Noémie Naguet de Saint Vulfran, la femme qui murmure à l'oreille de La science, CQFD



En 2016, Noémie était une parfaite inconnue et huit ans plus tard, rien n’a changé ! Pourtant, des millions de personnes écoutent son travail et 60 000 sont abonnés à son compte Twitter. Son carnet d’adresses ferait pâlir tous les petits puits de science de France et de Navarre, car elle converse quotidiennement avec les plus grands scientifiques.
Le mystère qui l'entoure alimente les spéculations les plus folles : elle serait une simple touche de clavier, la F5; ou une intelligence artificielle passionnée de sciences propageant la parole scientifique sur les ondes; voire même LA tueuse de souris. Certains prétendent l'avoir vue hanter les caves de Radio France, psalmodiant des phrases étranges : "Jusqu'à preuve du contraire" ou "Ce qu'il fallait démontrer".
Le succès de "La méthode scientifique" et de "La science CQFD" est aussi le sien. Un entretien exclusif pour découvrir Noémie Naguet de Saint Vulfran, la femme qui murmure à l'oreille de La science, CQFD.




 

 

Noémie, j'ai la chance de connaître un peu ce que tu fais, mais je pense que c'est loin d'être le cas de tous, peux-tu te présenter ?

Je travaille dans l’équipe de “La Science, CQFD”, feu “La Méthode scientifique”. J’y suis depuis le début de toute cette aventure (septembre 2016). Je ne parle pas dans le micro, mais je prépare le contenu d’une à deux émissions par semaine. Je m’occupe en parallèle tous les jours du compte twitter de l’émission (@ScienceCQFD), que j’ai créé à mon arrivée à la radio.

De gauche à droite : Olivier Bétard, Eve Etienne,
Alexandra Delbot, Celine Loozen, Noémie Naguet de Saint Vulfran,
Antoine Beauchamp et Natacha Triou
(Une seule personne travaille, Noémie...
Natacha, ce n'est pas poli de montrer du doigt !)
Source : https://twitter.com/pintofscienceFR/status/1227269726574915595/photo/1

 

Afin de vérifier si tu as ta place dans “La Science, CQFD”, une question scientifique : que penses-tu, chez la souris, de la caractérisation des populations enrichies en cellules souches hématopoïétiques dans le placenta et le sac vitellin au cours du développement embryonnaire ?

Ahah, j’en pense que depuis ma thèse, on me traite souvent de tueuse de souris ^^, mais mon objet principal d’étude, c’était les cellules souches du sang (appelées “hématopoïétiques” dans le jargon). Après la naissance, les cellules fonctionnelles qui coulent dans notre sang (globules rouges, plaquettes et globules blancs) ont une durée de vie limitée (c’est 120 jours pour un globule rouge par exemple). Leur quota doit donc être sans cesse renouvelé pour qu’on en ait toujours autant et ça, ça se fait grâce à des cellules très particulières, qui sont donc ces fameuses cellules souches du sang. Elles sont nichées dans la moelle osseuse de tous nos os, mais chez l’embryon, au moment où la circulation sanguine démarre (c.-à-d. très tôt dans le développement), il n’y a pas encore d’os, donc pas encore de moelle osseuse. Cela veut donc dire qu’il y a quand même des cellules souches du sang quelque part… Elles naissent donc ailleurs, mais où ? La question de base de ma thèse, c’était justement de déterminer à quel(s) endroit(s) elles apparaissent en premier, quel chemin migratoire elles parcourent (via la circulation sanguine), par quels organes elles passent pour, in fine, atterrir dans la moelle osseuse une fois que celle-ci est apparue, et quelles molécules de surface elles acquièrent petit à petit pour finalement les rendre pleinement fonctionnelles. Voilà pour le pitch ! Pour les pistes : il se trouve que le sac vitellin, et surtout le placenta, sont deux bons candidats de lieu d’émergence. C’est donc là-dessus que j’ai bossé et comme tout jeune chercheur, je n’ai pas toutes les réponses, mais j’ai mis ma petite goutte d’eau dans l’océan :). Mais qu’on se rassure, ça fait plus de 10 ans que j’ai soutenu, j’ai déjà essayé depuis de relire des passages de ce pavé dont j’ai laborieusement accouché, et je ne comprends pas tout ce que j’ai écrit ! C’est vraiment représentatif à mon sens de cette période “de grâce” de la vie, qui correspond à ces années pendant lesquelles on fait des études et où notre cerveau est perpétuellement en train d’engranger de l’information. On passe alors par ce pic d’intelligence où nos connexions neuronales foisonnent et carburent H24. Mais depuis, c’est le déclin ^^. Maintenant, je tente de placer “cellule souche hématopoïétique” au Time's Up, en souvenir 😅

