Tumatxa ! Alex Jestaire - Les Contes du Soleil Noir

janvier 31, 2018

Xiberoko Botza, Tumatxa , 2018, 2h30, podcast


Mercredi 24 janvier 2018, l’émission Tumatxa sur la radio basque Xiberoko Botza (la Voix de la Soule) revenait sur le parcours d'Alex Jestaire. L'occasion d'en apprendre plus sur le travail d'adaptateur, ses premiers romans et peut être éventuellement une suite à ces fameux Contes du soleil noir.


Présentation :

Chose promise, chose due ! Nous recevons Alex Jestaire, auteur du grand cycle des “Contes du Soleil Noir”, dont les 5 premiers volumes tous parus en 2017 (“Crash”, “Arbre”, “Invisible”, “Audit” et “Esclave”) constituent en quelque sorte la première saison.
On en profitera pour revenir sur “Tourville”, le phénoménal premier roman de l’auteur, entre autres choses…
Tumatxa est l'émission de radio qu'anime le chroniqueur Photonik chaque semaine depuis une dizaine d'années sur la radio bascophone Xiberoko Botza (la voix de la Soule). Il y cause musique, cinéma (beaucoup), littérature, BD ou philo, parfois en solo, souvent avec son acolyte ; l'excellent Thomas.

http://www.xiberokobotza.org/artikulu/133
Le lien de téléchargement direct en fin de billet

Mon ressenti :


Un long entretien sous forme de conversation, l'occasion d'en apprendre plus sur Alex Jestaire, sa vie, son oeuvre.
J'ai aimé e ton mode discussion, l'auteur s'y livre sans prétention, dévie parfois des questions nous permettant de mieux cerner sa personnalité et surtout ce qu'il a voulu transmettre dans ses écrits. Deleuze est un auteur important à ses yeux, mais aussi Nietzsche, Stephen King, Bret Easton Ellis ou encore Grant Morrison. Sur certaines interprétations qu'on pourrait prêter à ces écrits, il répond humblement que non, il n'avait pas vu cela, un auteur qui ne s'installe pas sur un piédestal.
Du fait de son parcours, on pourra piocher ou découvrir des œuvres cinématographiques. On passe de de la Culture à la culture. Bref, les deux heures passent vite.
Le présentateur a parfois la comparaison un peu trop élogieuse, mais il connait bien les écrits de Jestaire, donc des questions pertinentes. Et pour l'anecdote,  Luxe calme et volupté vient de L'invitation au Voyage de Baudelaire ! (je ne ramène pas ma Culture, c'est grâce à Ferré que je connais !)

Du travail d'adaptateur.
Après l'abandon de son mémoire de master L'alchimie dans l'oeuvre de Clive Barker, Alex Jestaire se fait les dents sur l'adaptation de dialogues de films : c'est lui qui vous permet de pouvoir regarder les films étrangers en VF. Instructif, Alex revient sur ce travail pas forcément toujours enrichissant : travail à la chaine, paye de misère, nanars qui vous pèsent sur votre état d'esprit. Il partage avec nous une anecdote assez tragique : un collègue débutant travaillait 8 heures par jour sur des hentaïs, et le soir lorsqu'il rentrait dans son foyer, ses deux petites filles lui demandait de parlait de son travail sur les dessins animés. Déstabilisant.
Il avait accordé il y a quelques années une interview à Nanarland sur ce boulot

Du cassoulet gascon littéraire,
Premier roman, premier pavé qui tient aux tripes comme le cassoulet, voici Tourville, une ville du nord de la France dont le narrateur revient après un passage comme intermittent à Paris. La fin du monde n'est pas loin. C'est grâce à Philippe Mandilas, dit Mandy, illustrateur de romans SF en son temps, qu'il entre comme auteur chez Le diable Vauvert. Alex Jestaire dit avoir voulu en faire une sorte de Frères Karamazov de banlieue. 
Elysée Noire 666 :
Ce roman appartient au cycle de polar Mona Cabriole édité chez La Tengo: un livre, un auteur, un arrondissement parisien. Une histoire se déroulant le jour où les Mayas pensait voir venir la fin du monde.

