Hic Sunt Dracones

Southeast Jones,  The Bookmark Publisher, 2025, 401 p., 5€ epub sans DRM



Southeast Jones trace les cartes de mondes inconnus, et de nos propres ombres.


Pitch de l'éditeur : 


Et si certaines limites ne devaient jamais être franchies ?
Hic Sunt Dracones — “Ici sont les dragons” — désignait autrefois les zones inexplorées sur les cartes. Aujourd’hui, c’est aussi le titre d’un recueil aussi captivant qu’inquiétant, signé Southeast Jones, auteur belge passionné de littérature de l’imaginaire.
25 nouvelles de science-fiction et de fantastique, où chaque récit est une porte vers un ailleurs déroutant : une barrière invisible qui empêche l’humanité de quitter le système solaire; un monde lent que seuls certains peuvent percevoir, une guerre millénaire pour une querelle absurde, es réalités fragmentées où la logique humaine ne suffit plus.
À mi-chemin entre anticipation métaphysique, fables cosmiques et fantastique psychologique, ces textes s’adressent à tous ceux qui aiment les œuvres de Philip K. Dick, Ted Chiang, Clifford D. Simak ou les récits à la Black Mirror.

 

Mon ressenti :

Avec un titre pareil, Southeast Jones nous invite à longer des côtes inconnues, à franchir ces “ici vivent les dragons”, ces zones blanches où l’imaginaire est roi, une promesse d’expéditions en planètes étrangères, d’humanité poussée dans ses retranchements. Pari réussi ?

Le livre rassemble quelques textes inédits (ou du moins que je n’avais pas lu), mais surtout une très large majorité de rééditions parues ici et là, parfois revues et corrigées. Une préface de J.C. Gapdy ouvre l’ensemble, mais là où le bât blesse, c’est l’absence de paratexte : un mot sur les intentions de l’auteur, le contexte d’écriture aurait apporté une profondeur supplémentaire. Est-ce que l’auteur a voulu dire : mes histoires se suffisent à elles-mêmes ?

Un recueil SF, avec pointe de fantastique, satire, poésie noire… mais toujours avec une ligne directrice : l’humain, ses grandeurs rarement et surtout ses failles. Avec cette conclusion : l’avenir n’a pas fini de nous juger. L’auteur raconte l’altérité et sonde notre propre reflet. Lire Southeast Jones, c’est accepter de poser le doigt là où ça fait mal, l’altérité pour boussole, l’écriture comme carburant.

 

Nous n’irons pas dans les étoiles
Rien que le titre donne vie de lire cette nouvelle qui m'a fait penser par son ton mélancolique à la nouvelle Comment c'est là-haut ? de Edmond Hamilton. Le pitch : Un scientifique doit annoncer à ses collègues une triste nouvelle : nous n'irons pas dans les étoiles. Un court texte qui frappe juste et cette impression que chaque réponse ouvre dix nouvelles questions. Une pépite mélancolique qui joue plus sur le vertige que sur le spectaculaire. C’est beau.

Divergence d’opinion
Conte galactique à la lisière de la fantaisie, qui démonte l’absurdité des guerres de religion. Tout se joue sur un détail mortel. La chute, en une phrase, est d’une ironie délicieuse.

Monde lent
Et si la sénilité n’était pas un effondrement, mais une forme de clairvoyance ? On suit un vieil homme qui tente de communiquer avec ceux qui “ne voient pas encore”. L’idée est intéressante, même si le côté réincarnation m’a laissé sur le bord du chemin.

Noël lointain
Un Noël sur une planète étrangère : entre choc culturel et absurde. Les humains manipulent, les aliens manipulent peut-être encore mieux… et la chute renverse tout avec humour.

Notre-Dame des Opossums
Une expédition arrive sur une planète qui pourrait s'avérer être la Terre. L'auteur nous interroge sur nos agissements et les méfaits de notre soif de découverte. Un très bon texte.

Contrat
Faire affaire avec le diable : forcément tentant… jusqu’à la lecture des petites lettres en bas du contrat. Une petite friandise qui rappelle qu’avec toute éternité vient toujours avec la facture.

Grand-Veille
Autre temps, autre moeurs, la cérémonie des morts est festive désormais. Mais qu'est ce que la mort dans le futur ? Nous suivons deux jours d'une famille préparant la cérémonie.
J'ai beaucoup aimé ce texte qui joue avec les souvenirs du temps passé. Les us et coutumes se perdent, s'oublient ou prennent une autre tonalité, tel ces "sandwichs au chien avec de la moutarde" que mangeait les gens de notre époque. L'auteur réussit à nous perdre dans la vie quotidienne de ce futur incongru, et il perd ses personnages dans ce passé dont il ne reste quelques vestiges. Cette nouvelle a aussi un petit air de la série Westworld.

Anamnèse
Un homme est victime de malaises et de pertes de mémoires. Son quotidien devient de plus en plus halluciné et fragmenté. Je me demandais où voulait m'emmener l'auteur. Et bien précisément la ou je ne m'attendais pas.  Une belle réussite.