La thèse de Noémie en 2012
Même le résumé est cryptique !!!


 

 

Comment passe-t-on d'une thèse en biologie à “La Science, CQFD” ?

Ah ça… Ma thèse s’est humainement très mal passée. C’était clairement un enfer, j’ai vraiment subi chaque instant et je n’ai tenu que parce que je savais que ça allait avoir une fin. Je le dénonce aujourd’hui, car ça arrive vraiment plus souvent qu’on ne le croit. Je le savais déjà avant, mais j’en ai pris pleinement conscience au moment où j’ai préparé cette émission (Thèse, le début de la fin ?), et après avoir découvert ce livre (Comment l'université broie les jeunes chercheurs - Adèle B. Combes, 2022). Je passe sur les détails sinon cette interview ferait 30 pages, mais le plus beau jour de ma vie a été le jour de ma soutenance. J’étais enfin en face de personnes (le jury) qui s’intéressaient vraiment au travail que j’avais fourni durant toutes ces années, et ce, de manière bienveillante. J’ai pris conscience d’un tout autre univers l’espace de ces quelques heures et le souvenir que j’ai de cette discussion est littéralement “incroyable”, en bien. Jamais je n’aurai pensé que les résultats que j’avais obtenus auraient pu donner lieu à tant de questionnements sympathiques. Il n’en reste pas moins qu’en sortant de doctorat, et comme beaucoup de jeunes docteurs, j’avais le syndrome de l’imposteur et cette impression de ne rien savoir faire d’autre que disséquer des placentas de souris (ça, c’était pleinement maîtrisé en revanche…). Je n’avais aucune envie de continuer dans la recherche. J’ai donc enchaîné avec un an d’étude au CNAM en cours du soir pour avoir un diplôme en communication. Finalement, comme j’avais un diplôme scientifique et un diplôme de communication, j’ai voulu mixer les deux.

En termes d’expérience professionnelle, j’ai eu plusieurs vies avant la radio. Déjà pendant ma thèse, je m’étais pas mal investie dans l’association des doctorants de ma fac, en particulier dans le festival “Les chercheurs font leur cinéma”, que j’ai porté deux ans et qui existe toujours. Post-thèse, j’ai fait quelques ateliers d’initiation aux sciences dans les maternelles et primaires. Je suis ensuite passée par le Palais de la Découverte, où j’ai pu rencontrer le public en tant que médiatrice : je faisais des conférences et des visites guidées aux groupes scolaires et visiteurs du musée sur différentes thématiques scientifiques (en biologie !). J’ai bossé au CNRS ensuite où là, j’avais carte blanche pour faire de l’événementiel et faire valoir le travail des laboratoires auprès du grand public, mais aussi dans les hôpitaux et les prisons (deux endroits où les gens ne peuvent pas sortir, donc j’apportais la science à eux). J’ai aussi pas mal participé à la renaissance de “C’est pas Sorcier” sur le web avec Fred. C’est la plateforme numérique lespritsorcier.org, où figure toujours la rubrique, “Zap’in sciences” (https://lespritsorcier.org/zapin-sciences/), avec de petites vidéos hebdomadaires que j’ai préparées et écrites à l’époque. Puis, j’ai eu vent grâce à une amie de thèse (merci Muriel si tu lis ça un jour !) qu’une émission scientifique se montait à la radio. J’ai donc démissionné de partout et j’ai pris le train au démarrage !
 