Aux sushis japonais
De Tourville, beaucoup de lecteurs se sont plein de la longueur, Alex Jestaire les prend ici à contrepied avec ses contes du Soleil noir, cinq textes d'une centaine de pages.
A l'origine, c'était le projet, avorté, d'une série télé. L'auteur voit les contes comme plusieurs cycles ayant chacun plusieurs saisons. Reste à savoir si les éditeurs et les lecteurs suivront. La forme pourrait changer aussi : un livre contenant les quelques épisodes à venir.

Et au fantastique politique
Chaque texte peut se lire de manière indépendante, emprunte Aux contes de la crypte comme à X-Files. L'originalité vient du fait que Alex Jestaire parle du social, assez rare dans le fantastique. Les contes sont parfois assez obscurs, l'entretien est l'occasion d'en apprendre beaucoup plus sur les intentions de l'auteur, comment les lecteurs s'en sont emparés.
A ma lecture des contes, je m'étais apperçu que l'histoire était bourré de références, j'étais loin du compte. Un émission indispensable à tous ceux qui ont lu ou veulent lire Les contes.

Seul bémol, l'entretien étant téléphonique, les tympans souffrent parfois rudement.

Ça se passe ici : téléchargement de l'émission
L'ensemble des émissions est en téléchargement libre, pas de logiciel nécessaire, pas d'inscription, sur le drive. Celle sur Alex Jestaire est le fichier 2018.01.24.mp3

Pour aller plus loin, Alex Jestaire a accordé un petit entretien à ActuSF sur ces projets à venir

Ce que j'ai lu de l'auteur

Le dernier apprenti sorcier, tome 1 : Les rivières de Londres

janvier 29, 2018
 

Ben Aaronovitch, J'ai lu, 2014, 413 p., 8€ papier

Plaisant, mais long.

 

Présentation de l'éditeur :


L'agent Peter Grant ne croyait pas aux fantômes, jusqu'au jour où un étrange personnage lui affirme avoir assisté au meurtre sur lequel il enquête. Un témoin providentiel... s'il n'était mort depuis plus d'un siècle ! Et Peter n'est pas au bout de ses surprises : recruté par l'inspecteur Nightingale, il intègre l'unité de la police londonienne chargée des affaires surnaturelles. Au programme, traquer vampires. sorcières et autres créatures de la nuit ; maintenir la paix entre les forces occultes de Londres ; tenir à distance les divinités trop entreprenantes ; et bien sûr apprendre le latin, le grec ancien et une montagne d'incantations bizarres et pour le moins rébarbatives. Peter doit en passer par là, s'il veut un jour devenir à son tour le dernier sorcier de Londres... 

Mon ressenti :  

Un jeune policier va découvrir le vrai visage de Londres suite à une enquête sur une décapitation. Les rivières de Londres, c'est un humour pince sans rire, une pointe de critique sociale, un soupçon de fantasy et une pincée de roman policier. Une recette éprouvée mais qui marche toujours, avant que la lassitude ne se fasse ressentir.
Son principal défaut est d'être une série, les personnages, la magie sont juste esquissées, il faut savoir en garder sous la semelle pour les autres volumes : Les personnages sont brossés trop rapidement, la relation maitre-apprenti à peine esquissée. Et moi, ça me frustre. L'intrigue principale m'a plu, mais la secondaire, sur les fleuves et rivières de Londres m'a laissé sceptique et dubitatif. Ajoutez à cela quelques astuces dures à avaler : l'apprenti qui ne s’étonne que très peu de la nouvelle réalité qui s'ouvre à lui, une histoire qui passe de rebondissements en rebondissements de plus en plus invraisemblables. Le tout sans véritables anicroches, le livre se déroule de manière linéaire.

