La naissance du savoir : Dans la tête des grands scientifiques

 

Nicolas Martin, Les Arènes, 2023, 400 p., 25€


7 mois pour lire ce livre. 7 MOIS !
A chier donc ? Analysons ce résultat avant d'en tirer des conclusions hâtives.

Pitch de l'éditeur : 

Nicolas Martin a réuni les plus grands scientifiques francophones, celles et ceux dont les travaux ont un retentissement international : dix hommes, sept femmes, dix-sept disciplines. Dans ces entretiens exclusifs, ces cerveaux remarquables nous ouvrent pour la première fois leur « boîte noire ».
Ils nous racontent d’où vient leur vocation, les qualités nécessaires pour mener à bien des recherches dans leur domaine, quelles ont été leurs réactions face aux échecs ou aux fausses pistes, comment s’organise leur pensée et si le moment eurêka existe réellement…
Jamais un tel panorama ne nous a été offert.
Ce livre est une plongée dans l’intimité de savants pleins d’humilité, qui s’expriment à cœur ouvert, dans une lanque accessible à tous. Avec une grande générosité, ils partagent leur savoir et leur savoir-être. Une vision du monde en forme de kaléidoscope passionnant.

Mon ressenti :

Parfois, il faut se rendre à l'évidence. Pour moi, ce fut de me rendre compte que jamais les plus grands noms de la science ne passeront une soirée avec moi. Face à ce constat, je ne baisse pas les bras et j'essaye de trouver un moyen de contourner le problème. Comme ici avec ce livre de Nicolas Martin qui me permet de converser avec 17 intellos.
Ce livre a aussi été une première pour moi, celle de ma rencontre avec le livre de chevet. Des années que j'entends tel ou tel dire ce livre est mon livre de chevet. Mais moi je peux adorer un auteur, un livre, mais jamais je ne le considère comme un livre de chevet. Et puis La naissance du savoir est arrivé, avec ces 400 pages bien fourni, bien dense. Impossible de le lire d'une traite, j'ai donc picoré au fil du temps, m'arrêtant à chaque interview et reprenant ma lecture le moment idéal. Donc il restait 7 mois à côté de mon lit, sur la table de chevet. Voici donc la raison pour laquelle je ne sors mon avis que maintenant. 

Nicolas Martin : Quelle est la découverte dont vous êtes le plus fier ?
Etienne Ghys : Je vais en donner deux, si j'ai le droit. D'abord ma thèse. J'en suis très fier parce que personne n'a fait mieux sur ce sujet depuis plus de quarante ans. Aujourd'hui, j'aimerais bien la réécrire avec tout ce que je sais, parce que j'en sais beaucoup plus qu'à l'époque. C'est un de mes projets. Je pense que je l'expliquerais beaucoup mieux aujourd'hui. J'ai dit ça une fois à un de mes anciens étudiants qui m'a répondu que ça allait faire "vieux pépé qui écrit ses mémoires". J'étais un peu découragé. Néanmoins, j'aimerais bien revenir sur ma thèse. p.142


"Les sciences, c'est la vie". Voici comment se conclue la préface de Nicolas Martin. Je ne sais pas si c'est une allusion à la série Kaamelott, Le gras, c'est la vie, mais j'espère que je passerai un aussi bon moment que dans la série. (spoiler : oui)
Françoise Combes : Dans mon adolescence, j'ai lu des tas de livres sur des chercheurs, pas seulement en astrophysique. J'ai lu des textes sur Copernic, mais aussi sur Pasteur, qui faisait de grandes découvertes et améliorait le destin de l'humanité grâce à la vaccination. Tous ces chercheurs me captivaient. Moi aussi, j'avais envie de chercher. De trouver bien sûr, mais surtout de chercher. Ma vocation s'est construite autour de la curiosité. p.239


Dans ce genre d'exercice, l'interview, j'adore me demander ce que moi j'aurai répondu aux différentes questions, même si je travaille en dehors du domaine scientifique. Il y a des chercheurs dont on se sent plus proche, de par leur approche de la vie, de leur travail. Ainsi Evelyne Haier ou Sabrina Krief. Ou encore Etienne Ghys, mathématicien, excellent vulgarisateur et médiateur. Déjà il habitait dans ma région, issu d'une famille modeste. Son père travaillait comme imprimeur pour une revue, Hommes & Migrations, qui existe toujours et dont je suis abonné à mon taf. Son père était en outre sourd, une problématique qui me touche aussi de par mon travail. Bref des liens. Comme son parcours scolaire où ce sont plus ses facilités qui ont dicté sa scolarité qu'un choix délibéré : il a su qu'il voulait être mathématicien après son doctorat ! Il parle aussi des quelques profs, instits ou bibliothécaires qui l'ont marqué dans sa jeunesse.
Ou encore Jean Pierre Sauvage, que j'ai trouvé très humble malgré un petit prix reçu, le Nobel de chimie.
Il y a aussi celles et ceux qui ne jurent que par leur équipe, minimisant leur apport, démontrant la touche de leurs collaborateurs. D'autres qui aiment s'étaler à chaque question. Pas un n'est identique, même si une chose les rassemblent tous : l'amour de leur métier, la volonté d'aller au plus profond des choses pour comprendre notre monde. Pour la découverte et la gloire ? Non, souvent juste pour la compréhension. Nombreux sont celles et ceux aussi faisant le constat d'un manque de pluridisciplinarité et qu'il faut aller vers cet état de chose. Croiser les regards, les idées, les savoirs...