 

 


À force de voir passer tant de scientifiques, regrettes-tu parfois, un instant, d'avoir bifurqué ?

Pas un seul instant. Il faut bien sûr des chercheurs ! Mais ce n’est vraiment pas pour moi. Je préfère de loin transmettre les sciences que participer à les concevoir. Je trouve ça bien plus riche, moins routinier, moins frustrant, moins compétitif, plus concret, plus humain. Bref, tout est mieux, de mon point de vue en tout cas, en vivant les choses depuis l’extérieur. Mon cerveau est très content d’apprendre, et je suis très contente de participer à produire une émission qui permet d’instruire les auditeurs avec ce que j’ai compris. J’aime cette émulation quotidienne, qui va donc dans les deux sens et c’est ça qui est super : j’ingurgite de l’information tous les jours, et j’aime à me dire que je participe à rendre les gens un peu moins bêtes aussi (dans le bon sens du terme !).

J’ai envie de dire que l’aventure de La Méthode scientifique c’est vraiment l’Aventure incroyable de ma vie avec un grand A, tant d’un point de vue professionnel qu’humain. Un de ces trucs que tu ne vis qu’une fois, parce que tu es là au bon moment au bon endroit, que tu te sens vraiment à ta place. Un de ces rares trucs dont tu te souviens toute ta vie avec grande nostalgie.

 


Premier jour à Radio France

Tu es arrivée en 2016 dans l'équipe, comment ont évolué tes fonctions, ta place dans l'équipe ?

Quand je suis arrivée à France Culture, je me demandais vraiment pourquoi on m’avait embauchée, encore un peu traumatisée de ma thèse probablement ^^, j’avais peur de me lancer dans la préparation d’émissions qui ne portaient pas sur un sujet de biologie, en me disant que je n’y arriverais pas. Mais finalement… j’y suis allée. Et aujourd’hui, je préfère justement préparer des émissions qui ne sont pas sur la biologie :). J’ai découvert les autres disciplines, je crois que je préfère d’ailleurs l’astronomie… je ne comprenais rien à l’univers, pour moi le Big-Bang et la naissance de la Terre c’était la même chose. On en était à peu près là ^^, mais en fait, le fonctionnement des étoiles, des trous noirs, les missions spatiales en cours et à venir, le prochain retour sur la Lune, etc. : tout est vraiment incroyable. Dans un autre registre, je me suis aussi surprise récemment à adorer défricher un sujet de physique quantique… comme quoi, tout arrive ! Mais rassure-toi, pareil que pour ma thèse, quand je relis une fiche deux semaines après l’avoir écrite, je ne comprends plus rien du tout ^^.

En termes de compétence de préparation, bien sûr on a tous évolué, et ce n’est pas dommage ! Honnêtement, c’est le jour et la nuit. D’ailleurs, les fois où on reprend nos préparations d’émissions de 2016 et qu’on les relit dans l’optique de s’en inspirer pour préparer une émission plus actuelle … et ben… on ne reprend absolument rien du tout 😂 et on est vraiment unanimes sur le fait qu’on se demande tous comment Nicolas Martin a fait pour faire une émission d’une heure avec… aussi peu d’informations !

 

La science, c'est bien, mais la SF, c'est mieux ! L'émission a toujours fait une place à l'imaginaire. En lis-tu ? Est-ce toi qui prépares les dossiers ? Est-ce toi qui a préparé celle sur Robert Charles Wilson, mon auteur préféré ?

Oui c’est moi ;) J’adore, mais vraiment j’adore, préparer les émissions de SF. Je ne sais pas pourquoi hein parce que je n’ai quasiment jamais rien vu ni lu, mais j’aime beaucoup les préparer. Maintenant, je connais tout un tas de noms d’auteurs, de livres, de films et de séries à regarder. Et il n’y a probablement pas assez d’une vie entière pour s’en sortir !