Beaucoup d'avis sur les ressemblances avec Harry Potter ou Dr Who. Moi ça m'a fait penser à Connie Willis et son Blitz. Nous sommes à Londres, l'auteur nous détaille certains monuments, places, rues et rivières et il y a beaucoup - trop ? - de dialogues.
Par contre, j'ai aimé le portrait que l'auteur dresse de la police britannique, épinglant quelques travers sans avoir l'air d'y toucher. Il prend souvent ses lecteurs au dépourvu, que ce soit dans les situations ou les personnages.
Bon point aussi que d'avoir choisi un duo pour qui la magie a une explication différente, le maitre pour qui peu importe comment cela fonctionne, il faut la maitriser, et le jeune qui tente de comprendre et d'en décrypter les mécanismes.

Au final, je sors frustré de cette lecture devant le peu d'éléments donné sur l'univers, bref la magie n'a pas opéré sur moi.

Lutin82 a "été agréablement surprise par cet excellent divertissement bourré d’humour british"
Mes imaginaires c'est souvenu de ses cours d'anglais : Let’s get started !
Et Nevertwhre, sans aller jusqu’à se jeter sur la suite, a trouvé ce roman plaisant


Quelques citations :


Quand je réfléchis à ça, je trouve utile de citer mon père, dont la sagesse n’a jamais été prise en défaut : « Pourquoi les choses arrivent ? Putain, comment tu veux savoir ? »

— Alors la magie, ça existe, dis-je. Vous… vous êtes quoi, au juste ?
— Un sorcier.
— Comme Harry Potter ? »
Nightingale soupira. « Non, pas comme Harry Potter.
— C’est quoi, la différence ?
— Je ne suis pas un personnage de fiction. »

L’ambulance arriva la première ; les auxiliaires médicaux se précipitèrent dans le jardin et passèrent vingt minutes à essayer vainement de réanimer le bébé. Ils réagissent toujours ainsi avec les enfants, sans se soucier des dégâts occasionnés à la scène de crime. Il n’y a pas moyen de leur faire entendre raison, alors autant les laisser faire.

Tout le monde aime parler de soi ; c’est un truisme. Neuf fois sur dix, les aveux obtenus par la police sont entièrement dus à l’instinct naturel de l’être humain à raconter sa vie à tout auditeur attentif, même si le récit comprend l’épisode où le narrateur en vient à tuer son partenaire de golf à coups de club. Mama Tamise n’était pas différente ; en fait, je pris conscience que les dieux avaient encore plus besoin de s’expliquer.

Les journaux sérieux avaient titré Folie en mai, ce qui sonnait un peu comme un thé dansant. La presse à scandale avait préféré adopter des manchettes du genreTerreur à Covent Garden. La télévision avait tourné quelques bonnes images de femmes d’âge moyen en robes longues en train de lancer des briques sur la police. Personne n’avait la moindre idée de ce qui avait bien pu se passer, et des experts avaient été mobilisés en force afin d’expliquer quel facteur sociopolitique — facteur qui faisait immanquablement l’objet du livre qu’ils venaient de publier — avait provoqué les troubles. Chacun y allait de son réquisitoire virulent contre la société moderne, mais tout ça restait très flou.

Blade runner

janvier 26, 2018
 

Fiction de Ridley Scott, 1982, 1h57



Daté, ennuyeux, métaphoireux, risible et longuet.

Synopsis :

Dans les dernières années du 20ème siècle, des milliers d'hommes et de femmes partent à la conquête de l'espace, fuyant les mégalopoles devenues insalubres. Sur les colonies, une nouvelle race d'esclaves voit le jour : les répliquants, des androïdes que rien ne peut distinguer de l'être humain. Los Angeles, 2019. Après avoir massacré un équipage et pris le contrôle d'un vaisseau, les répliquants de type Nexus 6, le modèle le plus perfectionné, sont désormais déclarés "hors la loi". Quatre d'entre eux parviennent cependant à s'échapper et à s'introduire dans Los Angeles. Un agent d'une unité spéciale, un blade-runner, est chargé de les éliminer. Selon la terminologie officielle, on ne parle pas d'exécution, mais de retrait...