Marc-André Selosse : J'ai été trop frustré de voir des gens qui savaient plein de choses mais ne répondaient pas à mes questions, alors même qu'ils prenaient du temps pour me parler. Ils n'étaient pas clairs. En réalité, ils se situaient de leur point de vue et non du point de vue de leur interlocuteur. Cette frustration me fera mûrir. p.265


Alors comment devenir un grand scientifique ? La curiosité et la compréhension semblent être partagées par l'ensemble des interviewés. Du moins c'est ainsi que je le ressens. En tant que lecteur de science-fiction, impossible de ne pas remarquer que certains citent des écrivains de SF ou ayant traité ce genre.

Un ouvrage accessible qui tente de faire le tour d'horizon du domaine scientifique (allez lire la préface de Nicolas Martin). J'ai adoré prendre le café avec ces petits puits de science et connaître leur parcours et surtout l'amour de leur métier.
Une fois la dernière page tournée, au vue de l'état du monde et de la connaissance accrue de cet état par les scientifiques, j'aurai cru être encore plus pessimiste que je ne le suis. Mais non, c'est l'espoir qui perdure. Grâce aux connaissances, la possibilité d'un changement est de l'ordre du possible.

Gilles Boeuf : Nous sommes à la fin des années 1990 Paul Crutzen, Prix Nobel de chimie, a identifié le trou dans la couche d'ozone et popularisé le terme anthropocène. Ce concept me transperce. Je lis tout sur le sujet et je me rends compte que le plus puissant moteur des changements sur la Terre, c'est la présence de l'humain ! Lui et ses 23 milliards de poulets, 1,3 milliard de vaches 4 milliards de cochons J'avais passé ma vie à étudier la longueur du jour, la température, le sel de l'océan, qui ont toujours été les moteurs de l'évolution du vivant. Et tout serait battu en brèche par la présence d'une seule espèce sur les 2,4 millions qu'on dénombre aujourd'hui ? Ma vie en a été bouleversée. J'ai arrêté tout ce que je faisais et suis devenu beaucoup plus transversal, mû par un profond respect pour les sciences humaines et sociales. Je suis devenu humaniste. p.368


Deux critiques tout de même : Pourquoi avoir mis la numérotation des pages à l'opposé de ce qui se fait actuellement ? Tout sauf pratique. Et le manque d'une conclusion. Mais qui aurait été peut être de trop car m'aurais je posé la question une fois fini : alors comment naît le savoir ?

Gilles Boeuf : Nous sommes à la fin des années 1990 Paul Crutzen, Prix Nobel de chimie, a identifié le trou dans la couche d'ozone et popularisé le terme anthropocène. Ce concept me transperce. Je lis tout sur le sujet et je me rends compte que le plus puissant moteur des changements sur la Terre, c'est la présence de l'humain ! Lui et ses 23 milliards de poulets, 1,3 milliard de vaches 4 milliards de cochons J'avais passé ma vie à étudier la longueur du jour, la température, le sel de l'océan, qui ont toujours été les moteurs de l'évolution du vivant. Et tout serait battu en brèche par la présence d'une seule espèce sur les 2,4 millions qu'on dénombre aujourd'hui ? Ma vie en a été bouleversée. J'ai arrêté tout ce que je faisais et suis devenu beaucoup plus transversal, mû par un profond respect pour les sciences humaines et sociales. Je suis devenu humaniste. p.368
 

Petit plus, j'ai adoré deux ajouts à la fin de l'ouvrage, l'éditeur indique "l'exemplaire que vous tenez entre les mains a été rendu possible grâce au travail de toute une équipe" et liste les services, personnes.
Et aussi le dernier paragraphe : "En France, un livre a le même prix partout. C'est le prix unique du livre instauré par la loi de 1981 pour protéger le livre et la lecture. L'éditeur fixe librement ce prix et l'imprime sur le livre. Tous les commerçants sont obligés de le respecter. Que vous achetiez votre livre en librairie, dans une grande surface ou en ligne, vous le payez donc au même prix. Avec une carte de fidélité, vous pouvez bénéficier d'une réduction allant jusqu'à 5% applicable uniquement en magasin (les commandes en ligne expédiées à domicile en sont exclues). Si vous payez moins cher, c'est que le livre est d'occasion."
Clair et didactique.



Nicolas Martin : L'évolution de la technologie a-t-elle modifié votre façon de ver ou de réfléchir? Quelle innovation technologique a vraiment été un tournant dans votre carrière?
Gilles Boeuf : Je ne pense pas qu'une innovation en particulier ait changé ma façon de réfléchir. La frénésie technologique nous a rendu d'immenses services. Sans le numérique, comment aurions-nous archivé les milliards de bases génétiques issues du séquençage environne mental ? Pour autant, cela ne change pas la philosophie inhérente à tout cela. Comme l'écrivait Rabelais : Science sans conscience n'est que ruine de l'âme. Nous en sommes toujours là. Ce qui me heurte le plus, c'est l'utilisation de ces connaissances et de ces technologies pour des choses horriblement futiles. Qu'on arrête de vendre des billets d'avion Londres-Malaga à 5 euros pour aller s'alcooliser week-end. Les avions n'ont pas été inventés pour ça ! Nous assistons à une destruction massive de l'environnement pour des choses qui n'en valent pas la peine. Les mentalités doivent changer. Les rapports hommes-femmes aussi. Aucune espèce ne maltraite les femelles comme la nôtre. Je suis furieux quand on qualifie une horreur humaine de comportement animal. Non, les animaux ne font pas ça, ce sont des comportements humains ! p.369

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