En route pour les Utopiales 2019
   

 

Sur ton CV, je vois que tu intitules ton poste dans l'émission "distributrice de connaissances". Je trouve cela joli, peux-tu nous expliquer le fondement de cet intitulé ?


Bien vu ;) Ça vient du temps où je m’interrogeais sur moi et où je cherchais ce que j’aimais faire (enfin, rassurons-nous, je me cherche toujours, mais aujourd’hui un peu moins qu’hier !). C’était pendant ma thèse, peut-être même dès la 1ère année. Je savais bien que je ne voulais pas continuer là-dedans. Et la fac proposait une formation qui m’a beaucoup aidé, une espèce de gros brainstorming personnel, sur ce que chacun aimait faire ou ne pas faire, les caractéristiques du métier “parfait”, les différents chemins possibles post-thèses en fonction des affinités de chacun, etc. Une sorte de réflexion solo en somme, mais aussi collective, sur un temps long (quelques jours) et sur de nombreux aspects. À la sortie de cette formation, chacun est reparti avec un intitulé de “métier”, une direction à prendre a priori pour la vie future. Et moi, c’était celui-là. C’est une assez jolie histoire rétrospectivement, parce qu’il se trouve que ça correspond vraiment exactement à ce que je fais aujourd’hui.

 

L'année dernière, nous avons eu la chance de t'entendre lors de quelques reportages de l'émission. Il ne me semble pas que l'expérience ait duré longtemps, pourquoi ? Tu préfères rester dans l'ombre ?

Oui, j’ai fait ça quelques fois l’an dernier ! J’ai pu le faire parce que Céline Loozen, qui est loin de passer sa vie à Saclay (tu pourras l’interroger là-dessus !), s’était absentée quelques semaines. Une partie des reportages à enregistrer s’est donc reportée sur moi pendant cette période. Et j’ai pu me prêter à l’exercice.

Comment ça marche ? On commence par programmer un thème d’émission à venir, et là, branle-bas de combat, car il faut ensuite : trouver un chercheur pertinent à contacter, qui a une manip pertinente à montrer, attendre son retour, espérer que ça colle parce que sinon on doit trouver un plan B, prendre RDV avec cette personne, préparer le reportage et son déroulé, et y aller pour l’enregistrer. Ensuite il faut revenir à la radio et monter le son (tout l’art de l’enregistrement consiste à ne prendre “que” 20 mn max de son, car le reportage final ne doit pas dépasser 6 mn environ).

Honnêtement dans ce process, les parties qui m'intéressent et que j’adore faire, c’est à partir de “préparer le reportage”. Ça, c’est vraiment chouette. Mais toutes les étapes en amont me collent de l’eczéma et un stress pas possible ! Parce qu’il n’y a jamais qu’un seul reportage à caler en plus. Les échéances sont là. Le timing est super serré vu qu’on est dans une quotidienne. Alors pour répondre à ta question : non, ce n’est pas que j’aime absolument rester dans l’ombre. C’est que 1 : si je continuais à faire des reportages, ce serait en plus de mon travail actuel, et ça commencerait à faire vraiment beaucoup. Et 2 : même si j’avais le temps, je ne pourrai pas faire ça toute l’année, ça me stresse beaucoup trop ! Mais Céline le fait magnifiquement bien, l’occasion pour toi de lui demander ses secrets peut-être :)

En compagnie de Céline Loozen


Nicolas Martin a sorti récemment un livre “La naissance du savoir”. Toi qui as interviewé de nombreux scientifiques, as-tu une hypothèse sur la réponse ?
Je ne suis pas certaine d’avoir une réponse à cette question en 3 lignes. La preuve : Nicolas en a fait un livre entier ! Une hypothèse sur la naissance me semble donc assez ambitieuse en un paragraphe. En revanche sur l’acquisition du savoir, ce que je peux dire simplement c’est que tout comme on sait que “la chance ne sourit qu’aux esprits préparés”, je pense que la connaissance ne rejoint que les esprits curieux. C’est le cas de tous les membres de cette équipe, et c’est surtout le cas de tous nos auditeurs, qu’on ne remerciera jamais assez, car c’est pour eux qu’on fait tout ça (et un peu pour nous aussi ^^) !