Mon ressenti :


Adapté du roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick, le film a supplanté le livre dans bien des têtes. A tel point que le titre du film est devenu celui du roman. Notons toutefois qu'à sa sortie française en 1976, le roman s'intitulait Robot blues.
Denis Villeneuve en a fait une suite, Blade Runner 2049. Avant de le visionner, je voulais me rappeler du premier vu il y a pas mal d'années. Attention, Blade Runner 2049 fait suite au montage du film sortie en 1982. J'ai pour ma part regardé la version director's cut de 1992. Pour plus de détails sur les versions différentes de ce film, voir la fiche Wikipedia dédiée.



Alors, 36 ans après sa sortie cinéma, Blade Runner a t-il été victime de l'obsolescence programmée ?
Les films SF vieillissent souvent mal, la technologie les a souvent rattrapé, parfois dépassé. Ce film ne déroge pas à la règle. Les ordinateurs sont en lignes de code, mais ont cependant une assistance vocale qui commence à peine à immerger de nos jours.
Nous avons aussi le droit à la vision des années 2000 de l'époque, des voitures volantes dont les portières s'ouvrent par le haut, obligeant les passagers à se tordre le dos pour pénétrer ou sortir du véhicule. Le progrès technologique n'est pas le progrès ergonomique ! L'écran de conduite rappelle les premiers jeux vidéos. Pour l'immersion dans le futur, on repassera.
Côté météo, l'anticipation est juste, il pleut tout le temps, sauf durant une scène qui fera les choux gras des mauvaises langues lors de l'envol d'une colombe dans un ciel bleu alors que les protagonistes prennent une sacrée douche.

Blade Runner, c'est un film assez contemplatif, lent. Les effets spéciaux ont coûté un bras, il a fallu faire des économies sur l'embauche de dialoguistes et d'achat de projecteurs de lumière. C'est sombre, l'image prime et elle est généreusement saturée de métaphores religieuses et psychanalytiques. Si vous loupez quelques secondes du film, vous risquez de ne plus comprendre l'histoire. Le symbolisme entraine des interprétations libres et variées, ne facilitant pas une compréhension claire.



C'est parfois risible, comme lors du "combat" entre Rick Deckard et Roy Batty. Ou le temps passé a explosé le visage d'un humain alors qu'ils sont censés être des machines à tuer ou des forçats, donc musclé. Nous avons le droit à une jolie panoplie de costumes, de maquillages et de poses des comédiens dont ne renierait pas de nombreux nanars.

Sur la réflexion sur l'humanité, l'empathie des androïdes qui revient souvent lors de discussions sur ce film, j'ai dû m'endormir durant quelques instants. Mon avis est que la majorité de ce que l'on entend sur ce film est surtout le fait d'interprétations parfois tiré par les cheveux. A l'époque, ce film a bousculé les codes et en est devenu un film de référence

Conclusion, je me suis ennuyé ferme, luttant pour ne pas appuyer sur la touche Stop de ma télécommande. Dommage car si le film aurait été plus dynamique, il aurait fait une bonne comédie ! Et maintenant, l'envie de regarder la suite s'est terriblement émoussée...



Blade Runner 2049, le Réplicant court toujours


La méthode scientifique est revenu sur l'univers Blade runner, une émission instructive de par son analyse critique du roman et des deux films.
A écouter jusqu'au 06 octobre 2018
Pourquoi l'oeuvre de Philip K. Dick inspire-t-elle autant les réalisateurs ? Pourquoi Blade Runner a-t-il réussi à traverser les décennies ?
Nous avions laissé Rick Deckard, le Blade Runner incarné par Harrison Ford, partant sur les routes vers l’inconnu, avec la Réplicante Rachel ou sur le pas de sa porte avec un origami en forme de Licorne, en fonction de la version que vous avez vue du chef d’œuvre de Ridley Scott, sorti en 1982 et très librement adapté du roman de Philipe K. Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Si Blade Runner est certainement l’un des films les plus importants de l’histoire de la science-fiction au cinéma, sa suite, Blade Runner 2049, réalisée par Denis Villeneuve est-elle à la hauteur des attentes ?
Blade Runner 2049, le Réplicant court toujours : c’est le problème qui va occuper La Méthode scientifique dans l’heure qui vient.
Et pour évoquer tant la place du roman de Dick dans sa bibliographie et son imaginaire, que l’influence de l’adaptation de Ridley Scott sur le cinéma de science-fiction, nous avons le plaisir d’accueillir Hélène Collon, traductrice de la somme, que dis-je la Bible de Philip K.Dick, l’Exégèse, publiée en 2 tomes aux Nouveaux Millénaires, ainsi que Ariel Kyrou, journaliste, écrivain, et co-réalisateur avec Yann Coquart du documentaire « Les mondes de Philip K.DICK » qui sera rediffusé dimanche soir sur Arte, juste après le Blade Runner de Scott.

