Spin

 

Robert Charles Wilson, Folio SF (Lunes d'encre), 2007, 624 p., 9€ epub avec DRM



Le grizzly féroce et immense
A dévoré l’enfançon joli
L’enfançon n’a pas conscience
De s’être fait manger par le grizzly


Bienvenue dans "le torrent furieux du temps extraterrestre."

Robert Charles Wilson nous entraine dans le tourbillon de la Vie : de l’émerveillement plein les mirettes; un feu d'artifice pour vos neurones; le tout porté par des personnages complexes.

Un voyage à travers le temps et l'espace dont vous ne reviendrait pas indemne.


Présentation de l'éditeur :


Une nuit d'octobre, Tyler Dupree, douze ans, et ses deux meilleurs amis, Jason et Diane Lawton, quatorze ans, assistent à la disparition soudaine des étoiles. Bientôt, l'humanité s'aperçoit que la Terre est entourée d'une barrière à l'extérieur de laquelle le temps s'écoule des millions de fois plus vite. La lune a disparu, le soleil est un simulacre, les satellites artificiels sont retombés sur terre. Mais le plus grave, c'est qu'à la vitesse à laquelle vieillit désormais le véritable soleil, l'humanité n'a plus que quelques décennies à vivre...
Qui a emprisonné la terre derrière le Bouclier d'Octobre ?
Et s'il s'agit d'extraterrestres, pourquoi ont-ils agi ainsi ?


Mon ressenti :


Lorsque l'on demande aux lecteurs de Spin de résumer le roman en quelques mots, les étoiles, les hypothétiques, le temps reviennent.
Pour moi, Spin est une image, une scène, celle de la randonnée à vélo un jour d'été, les trois gamins sur leurs vélos tentant de gravir et de descendre une colline. Tout y est : la différence de statut social entre Tyler et les jumeaux, les liens qui les unissent, la psychologie des personnages. Avant la SF, c'est un magnifique récit de vie de l'enfance à l'âge adulte.

On débute tranquillement sa lecture en l'an  4 x 109 ap. J.-C., un monde qui ressemble étrangement au notre, si ce n'est un contexte géopolitique différent. Comment est ce possible ?
Puis retour en arrière, aujourd'hui. L'événement nous est raconté dès les premières pages, les étoiles ont disparu. A l'extérieur, le temps s'écoule normalement tandis que sur Terre, le temps est ralenti dans des proportions inimaginables : "un million de leurs siècles pour chacune de nos années.".

Spin va vous emporter dans un monde pré-apocalyptique, le quotidien va devoir composer avec la disparition des étoiles. Mais d'une fin imminente attendue, proche, il apparait que le spin pourrait être aussi une planche de salut pour l'humanité, ou du moins se révélait moins dévastateur que les premiers jours le laissaient supposer. Certains reprennent le cours de leurs vies, mais le chaos risque de pointer le bout de son nez. Wilson nous sort la parabole de la grenouille :

Lâchez une grenouille dans de l’eau bouillante, elle en sortira aussitôt d’un bond. Placez-la dans une casserole d’eau tiède que vous mettez à chauffer à feu doux, et la grenouille mourra avant de se rendre compte du problème. 
 
Spin, c'est aussi de la SF. De la SF de haut vol, celle du sense of wonder, celle que peu d'auteurs n'auraient osé imaginer. Wilson s'empare des idées ayant bercé de nombreux lecteurs, les assemblent et produit un roman qui rend réaliste l'ensemble, tangible. Splendide. Je ne vous en dit pas plus sur les thématiques pour ne pas vous dévoiler l'émerveillement face à la prouesse de la construction du récit. La force, ou le défaut de ce roman, est d'explorer ce questionnement via ces personnages. Wilson attaque son sujet en le contournant, jamais frontalement, ce qui pourrait déplaire à certains lecteurs.

J’ai beaucoup de sujets d’inquiétude. Mais offenser les dieux n’en fait pas partie.