Barbares !
Exploration spatiale, colonisation, rencontre avec des intelligences autres. Et comme souvent, la guerre. Une nouvelle à chute que je n'ai pas vu arriver, car le texte était très martial me donnant des doutes sur l'intention de l'auteur. Doute balayé par la fin. Un texte assez sombre, mais réaliste avec quelques fulgurances à noter toutefois. Elle restera la plus marquante dans mon esprit. C’est ce texte, lu il y a quelques années pour la première fois qui m’a donné envie de poursuivre la découverte de l’auteur.

Le C.R.I.M. était presque parfait
Un scientifique enchaîne les inventions improbables, peut-être géniales, peut-être dangereuses. L’idée intrigue, le ton fonctionne, mais la nouvelle manque de véritable. Sympa, sans plus.

Rendez-vous à Cérès
Une chanson pirate les ondes depuis Cérès et devient un hit mondial. Une belle idée de pré-contact, parfois un peu didactique, mais dont l’optimisme final apporte une respiration bienvenue.

L’antre de la bête
Une histoire contée “à l’ancienne”, au coin du feu, entre horreur feutrée et ambiance rétro. Ça fonctionne très bien. Une nouvelle horrifique au goût de jadis qui fait son effet 

Début de semaine
Mini-nouvelle: le monde peut basculer d’un bouton, mais parfois pas comme prévu. Percutant et efficace.

Les enfants de nos enfants
Projection douce-amère sur l’avenir de l’humanité. Simple et sensible.

Mon dragon et moi
Malgré le titre, pas de fantasy ici, mais un space-opera : un pirate de l'espace doit se charger de livrer un bien étrange colis. Nous rencontrons ici une espèce d'aliens bienveillants qui vont croiser la route d'une espèce belliqueuse, l'homme. Un sujet sombre pour un texte empreint d'une profonde nostalgie et empathie.

Question de foi
Ils sont là. Nous ne sommes désormais plus seul dans l'univers. Les ET ont opté pour le pape comme ambassadeur et leurs révélations va causer quelques soucis à notre souverain pontife. Ce texte pourrait être une variante d'une des lois de Clarke : Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de Dieu. Un très bon texte qui répond, permettait du peu, à la question du « pourquoi je vis, pourquoi je meurs ? » Avec une belle touche d'amertume finale

Trip
Cyberpunk sous psychotropes high-tech : les accros vont adorer la fin, les prudents beaucoup moins. Entre délire et mise en garde technologique.

Jonas
Cabaret interlope, ogre de l’espace, ambiance surannée et personnages de marginaux. L’auteur prend son temps pour poser un décor, une atmosphère et un charme très particulier. Si vous aimez, n'hésitez pas à lire le roman Le Paradoxe Béranger, dont cette nouvelle fut le début…

Émancipation
Un individu, agoraphobe, est retiré dans sa demeure isolée. Il y vit sa retraite au calme, jusqu'au jour où des gamins s'amusent à tambouriner à sa porte. Une fin qu'on pense voir venir de loin. mais non, l'auteur nous prend à rebrousse poil.

Le temps des moissons
Le titre m'a fait de suite penser au roman Le Vaisseau des voyageurs de Wilson dont le titre original est The harvest, la moisson. Ici, pas d'alien mais un ersatz d’épidémie zombie, le SRI. Pourquoi comment et pourquoi ? Face à l'étrangeté et l'incompréhension, l'homme étudie, même si sa science devient synonyme de torture. Alors pourquoi pas les autres ? Comme Wilson, un texte très humain sur nos travers

Une journée ordinaire
Il peut se passer des choses en un siècle. Comme l'arrivée de la peste brune. Une courte tranche de vie dans une France marine. Ici, l’humour pince sans rire de l’auteur cède la place à un désespoir glacé. Un texte court, mais qui mord fort.

Dernière maison avant le Paradis
Un reclus vit dans un coin perdu avec sa chienne, une petite vie tranquille à tenter de digérer le décès de sa femme. Un jour cependant, alors que la fournaise bat son plein, un étranger frappe à la porte. Bien aimé ce texte irrévérencieux envers le Tout puissant. Nous n'avons qu'une vie, alors autant en profiter tant qu'elle est présente, l'après n'est jamais certain. Un texte mélancolique et doux-amer sur l’attente et ce qu’il reste après une vie.

Le temps du repos
Le dernier de son espèce. Futur, proche ou éloigné, le monde se meurt et va disparaitre, voici les dernières pensées du dernier homme. Si nous ne voulons pas que ce futur advienne, reste à se retrousser les manches bien hauts. A mettre en parallèle avec le texte Contrat.

Mina
Incident spatial, pilote échouée, chatte familière et IA. Une SF pimentée de magie, avec une chute qui rebat les cartes du réel. Un texte nostalgique, avec une bonne dose de légèreté. Voilà du Belge, dans toute sa splendeur.

Rétrocession
Un vieux loup de mer s'entretient, monologue plutôt, avec un jeune qui va faire son premier voyage. On passe de la mer à d'autres espaces. Un texte qui explore l'imaginaire du navigateur avec beaucoup de charme.

Épilogue
Une vieille bande d'amis fête la quatorzième fin du monde dans l'insouciance. Mais la vraie fin du monde est parfois en retard. Une note finale malicieuse qui boucle joliment le recueil.

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