Jihad

janvier 25, 2018

 

Jean Marc Ligny, L'atalante, 2017, 400 p., 10€ sans DRM

N'écoute pas les fous qui nous ont dit
Qu' la liberté est au bout du fusil
Ceux qui ont cru ces bêtises
Sont morts depuis longtemps
Les marchands d'armes ont tous de beaux enfants.

Depuis la nuit des temps c'est pour l'argent
Que l'on envoie mourir des pauvres gens
Les croyants, la patrie :
Prétextes et fariboles !
Combien de vies pour un puits de pétrole ?

Pierre Perret - La petite Kurde

Une anticipation politique engagée desservie par un thriller invraisemblable. Dommage

 

Présentation de l'éditeur :


Kabylie, début du XXIe siècle. Alors que la guerre civile fait rage, un village est attaqué, ses habitants massacrés. L’unique survivant apprend à Djamal Saadi que sa sœur a été violée et tuée par un mercenaire français nommé Max Tannart.
Infiltré dans une France déchirée entre les milices du Parti National au pouvoir et les ex-combattants de Daesh, Djamal connaîtra l’enfer, dans ce pays où la couleur de sa peau et son type ethnique suffisent à attiser la haine.
Djamal n’est pas un immigré comme les autres. Il ne vient pas chercher du travail ni combattre aux côtés de la résistance. Guerrier solitaire, il se fraye un chemin sanglant afin d’accomplir son jihad personnel, qui porte un autre nom : vengeance.


Mon ressenti :


Une anticipation engagée d'un futur proche, trop proche.
L'Afrique est en pleine guerre civile qui refuse de dire son nom. Dans ce bourbier, ce sont les simples citoyens sans histoire qui trinquent. Pris en tenailles entre des islamistes, des mercenaires et l'armée, les hommes ne contrôlent plus leur histoire. Djamal est parti travailler sur des puits de pétrole pour nourrir sa famille qui va être décimé. Il n'aura désormais qu'un but, se venger dans un jihad personnel qui va le conduire dans une France brune.
La France est sous la coupe d'un Parti National, n'avoir pas choisi la bonne couleur à sa naissance est source de nombreux problèmes. La sécurité est le maître mot de ces bas du front, ce qui n’empêche pas les attentats d'être quotidien. La milice surveille avec le bon droit dans ses bottes, les ratonnades comme loisirs.

Sur un sujet des plus casse gueule, Jean Marc Ligny réussit le tour de force d'éviter tout malentendu et renvoie dos à dos tous les extrémistes et intégristes d'ici, d'ailleurs ou d'autre part. Peu importe les valeurs défendues, la patrie, la religion, ces idéologies ont en commun de nier notre liberté. Le quotidien de ce futur est bien retranscrit, entre contrôle au faciès, violences gratuites, censures des médias à la solde de l'Etat. Sur cette partie médiatique, Jean Marc Ligny fait intervenir un couple de journalistes, tous deux contre le fascisme de cette France, mais dont l'un préfère ne pas faire de vagues tandis que l'autre aurait tendance à résister. L'occasion de voir les magouilles politico-médiatiques, les réécritures d'articles par des rédacteurs en chef, et la lâcheté des grands médias, ou du moins de ceux qui les dirigent.
De ce côté là, c'est une réussite totale.