Car Spin, c'est surtout l'histoire de trois copains d'enfance : Jason, d'une intelligence hors du commun qui va tenter de comprendre l'incompréhensible, sa soeur jumelle Diane, tout aussi intelligente mais avec l'émotion en plus qui va se réfugier dans les nouvelles religions et Tyler l'ami fidèle, un peu détaché, "glissant dans la vie". Trois personnages archétypaux, mais loin d'être caricaturaux.
Ces trois enfants vont découvrir un soir d'automne, allongées sur la Grande Pelouse de la Grande Maison, la disparition des étoiles. Trois destins pris dans la tourmente de l’hypothétique événement.
Comment vivre face à une catastrophe annoncée, celle de l'explosion du soleil, emportant avec lui le système solaire et ce qui s'y trouve ? Comprendre, Aider, Se voiler la face ?

Spin est aussi une fulgurance dans le style, tous s'emboite merveilleusement. Les titres des chapitres donnent le ton. Que dire de ce jardinage céleste en lieu est place du concept de terraformation;
Atteindre l’âge adulte dans l’eau bouillante; Le temps désarticulé; Le tic-tac d’horloges coûteuses; Euphorie désespérée.

Je n'aime pas dire d'un roman que c'est un chef d'oeuvre, une notion bien trop personnel et arbitraire. Spin me place donc dans une situation difficile. Alors, comme beaucoup, je dirai simplement que Spin est sûrement un des plus grand livres de ces 25 dernières années.

Une fin ouverte laissant libre l'imagination du lecteur.
Spin est cependant une trilogie, ou comme le dit Robert Charles Wilson, un one shot suivi de deux romans. A la lecture des autres textes, je ne peux lui donner tort. L'intrigue des suites se situe dans le même monde que celui des Hypothétiques, mais les personnages différent. Axis est celui qui m'a le moins convaincu, Vortex renoue avec la complexité, le romancier se jouant du lecteur via le temps, un roman assez priestien et dickien.

Parce qu'il faut bien trouver un défaut, je vous en donne trois :
- La couverture. Elle ne rend pas justice au contenu vertigineux, comme les autres éditions étrangères. Seule la couverture chinoise me semble la plus fidèle.


- Les DRM. Bien utile, il suffit de taper quelques mots clés dans votre moteur de recherche pour télécharger rapidement et gratuitement le roman.

- Le prix : Spin est une "trilogie", il vous en coutera 27 euros (epub) si vous acheter les tomes de manière séparé. Une édition intégrale existe chez Folio SF pour la modique somme de 15 euros. Attention, à ce prix, il a fallu faire des économies : la table des matières se résument au renvoie vers les trois romans ! Une ineptie.

Des louanges aussi par là-bas :

Un livre captivant, où tout s'imbrique à la perfection, qui traite de beaucoup de thématiques, qui nous questionne et nous transporte.
Au pays des cave trolls

"Spin" est pour moi un livre superbe. Un roman hallucinant, époustouflant et vertigineux.
Naufragés volontaires

Je n’ai pas le souvenir d’avoir lu quelque chose de semblable
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Quelques citations :


Nous avions toutefois perdu quelque chose de plus subtil que quelques lumières dans le ciel. Nous avions perdu l’impression de connaître avec certitude notre place dans l’univers. 

Comment construire une vie sous la menace de l’extinction ? Cette question a défini notre génération. 

Je lui ai dit que les noms ressemblaient aux habits : soit on les portait, soit c’est eux qui vous portaient. « Ah vraiment, Tyler Dupree ? » a-t-elle répliqué, et j’ai souri d’un air penaud.


Notre génération, à Jason et à moi, était peut-être condamnée, mais ce ne serait ni la sclérose en plaques, ni la maladie de Parkinson, ni le diabète, ni le cancer du poumon, ni l’artériosclérose, ni la maladie d’Alzheimer qui nous tueraient. La dernière génération du monde industrialisé serait sans doute la mieux portante.

