvelles, il m'a permis de connaitre la SF francophone canadienne, ses ressemblances et différences avec la France.
Une bonne livraison, donc.
Petit tour d'horizon...

Cristal, de Betty Biedermann

Inutile de garder des graines pour préparer les plants. Ici, il n’y aura pas de printemps.

Alors que les derniers jours semblent se rapprocher, une femme reste isolée dans sa campagne alors que tous les habitants ont été évacués. Une gangrène s'empare du paysage peu à peu. J’ai bien aimé le début de ce texte, mais la chute vient trop tardivement et maladroitement. Une sorte d'hommage à un célèbre facteur.

Nouer des liens, de Ken Liu

Deux marchands ambulants arrivent dans un petit village Nan en compagnie d'un étranger. Les nans vivent reculés de tout et cultivent du riz en haut de leur montagne.
Beaucoup de choses intéressantes dans cette nouvelle autour du vol par l'industrie pharmaceutique des connaissances millénaires des sociétés traditionnelles. Déjà, il y a cet ersatz d'écriture fait de noeuds sur une corde de chanvre reproduisant la forme des lèvres et de la langue et dont le style est donné par la forme finale de la corde nouée. En outre, Ken Liu arrive à faire ressentir le mépris, la condescendance de la société occidentale envers ces peuplades dites non civilisées.
La version originale est disponible sur le site de Clarkesworld Magazine, et ce texte fera partie du recueil que les éditions Le Bélial publient le 21 novembre : Jardins de poussière

C’est dingue de voir comment quelques feuilles de papier peuvent générer autant de migraines. Ça m’a fait regretter qu’on ne soit plus à l’ère victorienne, où j’aurais pu ramener de la jungle un « indigène » sans avoir à traiter avec un millier de bureaucrates de deux gouvernements qui ne s’aiment pas beaucoup.

Baignade en eau vive, de Antoine Lencou

Une petite fille crée un problème monstrueux en se baignant dans une piscine.
Avec humour, l'auteur nous parle d'IA, de sécurité et de contrôle. Et de ceux qui vivent à sa lisière.
Parabole autour de l'intégration et de la discrimination, les clés nous sont donnés peu à peu pour dévoiler un univers assez kafkaïen.
Une belle idée dont le traitement aurait pu être mieux effectué. Mais c'est déjà pas mal.

 

Décrassage, de Rich Larson

Une femme, un homme, dans une salle d'attente...
Un texte autour de la violence sexuelle et du consentement. « Heureusement », dans ce monde futur, il est possible de faire machine arrière !
La technologie aurait pu être poussée un peu plus loin, dès que l'on a compris où voulait nous emmener l'auteur, cela fait un peu pschitt.

Futurisme, de Marc Elder

Comment seront nos jardins publics une fois que la pollution aura eu la peau de la nature ? Vaste question à laquelle la technologie peut répondre. Un texte écologique datant de 1931 qui m'a fait rire jaune.
Le vrai nom de l'auteur est Marcel Tendron, qui a remporté le Goncourt en 1913, devant Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier et Du côté de chez Swann de Marcel Proust.

Le grand jeu, de Paul Hanost

De la SF militaire. En quelques pages, l'auteur tente de faire rentrer un univers. Mais trop, c’est trop.

Ah les garçons !, de Hugo van Gaert *

Un vaisseau fait une drôle de rencontre....
Texte Pulp avec l'outrance qui va avec, mais l'auteur inverse les rôles et les genres. La technologie futuriste du vaisseau spatial de la mort of death est splendide : on a rien inventé de mieux depuis les cartes perforées ! Et le tout a bien ravi mes zigos.

— Vous voulez que je vous dise, Major : ce garçon, il a du clito !
— C’est vrai qu’il faut en avoir dans le vagin pour faire ce qu’il va faire. Lieutenant, nous aurions sans doute dû essayer de le retenir, mais si jamais il en revient vivant, nous lui devrons une fière chandelle. Sans aucune allusion, bien entendu !

