Upside down

Richard Canal, Mnémos, 2020, 368 p., 10€ epub sans DRM



le décor parfait pour une fin de monde

CyberPunk's Not Dead !



Présentation de l'éditeur :

Au début du XXIe siècle, les dirigeants des GAFAM et autres NATU portaient les rêves d’une humanité enfin débarrassée de la maladie et de la mort. Ils ont réussi. Dans des îlots artificiels en orbite basse, ils jouissent désormais, à chaque instant, des illusions infantiles du bonheur.
Le reste de l’humanité survit tant bien que mal sur une Terre rouillée, épuisée, victime de désastres écologiques à répétition. Son histoire n’est pas la même. Le bonheur lui est définitivement inaccessible.
Dans ce monde fait de béatitude pour les uns et de combats pour les autres, où les IA s’activent en sourdine, certains cherchent à descendre pour retrouver leurs racines quand d’autres veulent monter pour acquérir une part d’éternité.
À travers une star de cinéma oubliée, des dirigeants obnubilés par leur statut social, ou encore un créateur d’un art inconnu, Richard Canal nous plonge au coeur d’un récit croisé où l’intolérable beauté du désastre côtoie la quête d’une humanité perdue.


Mon ressenti :

Terre dévastée par la pollution et le réchauffement climatique, puissants vivant dans des paradis protégés, clonage et IA, bref, le pitch de nombres de romans SF. Alors pourquoi avoir voulu lire ce titre ? Il m'a été proposé par l'éditeur : "Avec Upside Down, Richard Canal signe son grand retour à une science-fiction ambitieuse et universelle" Richard Canal ? Un inconnu pour moi, jamais entendu parler. Mais je ne demande qu'à connaitre. Et la présentation avec son "l’intolérable beauté du désastre côtoie la quête d’une humanité perdue." me faisait tout de même de sacrés œillades. Alors, hop dans la liseuse.
Et j'ai bien fait, car j'ai adoré. 

Il aura fallu qu’elle s’échappe une nouvelle fois de Treblinka pour comprendre à quel point un atoll constitue une prison. Une prison dorée certes, où tous les plaisirs sont à portée de main, mais un espace confiné, cerné de murailles invisibles, qui peu à peu vous sclérose, vous use, vous vole votre âme et votre imaginaire.
 

Nous sommes donc dans un univers ultra balisé : un monde dévasté, les pauvres bien pauvres vivant dans la lie et les riches s'offrant les plaisirs de la vie. D'un côté Down Below et de l'autre Up Above. L'auteur y imprime sa marque en mettant les riches dans des atolls volants. Rien de bien nouveau sous le soleil de la dystopie. Mais l'originalité est ailleurs
Roman choral, c'est surtout avec ses tranches de vie que l'auteur parvient à sortir des sentiers balisés : un inspecteur et son collègue, un chien qui parle; Un artiste et sa muse, en symbiose artistique, et des célébrités de jadis.

La société du spectacle.

Ce n'est pas un hasard si quelques citations situationniste parsèment le récit. Le travail a été abolit pour les riches, qui passent leur temps à se divertir via ses clones qui doivent se couler dans le costume de la célébrité recréée. L'auteur parvient à créer une tension identitaire sur ces ersatz, toujours à la limite de la corde raide. Les travaux quotidiens ont été relégués aux Intelligences Artificielles. Ces IA incompréhensibles à l'entendement humain. C'est rare que je lis des romans avec des IA autres, profondément étrangères. Avec en toute beauté cette étage fantôme conçue par elles, un Tetris changeant, défiant la compréhension, une architecture folle, mouvante. De ce que je connais du fonctionnement des IA ( merci la méthode scientifique), cela me semble vraiment très proche de la réalité.

Les IA ! Que savons-nous d’elles en réalité ? Elles nous sont plus étrangères que les premiers êtres qui ont peuplé cette planète, il y a plusieurs millions d’années. Et pourtant, c’est nous qui les avons conçues, nous qui leur avons donné le pouvoir de s’organiser.
 

Tandis qu'en bas, c’est la misère, la survie sous le brouillard de pollution, où chacun tentent de gagner leur ticket d'entrée pour Up Above. Mais pour cela, il faut tirer son épingle du jeu.

Elle a beau chercher le cri des dauphins étouffés par le plastique, la plainte des baleines échouées, celle des mouettes et des cormorans aux ailes engluées de nuit, les borborygmes des bancs de thons en quête d’un oxygène qui se raréfie, les soubresauts des requins-marteaux s’ouvrant le ventre sur le bordage des épaves des grands tankers, la désintégration des champs de corail, elle n’entend rien. La mémoire de l’océan n’a rien gardé. Pas même le souvenir d’une marée pour consoler une lune devenue impuissante derrière le Brown.
 

