Hante voltige (Paris est une bête)


Nelly Chadour, Moltinus/Les Saisons de l'étrange, 2019, 192 p., 6,50€ epub sans DRM



Un roman peut-il être à la fois con, intelligent, foutraque, bien construit, drôle, tragique, fantastique, réaliste, engagé et militant ? Nelly Chadour fait de la haute voltige avec brio.
Un véritable coup de babouche dans la gueule.

Présentation de l'éditeur : 

Année 80, Paris, il chevauche la nuit sur sa moto chromée, hantant les rues enfumées de la Capitale.
Que peuvent faire Leïla et Fusain pour arrêter cette menace sans visage, caché derrière un casque noir comme l'éternité ?
Le Motard fait rugir son moteur, et sa soif de vengeance ne connaît pas de frein.

Mon ressenti :


J'ai acheté ce livre un peu sur un coup de tête, mon esprit avait fait un lien avec Roland C. Wagner, sûrement à cause du motard. Je ne m'attendais pas forcément à grand chose, si ce n'est un divertissement honnête. Et après lecture, je pense que ce Hante voltige n'aurait pas démérité à côté des romans de Wagner.



On rentre assez rapidement dans le vif du sujet, dans cette époque raciste où les flics cassent de l'arabe tranquillement dans ce Paris des années 80, avec le meurtre de Malik Oussékine alors que les étudiants et les lycéens battaient le pavé à propos d'une énième réforme de l'éducation. Au milieu de ces révoltés, une bande hétéroclite de punks, goths et beurette, "tous allergiques aux ciseaux du coiffeur."
Et puis, il y a le voltigeur, avec son casque immaculé, qui désire "envoyer au diable tous les fils du Maghreb".

La police n’est pas là pour nous protéger, bichette, reprend la vieille dame d’une voix plus douce. Elle est là pour rappeler que des gens comme vous ne seront jamais entièrement français et pour s’assurer que le petit peuple ne fera jamais de vague qui nuirait au plan des puissants.

On se prend à cette histoire tragique, drôle et fantastique et les pages s'enfilent à grande vitesse. On va pas se mentir, les persos sont caricaturales, cela part dans tous les sens mais on prend du plaisir à lire une page puis une autre. C'est foutraque, mais on passe un bon moment.
Mais au fur et à mesure, les fils épars se rejoignent, l'intrigue prend alors toute son ampleur. Et je me dis qu'au final tout cela n'est pas si con que cela, l'intrigue fait sens. Et pour cause, ici, on se retrouve avec de vrais personnages que l'on côtoie dans notre vrai vie, ceux dont on parle très peu en littérature, les marginaux, les arabes, les punks et autres. La lie de la société bien pensante. Et ça fait un bien fou, tellement c'est rare.

Il y a aussi ce Paris interlope, loin de l'image d'Épinal, et des touristes. Les 2-3 références que j'ai vérifié existent bel et bien. Il y a aussi et surtout ce vieil arabe Ahmed, alias Papy Pantoufles, un Yoda beur qui me restera en mémoire longtemps.

Même si tout le monde sait dans le foyer que les deux vieux ne partagent aucun lien de parenté, nul ne se serait avisé à en faire la remarque à Papy Pantoufles. Malgré sa stature microscopique et ses yeux plissés d’homme qui a longtemps regardé les réverbérations du soleil sur le désert, son drôle de bonnet blanc cousu de symboles berbères et son immense chemise rayée qui lui bat les mollets, il impose le respect. Particulièrement en raison de ses connaissances des moindres recoins de la capitale, son don pour trouver toute denrée demandée contre une somme dérisoire ou de menus services, et sa force de frappe à la babouche. Car son surnom ne vient pas seulement de son pas traînant : le vieux excelle dans l’art de la mandale pantouflée. Un mot de travers, une insolence, et vlan ! Avant que l’œil n’ait saisi le geste, la joue enregistre la douleur cuisante.

Ajouter à cela des sujets faits divers pas si divers : le racisme, les ratonnades, les skins et les bavures policières. Ça fait du bien d'entendre reparler de Malik Oussékine, tué par ceux qui devait le protéger. Tout y est : la colère, rentrée, refoulée devant les injustices. Mais il y a aussi la fraternité.
Mais ici pas d'apitoiement, pas de leçon de morale, on se marre et on réfléchit en même temps. l'autrice se paye même le luxe de jouer avec nos représentations sur les maghrébins pour mieux les retourner : la débrouillardise, le système D, les apparts aux pièces minuscules qui se transforment en loft à la barbe du proprio.
Et d'un roman ancré dans les années 80, Nelly Chadour se paye le luxe de les relier avec des d'autres drames des années 60 pour mieux faire ressortir les avancées sociales de notre époque. Enfin, à ce que l'on dit...