 


60.000 abonnés sur Twitter, cela ressemble à un beau succès. Les réseaux sociaux sont souvent critiqués, mais j'ai l'impression que nous pouvons y trouver aussi beaucoup de choses positives. Qu'en penses-tu ?

C’est gentil ! C’est sûr qu’au départ, personne ne pensait que ça allait aussi bien fonctionner. Je me rappelle que j’avais même insisté pour qu’on crée un compte, en essayant de persuader l’équipe que c’était une bonne idée. Apparemment, j’avais raison ;) Ça a demandé un peu de briefing interne, parce que depuis le début et pour chaque émission, je demande à ce qu’on ajoute des tweets déjà tout faits sur les préparations, comme ça je n’ai plus qu’à faire copier/coller au moment du live tweet . Et même si je ne sais pas combien de personnes lisent effectivement ce qu’on poste, les gens nous suivent donc ça me semble être un bon indice d’intérêt… D’autant que l’idée des threads qui sont faits chaque jour est venue de la sphère twitter elle-même (les premières années, je faisais seulement des tweets isolés). Certains s’amusent même à nous faire des bingo de l’émission et d’autres des concours du meilleur titre ;)

Concernant ce qu’on peut trouver sur Twitter (je sais qu’il faut dire X, mais personne n’arrive à s’y faire !), j’avoue que je ne m’en sers pas pour autre chose que pour me tenir au courant de ce qui se passe dans le domaine scientifique. Et pourvu que l’on suive les bonnes personnes, on a de bonnes informations et on découvre même de bons univers. De ce point de vue là, et en faisant abstraction de toutes les mauvaises choses qu’on peut y trouver par ailleurs, oui Twitter est chouette ;)

Bingo créé par un auditeur de l'émission

 


Depuis l'arrivée d'Elon Musk à la tête de Twitter, nous assistons à des vagues régulières d'exil de ses membres. Comment se dessine l'avenir du compte de La science CQFD ?

Honnêtement, je ne sais pas. Mais ce qui est sûr, c’est que, tant qu’il n’y aura pas un autre endroit où aller, qui soit aussi bien suivi par ceux qui nous suivent aujourd’hui sur Twitter, il n’y a aucune raison qu’on bouge. Cependant, on a quand même bien noté que l’ambiance n’est plus la même… ne serait-ce qu’en remarquant qu’au lieu de prendre environ 1000 abonnés par mois, on vient d’en prendre le même nombre en un an…

 


À l'écoute de “La Science, CQFD”, l'auditeur est surpris par l'aisance des entretiens. Cette simplicité cache un travail en amont auquel tu participes activement. Il y a deux ans, tu disais préparer deux dossiers par semaine. Est-ce toujours le cas et peux-tu nous dire le but de cette préparation ?

Oui, c’est toujours ça. On essaie de tourner ceci dit, pour que ce ne soit pas toujours la même personne qui ait deux fiches à faire par semaine. On a certaines périodes de rushs malgré tout, pendant lesquelles on ne peut pas alterner. Pendant les deux premiers mois de l’année, j’ai tourné à 2 fiches par semaine toutes les semaines par exemple, ce qui fait du 48h environ pour préparer une fiche. Ce n’est pas beaucoup… Certaines thématiques peuvent se préparer plutôt rapidement, mais honnêtement, les trous blancs en 48h par exemple, c’était assez chaud ^^

Le but ultime de cette préparation est de donner suffisamment de billes à Natacha pour qu’elle puisse converser une heure avec deux invités qui, eux, travaillent depuis 10-20-30 ans sur le sujet du jour, alors qu’elle-même n’y connaissait quasiment rien le matin même. Peut-être qu’elle se servira de tout, peut-être que non. En tout cas, si l’illusion est là, que les invités sont contents et qu’en plus, elle ressort contente et enrichie par la discussion qui a eu lieu, alors on a tout gagné.


 

Comment décidez-vous des thématiques que vous allez aborder ?