Par contre, là où le bât blesse, c'est côté thriller : dès le début, j'ai su où tout cela aller nous mener. L'auteur remplit son intrigue de péripéties, de retournements de situations qui tombent toujours au moment opportun pour les personnages. C'est parfois à la limite du vraisemblable (Ah la soeur qui n'a jamais tenu d'arme et qui se transforme en Rambo pour les sortir d'une mauvaise passe !). Et une fois l'univers de cette France de demain connue, il ne reste que cette vengeance. L'ajout d'une hypothétique relation incestueuse entre le frère et la soeur n'était à mon sens pas nécessaire. Dommage car le message de l'auteur ne peut que me plaire, mais l'intrigue cousue de fil blanc, les personnages binaires ont rendu pénible ma lecture.
A lire pour l'anticipation juste et probablement prochaine...


Petite précision de l'auteur si vous désirez le lire :
"Ce roman est paru pour la première fois en 1998. Il a été soigneusement revu et mis à jour, compte tenu des événements postérieurs à cette époque."

Le roman a remporté le Prix Rosny Ainé en 1999

Quelques citations :

— C’est quoi, les X-Men?
— Un réseau de résistance.
— Résistance à quoi?
— À l’injustice, mère de tous les maux. Au fascisme, son sale bâtard.

— On sera rendus après-demain, déclare-t-il. T’as le temps de souffler un coup avant de débarquer sur le front.
— Le front?
— Ouais, mon pote. L’intégrisme, c’est pas que chez toi.

La nuit des cannibales

janvier 21, 2018

 

Gabriel Katz, Pygmalion, 2017, 384 p., 14€ epub avec DRM

De la trilogie Le puit des mémoires, j'ai gardé en tête une plume efficace et pleine d'humour.
Je ne pense pas avoir déjà lu de romans avec des cannibales, alors qu'en les deux sont réunis, pourquoi ne pas y regarder de plus près ?

 

Présentation de l'éditeur :


«Le réveil, déjà... Il est sept heures. Bizarre, j’aurais juré l’avoir réglé sur huit. Sous ma main, la table de nuit est plus basse que d’habitude. La radio gueule un truc qui ressemble à Madonna ou Lady Gaga, bref ce n’est pas France Info. Je me lève dans le noir et me demande d’où vient cette infâme odeur de pieds. Je n’ai jamais senti des pieds de ma vie, et même si j’ai assez bu pour me réveiller dans un lit qui n’est pas le mien, ça n’a jamais fait puer personne. L’interrupteur, enfin, me tombe sous les doigts. J’allume.
Je regarde mon bras... qui n’est pas mon bras. Mon nez me paraît pointu, mes pommettes aussi. Putain, je ne suis pas moi.»
Lorsque Maxime de Retz, homme d’affaires de 43 ans, se réveille dans le corps d’un ado, la situation est pour le moins embarrassante. Mais, quand on essaie de l’assassiner, là, tout part carrément en vrille.

Mon ressenti :


Se réveiller dans la peau d'un autre n'est pas une idée des plus originale, et peut rappeler une série de films avec un certain Christophe Lambert. Mais l'auteur se démarque un peu dans l'explication de cette métempsychose.

Gabriel Katz prend son temps pour nous révéler le pitch de départ, une centaine de pages. Le temps de faire la rencontre avec quelques personnages qui ont comme particularité de s'être réveillé dans le corps d'une autre personne. L'occasion de nombreux moments d'humour : se retrouver dans un corps adolescent avec une famille inconnue n'est pas si facile à gérer. Les vieux se rappellent leur jeunesse perdue au travers de ces corps jeunes. Les péripéties s'enchainent assez rapidement, les pages aussi. On se surprend à sourire face à quelques bon mots ou situations croquilognesques et on a envie de savoir ou tout cela va nous mener.
Par contre j'avais souvent l'impression qu'il s'agissait plus d'un retour dans le passé que d'un réveil dans la peau d'un autre : dans la façon que l'auteur se moque des étrangetés du quotidien, du mode de vie ou de la décoration des intérieurs. Le mode de vie entre vieux et jeunes est certes différents.mais le fait de mettre en les mains de ces ados de vieux téléphones, de décrire des intérieurs vieillissants a fait que je ne savais plus trop où j'en étais. 