Fondation, de Sébastien Danielo *

Un vaisseau monde s'échappe de la Terre (?) avant que celle-ci ne se meure dans l'espoir de fonder un ailleurs meilleur. Mais...
Le titre emprunte celui d'un célèbre roman, que je n'ai pas lu. Un univers assez étrange fait de djinn, d'ornithorynque, de dragons dans un univers très SF. Tout cela se comprendra par la suite. Manque cependant un je ne sait quoi, la fin est aussi un peu abrupte, mais ouvre une clé de compréhension qui change de fond en comble le récit.

Le Cid, Renaud Bernard *

Une pièce de théâtre SF. Je n'ai même pas eu le courage de la lire.

Dossier : La SF au Québec (et en Ontario), un dossier présenté par Jean-Louis Trudel

Dans mon Petit Guide de la science-fiction au Québec, j’avais abordé exclusivement la science-fiction québécoise, en français et en anglais. Dans le présent dossier, c’est toute la science-fiction francophone du Canada qui est à l’honneur. (Il ne sera donc pas question de la science-fiction francophone des États-Unis ou des Antilles.) Pour faire court, je parlerai parfois de science-fiction québécoise, mais sans exclure le reste du Canada.

Production de science-fiction canadienne d’expression française (romans et nouvelles, 1960-2019)

Voilà les premières lignes du dossier et se pose la question : Pourquoi n'avoir pas intitulé ce numéro : La science-fiction francophone au Canada ? Bref, voilà qui commence très mal. Surtout lorsque le premier article s'intitule "Les quatre époques de la SF francophone au Canada" De quoi y perdre son latin !
Mais une fois rentrée dedans, un article très érudit, un travail de chercheur basé sur une étude complète, avec des tableaux et graphiques, qui n'évite pas les énumérations mais brosse un portrait d'une SF venue de l'extérieur et cloisonné par un catholicisme conservateur jusque dans les années 1960. A partir de là, la SF québécoise prend son envol et fait la part belle aux autrices.



S'ensuit une entrevue avec Yves Meynard. L'auteur m'étant inconnu, difficile de s'immerger lorsqu'il est question de ses textes. Mais l'entretien aborde aussi la thématique du dossier.

La traduction de textes de science-fiction en français : le cas de Rich Larson
Émilie Laramée nous parle de son travail de traductrice en y abordant les cas particuliers des néologismes, les mots à double sens ou polysémiques : faut-il ou non les traduire, comment en créé dans la langue traduite.
Petit problème, la traductrice parlant de son expérience de traduction en langue française québécoise, les exemples qu'elle emploie font parfois plouf. Mais ce point est aussi abordé avec l'exemple du trou du cul !

Par exemple, en français québécois, « trou de cul » rend très bien le terme anglais « asshole », car il est plus insultant que le « trou du cul » français. En France, « connard » rend mieux l’idée de « asshole », c’est-à-dire d’un être égoïste et imbécile qui se sert des autres à son propre avantage dans la vie de tous les jours.

Les olives de 4H3SSO-L24A, de Dave Côté

Il s'agit d'une suite de la nouvelle « Les Olives de Mélanie » (2015). Un extraterrestre se rend sur Terre pour goûter aux olives, dont un culte est voué sur sa planète. S'ensuit des quiproquos à propos des représentations des us et coutumes des terriens étudiés à partir de fragments épars. Une sorte d'archéologie humaine qui manque cependant de style et de mordant.

Tinkerbelles, de Michèle Laframboise

Mellune observe le groupe de loin. Ses poings forment des bosses éloquentes dans ses pantalons. Mais aucune poche n’est assez profonde pour y enfouir toute la haine et le mépris qui la font trembler.

Chimères, humains modifiés génétiquement et cisgenre pour une nouvelle bien ciselée se déroulant sur une colonie martienne.
Un très bon texte, très humaniste, pour combattre les conditionnements/représentations genrés les plus ancrés en nous. Tout événement tiré de notre réel est bien entendu fortuit.

Articles :

Musique et SF : John Serrie – Planetary Chronicles

Croisière au long du fleuve : Perry Rhodan
La série allemande de science-fiction avec 3000 épisodes à son actif, qui peut se vanter d'en faire autant ? Jean-Michel Archaimbault, en bibliophile avertit, se lance dans l'étude de ce monument. Un article complet pour les fans et collectionneurs.