Ça se fait une fois par semaine, le lundi en général. En gros, on débriefe de ce qu’on a lu, des articles scientifiques (vulgarisés ou non) qu’on a vu passer, des événements qui arrivent bientôt, des sorties de livres ou films à venir, et on en discute pour savoir si tel sujet peut tenir une heure ou pas ; s’il ne peut pas tenir une heure et qu’il est quand même intéressant, on discute de comment élargir le thème pour que ça puisse tenir une heure malgré tout. En tout cas, pour chaque choix de sujet, on s’appuie sur une actualité relativement récente que l’un d’entre nous a vu passer.

Souvent, on a des sujets qu’on veut faire passer et qu’on remet sur le tapis toutes les semaines. Petite fierté personnelle : j’ai proposé régulièrement et depuis 8 ans de faire une émission Code Quantum en SF, mais même avec l’annonce du reboot en 2022 je n’avais pas réussi. Cette année, j’ai enfin eu gain de cause ! Comme quoi, la patience et l’obstination finissent toujours par payer :). Mon nouveau combat, c’est le repositionnement des médicaments. À suivre.

En tout cas, tous les thèmes qu’on choisit sont récapitulés sur un tableau à 4 lignes (pour 4 semaines) et 4 colonnes (du lundi au jeudi). On a donc tout le temps une visibilité de thèmes sur 4 semaines. Mais on est jamais à l’abri de devoir casser la programmation du jour pour le lendemain en cas d'événement exceptionnel. Par exemple cette année : la mort d’Hubert Reeves ou Peter Higgs. Dans ces cas-là, on annule au dernier moment l’émission qu’on avait prévu de faire, et on la décale à plus tard.

L'équipe en 2019, avec une pièce rapportée

 

Comment sont répartis les sujets entre vous ?

C’est vraiment au feeling, on essaie d’être juste et de nous laisser choisir ce qu’on aime faire, en laissant aux autres ce qu’on n’aime pas faire. En général, ça marche assez bien et on ne se “dévoue” que très rarement pour une émission qu’on n’aurait en fait pas envie de préparer.

 


Place maintenant à ta veille, quels sont les outils que tu utilises, ta méthode pour traiter le sujet ? Es-tu secondée par une documentaliste ?

Il y a un service de documentation à RadioFrance oui, mais personnellement je ne l’utilise que rarement. Je me rends compte que c’est difficile d’expliquer les étapes que je suis quand j’ai une émission à préparer en fait ^^ Côté veille, je m’appuie quasi entièrement sur des articles vulgarisés, des dossiers ou rapports que je trouve sur le web, ou encore des intros de thèses / mémoires sur la thématique à traiter. Parfois sur des livres qui traitent du sujet aussi. Et beaucoup sur des vidéos, conférences, TedX, interviews ou autres interventions orales qui peuvent m’expliquer le schmilblick d’une manière ou d’une autre. Ce sont d’ailleurs tous ces liens-là que je tweete pendant l’émission concernée. En ce qui concerne les émissions de SF, je m’appuie beaucoup sur des essais/mémoires, des livres et surtout sur des critiques et des pages de blogs qui me racontent tout en résumé condensé sans que j’aie besoin de lire tous les livres ou de voir forcément les films !

 


Tu prépares donc une synthèse d'une dizaine de pages. Cet exercice est déjà difficile lorsque l'on connaît le sujet, cela doit ressembler à l'ascension de l'Everest pour les thématiques inconnues ou pointues. Quelle est ta recette magique ?

Une fois que j’ai à peu près rassemblé un condensé de liens URL sur lesquels je peux m’appuyer, je commence la fiche. Nan. En fait, je crois que je fais les deux en parallèle, en même temps. Je lis des trucs, et quand ça me plaît et qu’il y a un contenu scientifique sympa, je l’ajoute.

Au fur et à mesure, certaines problématiques se dégagent. Il y a d’ailleurs une partie “Problématiques” dans cette fiche, qui reprend tout ce qu’elle contient, mais sous forme de questions écrites dans l’ordre du plan auquel on a pensé pour l’émission.