Nés à quelques minutes d’intervalle, Diane et Jason étaient de toute évidence davantage frère et sœur que jumeaux : seule leur mère les désignait d’ailleurs par ce terme. Jason affirmait qu’ils étaient le produit de « la pénétration d’ovules de charge opposée par du sperme dipolaire ». Diane, qui disposait d’un QI presque aussi impressionnant que Jason mais tenait davantage son vocabulaire en laisse, comparait son frère et elle à « deux prisonniers différents échappés de la même cellule ».

Elle l’a amené à la Grande Maison à Noël dernier. Je crois qu’elle voulait assister au feu d’artifice. Bien entendu, E.D. n’a pas apprécié Simon. Son hostilité a même été assez évidente. » (Jason a grimacé au souvenir de ce qui avait dû constituer l’une des crises de colère majeures d’E.D. Lawton.) « Mais Diane et Simon se sont comportés en NR : ils ont tendu l’autre joue. Ils ont failli le tuer avec leurs sourires. Littéralement. Un regard doux et indulgent supplémentaire aurait expédié E.D. dans une unité de soins intensifs cardiologiques. »

Le Spin, à son arrivée, a dû lui sembler une monstrueuse justification de la manière dont Jason voyait le monde… d’autant plus que le phénomène obsédait son frère. Il existait manifestement une autre forme de vie intelligente dans la galaxie, et tout aussi manifestement, elle ne ressemblait en rien à la nôtre. Elle était d’une puissance immense, d’une patience terrifiante et d’une indifférence totale envers la terreur qu’elle avait infligée à notre monde. 

Elle était coriace de nature. Ses parents, producteurs laitiers, avaient passé dix ans à se battre en justice contre l’exploitation d’extraction de pétrole établie sur les sables bitumineux en bordure de leur propriété, qu’elle intoxiquait petit à petit. Ils avaient fini par céder cette dernière en contrepartie d’un règlement à l’amiable assez généreux pour leur assurer une retraite confortable ainsi qu’une éducation décente à leur fille. Mais c’était le genre d’expérience, disait Molly, qui filerait des durillons au cul d’un ange. 

Les sondages se montraient assez clairs sur le sujet. La NASA avait dévoilé les données de ses sondes orbitales la nuit où Jason nous avait appris la nouvelle, à Diane et moi, et une rafale de lancements européens avait confirmé les résultats américains. Néanmoins, huit ans après que le Spin avait été rendu public, seule une minorité d’Européens et de Nord-Américains y voyait « une menace pour eux-mêmes ou leur famille. » Dans la plus grande partie de l’Asie, de l’Afrique et du Moyen-Orient, une nette majorité de la population le considérait comme un complot ou un accident américain, sans doute une tentative ratée de créer une espèce de système de défense antimissile type « guerre des étoiles ».
J’avais un jour demandé pourquoi à Jason. « Tu as vu ce qu’on leur demande de croire ? avait-il répondu. On a là une population qui, globalement, a une compréhension quasi pré-newtonienne de l’astronomie. Combien as-tu besoin au juste d’en savoir sur la lune et les étoiles lorsque ta vie consiste à récupérer assez de biomasse pour nourrir ta famille ? Raconter à ces gens quelque chose de compréhensible sur le Spin oblige à remonter très loin. Il faudrait commencer par leur dire que la Terre est vieille de plusieurs milliards d’années. Les laisser se débattre, peut-être pour la première fois, avec le concept de “milliards d’années”. C’est un gros morceau à avaler, surtout si on a été éduqué dans une théocratie musulmane, un village animiste ou une école privée de la Ceinture Biblique. Il faut leur dire ensuite que la Terre n’est pas immuable, qu’il y a eu une ère plus longue que la nôtre au cours de laquelle les océans étaient vapeur et l’air poison. Leur raconter comment des organismes vivants sont apparus de manière spontanée pour évoluer sporadiquement pendant trois milliards d’années avant de produire quelque chose qui ressemblait au premier être humain. Parler ensuite du Soleil, leur dire qu’il n’est pas permanent non plus, mais qu’il a commencé son existence sous forme d’un nuage de gaz et de poussière et qu’un jour, dans quelques milliards d’années, il grossira et englobera la Terre pour finir par laisser échapper sa couronne extérieure et se réduire à une pépite de matière super dense. Le b a.-ba de la cosmologie, pas vrai ? Tu l’as appris dans tous ces livres de poche que tu lisais, c’est une seconde nature pour toi, mais pour la plupart des gens, c’est une manière de voir le monde complètement inédite qui contredit sans doute quelques-unes de leurs croyances de base. Donc, tu les laisses assimiler cela. Tu les laisses assimiler cela, et tu leur donnes ensuite les nouvelles vraiment mauvaises. Le temps lui-même est fluide et imprévisible. Le monde qui semble si vigoureusement normal – malgré tout ce que nous venons d’apprendre – a depuis peu été enfermé dans une espèce de chambre froide cosmologique. Pourquoi nous a-t-on infligé cela ? On ne sait pas au juste. On pense qu’il s’agit d’une action délibérée d’entités si puissantes et si inaccessibles qu’on pourrait aussi bien les appeler des dieux. Et si nous offensons les dieux, ils pourraient nous retirer leur protection, si bien que les montagnes ne tarderaient pas à fondre et les océans à entrer en ébullition. Mais ne nous croyez pas sur parole. Ignorez le crépuscule et la neige qui continue tous les hivers à tomber sur la montagne. Nous avons des preuves. Nous avons des calculs, des inférences logiques, des photographies prises par des machines. Des experts d’envergure mondiale. » Jason avait souri, un de ses sourires narquois et un peu tristes. « Bizarrement, le jury n’est pas convaincu. »
Et il n’y avait pas que les ignorants à rester sceptiques.