Pierre Stolze dissèque la littérature générale à la recherche de SF, il en revient avec quatre romans : Les crayons de couleur, L’Algorithme du cœur, Transparence et La mer monte. Seul ce dernier aura ses faveurs, et encore, de justesse (Le maki l'a lu, lui aussi).

Le roman Transparence sera-t-il un jour publié en Folio/SF ? Puisse Dieu nous en préserver, et surtout en préserver Pascal Godbillon, son directeur de publication.

Suit quelques avis sur les sorties littéraires et BD

Les  textes avec un astérisque * sont disponibles gratuitement en téléchargement sur le site de Club galaxies

7 commentaires:

  1. C'est vraiment bien ces revues, ça permet de découvrir de petits auteurs prometteurs mais encore inconnus comme Ken Liu. O=)
    Sympa l'exemple de problématique de traduction. Du coup, il faudrait traduire les romans francophones québécois pour une publication française ? ^^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne crois pas non :) Il faut seulement prendre une décision consciente au sujet du lectorat quand on traduit. Il faut se demander si on traduit pour un lectorat régional ou international, s'interroger à la fois sur ce qui servira le mieux le texte et sur les besoins, l'ouverture et la flexibilité intellectuelle de ceux qui le liront.

      Bien plus souvent qu'autrement, le français des textes québécois est accessible à un lectorat de l'Hexagone (et vice versa :)).

      Supprimer
    2. Et bien, voilà que la réponse à ta question vient de l'autrice de l'article elle-même, la mieux placée pour y répondre. (Merci Emilie)
      Pour ma part, les deux trois nouvelles québécoises lues dans ce numéro sont passées comme une lettre à la poste.

      Concernant les nouveaux auteurs, boutade mis à part, le texte de Michèle Laframboise m'a beaucoup plut.

      Supprimer
  2. Super intéressant tout ça. Je n'ai jamais lu le moindre texte québécois (et à peine un écrivain canadien: Guy Gavriel Kay) et c'est dommage. Contente de voir la consœur parler de son travail. En fait, je me rends compte que les gens aiment bien en apprendre plus sur la traduction, même si c'est un métier souvent oublié.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je pense que pour les gros lecteurs, connaitre un peu plus des coulisses du livre est un petit plaisir. En tout cas, cet article m'a été très instructif.

      Supprimer
  3. Je suis bien content que les textes de Laframboise et Léger vous aient plu.

    En ce qui concerne la, hmmm, labilité de l'intitulé, il s'explique en partie par des évolutions en cours de route. À l'origine, de mémoire, Pierre Gévart m'avait recruté pour lui ficeler un dossier sur la sf québécoise, mais cette désignation est souvent métonymique, aussi bien en France qu'au Canada. On parle du Québec (qui n'est pas entièrement francophone) pour désigner toute la francophonie du Canada. J'ai choisi d'interpréter la commande dans ce second sens, en partie pour ne pas répéter l'exercice de mon _Petit Guide de la science-fiction au Québec_. Sinon, je n'aurais eu qu'à livrer un florilège du livre... Mais j'ai fait de nouvelles découvertes depuis sur le passé de la sfcf et j'ai donc opté pour un cadre élargi. En même temps, le hasard a fait que la plupart des contributeurs au dossier (Laframboise, Léger, Meynard et moi-même) étaient franco-ontariens ou avaient un lien avec l'Ontario francophone. Je crois que c'est ce qui a poussé Pierre Gévart à changer l'intitulé.

    En pratique, il existe des textes de science-fiction francophone issus de la Colombie-Britannique, de l'Alberta et de l'Acadie (donc, hors Québec et Ontario), mais ils sont, à ma connaissance, très peu nombreux. Moins d'une dizaine, je dirais de mémoire, sans replonger dans ma base de données. Du coup, parler de la sf francophone du Québec et de l'Ontario reste approximativement exact comme synonyme de la sf francophone du Canada.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour vos éclaircissements.
      Comme beaucoup, je pensais que la francophonie au Canada se réduisait au Québec. En l'état, difficile en effet de trouver un titre court et évocateur adapté.
      Le plus important reste cependant le contenu, qui lui était très complet et instructif.
      En espérant que cela donne des idées de futur publication d'auteurs canadiens francophones (ou non).

      Supprimer

Fourni par Blogger.