Côté organisation, hm, je ne sais pas trop comment je m’y prends en fait. Je crois que j’écris et que j’organise cette fiche vraiment comme si c’était moi qui allais devoir prendre l’antenne. À la fin, le plan de la fiche peut clairement constituer le plan d’une heure d’émission.

Une fois tout ça finit, il ne reste plus qu’à compléter avec la partie des interviews des 2 invités (parfois un seul, et parfois trois).

 


J'imagine qu'une fois ce travail fait, quelques noms commencent à se dégager, comment choisissez-vous vos invités ? Comment se passe la prise de contact ? Nicolas Martin me disait porter une attention particulière à la mixité, pas trop dur ? (dans cette interview en 2019)

Alors en fait… le choix des invités magiques, c’est un boulot à part entière et à plein temps ! Et ce n’est pas moi qui le fais (c’est Eve Etienne). Quand je commence une fiche, les invités sont déjà choisis et les RDV téléphoniques déjà pris. À chaque fois, ils sont absolument parfaitement choisis. Ça m'aide d’ailleurs beaucoup de les connaître en amont du démarrage d’une fiche, surtout pour les sujets un peu difficiles, car ça me permet de m’appuyer aussi sur leur travail pour concevoir l’émission.

Pour ce qui est de la mixité, on essaie bien sûr de s’y tenir, mais ce n’est pas toujours facile !

 


Une interview est ensuite réalisée en amont de l'émission avec les invités, quel est son but ?

Ces conversations au téléphone permettent en fait de finir de préparer l’émission. Elles ont lieu idéalement l’avant-veille du jour J. À quoi servent-elles ? Et bien par exemple, parfois il reste encore des questions sans réponse que je n’ai pas réussi à trouver de moi-même, et c’est l’occasion d’en savoir plus directement en discutant avec des spécialistes du sujet. Parfois, j’ai aussi besoin de mieux comprendre ce sur quoi travaillent plus précisément. Il arrive aussi qu’ils aient envie de dire telle ou telle chose, de faire passer certains messages ou d’insister sur tel ou tel point, et ils me le disent aussi. À noter aussi que rarement (mais ça arrive quand même), ils ne savent absolument pas vulgariser et on s’en rend compte au téléphone ; on en parle alors en équipe et on ajuste alors le plateau en fonction au mieux.

Pour en revenir à cette fameuse fiche, à la toute fin, on arrive donc plutôt à 15 pages que 10. C’est parfois dur d’en rester là, surtout quand il y a 3 invités. Ça peut monter à 17, mais on essaie de se tenir à 15 sinon, ça fait trop de pages à lire pour Natacha et elle râle (gentiment !) ^^

 


Au final, une émission d'une heure t'a pris combien de temps ? Entre le choix du sujet et sa diffusion sur les ondes, combien se sont passés de jours ?

Entre le choix du sujet et l’émission en elle-même, il se passe toujours 4 semaines. En revanche, pour la préparation d’une fiche, on est sur du 3 jours pleins en général, ce qui est assez peu mine de rien quand on pense que le sujet est totalement inconnu au départ ! Ce qui est vraiment intéressant, c’est que souvent on conçoit des émissions un peu niches, on les élabore vraiment complètement et on les “modèle” un peu comme on a envie. In fine, elles ressemblent donc à ce qu’on avait envie qu’elles soient, et c’est très gratifiant.

 

 
Interview de l'équipe en 2021,
à propos des titres des émissions
 
Dans toute cette somme de travail, il faut savoir se détendre, qui est représenté par les titres, un des marqueurs de l'émission. Peux-tu nous décrire comment se passe ce moment de cogitation collective ?