En 192 pages, tout est dit. Je me suis surpris à me payer des franches parties de rigolades en lisant certains dialogues. Chapeau bas à Nelly d'avoir fait rentrer tout cela en si peu de pages. Et que tout se se tient. De la belle ouvrage, je dirais même de la haute voltige.
Et puis un livre qui fait un parallèle entre les mouches (à merde ?) et les flics racistes, moi, ça me fait rire.

Un moulin qui va se révéler digne de Burton


Chaque année, je discerne mes Prix du chien, dont l'un est décerné à ceux qui gueulent. Il y a fort à parier que j'ai trouvé la gagnante de cette année, qui sera en bonne compagnie entourée d'Alex Jestaire et de Roland C. Wagner.

J'avais repéré ce livre via le blog de Chut... Maman lit ! et désespérais de le lire, n'ayant pas trouver de version électronique. La distribution est un métier assez étrange (logique me direz vous pour un opus des saisons de l'étrange) : je ne l'avais trouvé ni sur 7swith, ni sur la page dédiée à l'autrice sur le site de l'éditeur. Sûrement un coup de l'Intérieur !!!
Mais la version existe belle et bien, l'autrice m'a donné le lien direct, je vous le transmet donc :
Hante voltige en epub

Rare que je suis aussi enthousiaste, si vous avez encore des doutes, allez lire les Chroniques du chroniqueur, de Alias ou de Maman lit.
Et je vous conseille fortement d'aller lire l'interview de Nelly Chadour faite par le Chroniqueur



A lire en écoutant le Ministère des Affaires Populaires qui correspond bien à l'ambiance festive et engagé.




Ou Assassin et son magnifique L’État assassine.






Quelques citations :


« Alors, Papy, on revient d’une nuit blanche ? Ça devait être quelque chose.
– M’en parle pas, gamin, j’ai causé pendant cinq heures avec les flics, j’ai entrevu l’infini du néant emprisonné sous des boîtes crâniennes étroites.
– Veinard ! Moi j’y ai eu droit pendant vingt-quatre heures sans un mot d’excuse quand ils ont fini par reconnaître leur erreur. Mais apparemment, c’était pas leur faute, c’est nous qui nous ressemblons tous.
– C’est parce que nous sommes tous frères de misère, gamin.

La gueule de l’emploi, commente Papy. C’est ça qui m’émerveille avec les forces de l’ordre de votre pays : on y laisse entrer les pires brutes et on s’émeut ensuite de ce que vous appelez pudiquement des bavures.

L’endroit fleure bon le vieux vomi et la boulette d’héro cramée. Jamais voulu toucher à cette saloperie, c’est pour cette raison que je fraye plus volontiers avec les goths et les métalleux, qui se contentent d’être alcoolos.

 
Challenge S4F3

14 commentaires:

  1. Content qu'il t'ait plu à ce point, et merci pour les liens :) !

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  2. Elle est géniale ta chronique, j'adore !
    Je suis contente qu'il t'ait plu ;)

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  3. Te voir aussi enthousaiste sur un bouquin n'est pas si courant. déjà, ensoi, cela encourage à s'y intéresser, mais ton enthousiasme est aussi très convaincant alors, je crois que je vais me laisser tentée....

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    1. Pas sûr qu'il soit pour toi celui ci, mais je pense que j'aurais dis la même chose avant que je ne le lise, donc...

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    2. Oui, c'est bien ce que j'ai également compris. C'est pour cela que je me dis pourquoi pas.

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    3. Et des romans où on s'amuse, il n'y en a pas tant que cela.

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  4. Je l'avais rejeté un peu par habitude, saisons de l'étrange obligent, et parce que je me fiais bêtement à mon ressenti de base - ouais, la couverture quoi. Je note donc de faire finalement une exception à l'occasion, il semble le mériter. Belle chronique.

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    1. Une très bonne surprise, un très bon plaisir de lecture. Comme toi, ces saisons ne me tentaient guère, et puis...
      Merci

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  5. C'est vrai que c'est une bien belle chronique. Et c'est ce qui s'appelle avoir l'enthousiasme communicatif…

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    1. Merci. J'espère qu'il te plaira autant qu'à moi si tu sautes le pas.

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  6. Rigoler en même temps que réfléchir c'est un super truc, je note

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