13 commentaires:

  1. Belle chronique et merci pour le lien :)
    Il faut que je me procure le troisième maintenant!

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    1. Merci.

      Avec le troisième, Gaiman s'en ramasse une par Wilson.

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  2. Oui mais j'ai d autres livres de Gaiman dans ma PAL.

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  3. Bon. Il n'y a plus qu'à...
    très intéressant comme commentaire, n'est-ce pas ?
    Sérieux, j'ai lu rapidement car, je veux bientôt m'y plonger sans être trop influencée.
    Je reviendrai plus tard pour une réponse plus adaptée. :-)

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    1. J'espère que tu feras partie de ceux qui se prennent une claque dans la gueule en lisant ce roman.

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  4. Trop de livres, pas assez de temps... donc je ne relis pas les livres mais ta chronique m'a presque fait envie de me replonger dans celui-ci.
    Et quand je pense que le lutin n'a pas encore lu cette trilogie... \o/

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    1. Merci. Mais avec un pitch comme celui de Spin, difficile de résister.
      Je suis comme toi, j'envie furieusement ceux qui vont découvrir cette trilogie pour la première fois.

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    2. J'aurais mieux fait de ne pas le relire et rester sur les souvenir des autres... :p

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  5. Je les ai à la maison, je finirais bien par me pencher dessus (reste à voir si je lis juste Spin ou toute la trilogie...)

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    1. Honteux de laisser dormir Spin sur sa table de nuit.
      Spin est de loin le meilleur et n'appelle pas forcément de suite si tu aimes les fins ouvertes. Les réponses hypothétiques seront apportées dans Vortex, dans le tout dernier chapitre.
      Autant Spin peut se lire de manière indépendante, Axis et Vortex forment un diptyque.

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  6. Le mien dort en France, dans ma bibliothèque qui est en train de prendre la poussière. A mon retour, je m'y atèle (merde, j'ai déjà dit cela je crois). Je l'ai acheté, c'est un bon début.
    En tout cas, ton retour donne envie et me permettra de mieux te cibler en tant que lecteur, ce qui peut s'avérer intéressant aussi.

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    1. Quoi ! Tu n'as pas mis de Robert dans ta valise !
      Lorsque tu t'y plongeras, tu comprendras la SF que j'aime. Prépare tes lunettes de soleil pour ta lecture, le sense of wonder risque de te brûler les rétines.
      Robert je t'aime !

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