Des thématiques assez sombres contrebalancées par l'humour. Si vous voulez savoir ce qu'est l'humour cabotin, c'est ce roman qu'il vous faut lire. Car malgré un fond dense, jamais nous ne sombrons dans le désespoir. C'est même l'inverse qui est le sujet du livre, comment changer cet état de fait ? J'ai adoré le retournement de situation où l'arme d'abrutissement des masses se retournent contre ceux qui l'utilisent.

— T’es donc d’accord avec moi qu’on est des privilégiés.
— Un peu, ouais !
— Et le fait de vivre dans un monde où subsiste la notion de privilège te dérange pas plus que ça ?
— Du moment que je me trouve du côté des privilégiés, j’ai pas à me tordre le ciboulot. Mais pourquoi toutes ces questions ? Des fois, tu m’inquiètes, Stan ! Jamais Dean aurait entamé une conversation pareille.
— Je me demande parfois si t’as des idéaux, Duke.


L'auteur arrive à lier des thématiques assez éloignées dans un tout cohérent : art, asservissement des masses, révolution et IA. Le tout sans être chiant, grâce à l'enquête de ces inspecteurs hors du commun, la découverte d'un monde crédible et le mystère qui entourent les deux artistes. Et il y a même le Che. Le Che bordel !
Un roman profondément punk et réjouissant.


qui était justement le thème d'une émission de La méthode scientifique.

La SF : Punk Fiction ?

https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-sf-punk-fiction
Emision du 30 octobre 2020
Il fut un temps où la science-fiction n’était pas que des vaisseaux spatiaux qui tiraient des rayons lasers en faisant s’affronter le méchant empire contre la gentille rébellion. Il fut un temps où la science-fiction mettait à bas la société de consommation, piétinait le consumérisme, dénonçait les dérives de la société capitaliste, créait des univers anarchistes pour refuser l’ordre mondial, crachait sur le pouvoir des médias, des entreprises, des politiques, taguait les murs de la réalité virtuelle et jouissait de la destruction de l’ordre établi. Qu’est donc devenu cette SF, dans un monde où la dystopie de contrôle numérique n’est plus un fantasme mais une réalité ? La science-fiction est-elle encore un espace de protestation, la SF du XXIème siècle est-elle encore punk ?

 

Un petit agréable à lire chez Yuvine, comme chez le troll
 


Quelques citations :

Désolé de vous décevoir, petite fille, mais ce que vous appelez le libre arbitre n’existe pas. C’est une notion inventée par les philosophes pour rassurer les hommes. Clones ou non, nous ne sommes en réalité que les jouets de forces qui nous dépassent. De simples objets que les sociétés déplacent, que les multinationales achètent et revendent sur les marchés de la consommation et de la communication.

Maggie n’a pas l’intention de ménager ces hommes et ces femmes qui ont, pendant des siècles, ravagé la terre et les océans sous prétexte que le travail pouvait les élever dans la hiérarchie. Ils ont envié leurs maîtres, aspiré à occuper leur place, et n’ont jamais remis en cause la servitude qui les liait à eux.


Avis réalisé dans le cadre d'un service de presse

12 commentaires:

  1. J'ai arrêté de lire ton billet après "un chien qui parle", j'ai compris que ton avis serait totalement biaisé.
    Mais bon, tu as quand même réussi à faire passer mon curseur d'intérêt de "pas du tout" à "moyennement".

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    1. C'est un livre positif, donc tu te dois de le lire. ET un chien qui parle, c'est à lire absolument !

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  2. Bien.
    Maintenant, faut lire La malédiction de l'éphémère. ^^
    yossarian

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  3. "Avoue, c'est le chien qui t'a séduit", chuchota la membre du clan Chat.

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    1. Un petit plus non négligeable, mais le reste est de très belle tenue, même sans chats.

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  4. Intrigant en tout cas, même si pas certaine que ça soit pour moi (même si je n'ai rien contre les chiens parlants xD)

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    1. Ce n'est pas le cyberpunk à la Matrix, le focus est mis sur le récit, pas sur les gadgets.

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  5. Me semble que le chien était déjà présent dans Swap(un autre bouquin de Canal) un chien libertin,mais très réfléchi et je m’étais demandé s’il n’était pas la représentation inconsciente de l’inspecteur.

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    1. C'est mon premier Canal - mais pas le dernier - donc je te fais confiance sur ce coup.

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  6. Rien que pour le chien qui parle ce livre me tente.

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