Franchement, on rigole bien à ce moment-là, mais c’est très difficile à décrire. On part du mot du thème de l’émission, et là on tente des jeux de mots à n’en plus finir jusqu’à trouver la perle rare. On n’y arrive pas toujours, mais quand c’est le cas, elle apparaît clairement comme une évidence et on pousse tous des “ahhhhhh” et des “ohhhhhh” tous en coeur, comme une vieille bande de colocataires dégénérés que l’on est ^^. On essaie de garder ces titres un peu bancals, car c’est un peu devenu notre “marque de fabrique”. On se prend une remarque de temps en temps par la direction, car nos titres ne sont parfois que des jeux de mots sans fond ^^ On se remet donc dans les rangs, mais on sait qu’on finira malgré nous par s’en ré-éloigner !

 


Cette année, “La Science, CQFD” n'est plus diffusée sur 4 jours (message subliminal, c'est honteux). Pour éviter la révolte des petits puits de science, une nouvelle émission a vu le jour : “Sciences chrono”, tenue par Antoine Beauchamp. Quel est ton rôle dans cette aventure ?

Aucun ;) Il fait tout tout seul 💪 Au début de l’année, j’ai préparé quelques émissions, mais ça me faisait trop d’émissions à préparer par semaine au total, et tenir ce rythme sur la durée n’était pas possible pour moi.
 

Pas de travail le vendredi, deux mois de vacances en été, vous êtes de vrais fonctionnaires ! - question subsidiaire, quel est ton statut pro ? Loin de moi l'idée de croire que tu ne travailles pas durant ces moments, que fais-tu durant ces pauses radiophoniques ?

Alors, il n’y a pas d’émission le vendredi certes, mais il n’en reste pas moins qu’on travaille quand même comme un jour normal ! On est seulement 3 pour préparer 4 émissions par semaine donc en 4 jours ce serait impossible ! Et pour répondre à ta question sur le statut, je suis en CDI depuis presque 2 ans maintenant, après 6 ans d’intermittence :)

Un certain Nicolas Martin voulait te poser une question : "C'est qui ton préféré dans l'équipe maintenant que je suis parti ?"



Ahah, depuis, on a fusionné je crois ! Impossible de répondre autrement. On est devenu une sorte d’entité à 8 personnes. Ça peut être le début d’un nouveau scénario d’horreur pour Nicolas ^^ On a des running gags, des private joke que nous seuls pouvons comprendre. On finit certaines phrases des autres. On connaît par cœur les tic et les toc de chacun, et on en a même développé qu’on n’avait pas au départ (c’est l’enfer). Dès que quelqu’un dit quelque chose qui nous rappelle les paroles d’une chanson, on se met à la chanter (très faux en général). On fait des bruits bizarres assez régulièrement. Je crois que je vais m’arrêter là sinon les gens vont avoir peur. On va finir par devenir la plus longue coloc de l’histoire des colocs, si ce n’est déjà le cas ! C’est assez flippant cette histoire 😂

 

Nous avons une bonne connaissance de ton travail désormais, peux-tu nous parler des sujets, loisirs qui ont une place importante pour toi ?

L’été, il n’y a pas d’émission et on est tous loin de la radio. Pour ma part, j’essaie d’en profiter pour des moments en famille, mais aussi pour voyager un peu... L’an dernier, je suis partie en Sicile. Cet été, je vais à Bali en solo, en quête d’un peu d’émerveillement :) Et le reste de l’année je fais du yoga. À la base, c’était pour faire le pont et le poirier, mais ça c’était la théorie ! J’ai mis 6 mois à toucher mes pieds au final ^^ L’objectif initial revient donc peu à peu sur la table ;)

 


 



Un immense merci à Noémie d'avoir pris le temps de répondre à mes nombreuses questions.

 

Son compte twitter : https://twitter.com/Nnaguet

Le site de l'émission : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-science-cqfd

Le site de Sciences Chrono d'Antoine Beauchamp : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sciences-chrono

Le site de Avec sciences d'Alexandra Delbot : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-journal-des-sciences

 

Bonus de fin
La boisson préférée de Noémie ?
Le vin rouge qui tâche 😂 ! C'est Alexandra Delbot qui le dit. Source


2 commentaires:

  1. Merci à tous les 2. C'est vraiment très sympa de voir le côté obscur de l'émission. 😉
    Passionnant.

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