Côté personnages, et bien il y en a. Et il y a de l'action surtout. Les personnages font ce que demandent la trame du livre. Si vous cherchez plus, pas de bol. Dans sa trilogie du Puits des mémoires, l'auteur nous faisait réfléchir sur l'identité, ici, nous sommes face à un page turner pur et dur et si réflexion il y a, elle se résume à deux trois phrases. Les plus jeunes d'entre vous risquent de ne pas saisir les situations où l'auteur se moque de la jeunesse, les plus vieux d'entre vous se diront sûrement que c'est un bouquin pour les jeunes vu le manque de réflexions. Bref, pas sûr que ce roman trouve son public.

Au final, nous avons Perte de mémoire + Tueurs aux trousses, soit le pitch du Puits des mémoires, on ne peut dire que Gabriel Katz se renouvelle, à part passer de la fantasy au fantastique.
Ça se lit très rapidement, sans prise de tête. Vite lu, vite oublié. Mais bon, j'ai repensé à Christophe Lambert et ça, ça n'a pas de prix, pas comme ce roman. 384 pages d'après l'éditeur : l’ayant lu en numérique, je pense que le texte a été bien aéré. Un prix élevé au vue du nombre de pages  et en plus des DRM.

Quelques citations :


Les gens ont beau savoir ce que je suis, ils s’entêtent à me voir comme ce que j’ai l’air d’être.

Bref, j’ai une agence de mannequins, qui marche assez bien pour m’avoir payé ma classe E, mon appart, et ma Rolex – d’occase, mais deux mille euros quand même. Je m’habille en noir, parce que dans mon milieu, c’est ça ou s’habiller créateur, or je me contrefous des fringues. Je me suis fait pousser une petite barbe, c’est la mode, et puis ça va bien avec mon style. Je me suis offert la dernière télé 3D, que je n’ai jamais regardée en 3D, parce qu’il n’y a pas beaucoup de films en 3D, mais quand il y en aura, j’aurai déjà la télé. J’ai un iPhone, un iPad, un iPod, trois crédits dont un sur vingt ans, et une pension alimentaire qui me rappelle tous les mois qu’il n’y a rien de plus con que le mariage.



Black Mirror saison 4 - Episode 05 et Episode 06

janvier 19, 2018

Série créé par Charlie Brooker

Petit retour sur les épisodes 5 et 6 de la saison 4 de Black Mirror

Episode 05  : Tête de métal

David Slade, 2017, 40mn



Le terminator nouveau est arrivé, et il ressemble à un chien. Méchant, très méchant.

Synopsis :
En explorant un entrepôt abandonné, trois pillards en quête de ressources déclenchent un monstre impitoyable qui s’élance à leur poursuite dans un désert inhospitalier.

Mon ressenti :

Nous suivons trois personnes roulant dans une voiture discutant d'un plan surement illégal. Ils n'ont pas l'air des malfrats habituels et la peur suinte de tous leurs pores. Les paysages entraperçus évoquent un monde post apocalyptique. Et au milieu de ce désert d'épaves, un entrepôt gigantesque et bien entretenu.




Charlie Brooker nous refait Duel en version moderne. L'épisode est tout en noir et blanc qui manque toutefois d'un peu de beauté, mais nécessaire au vue du sang qui va vite devenir le personnage principal.  Lors qu’apparait l'entrepôt, nous avons l'impression d'un long plan séquence mais il va bien vite faire Pschitt, dommage. Ceci dit, je crois que j'ai du rester bouche bée les 2/3 de l'épisode. On se doute un peu de la futilité du braquage, mais le twist final réserve tout de même quelques surprises.
On est happé par l'histoire, mais une fois le générique passé, il m'a manqué les réflexions auxquelles Black mirror m’avait habitué.
Il paraitrait que le réalisateur ait coupé certaines scènes au montage, comme celles montrant que le chien androïde était piloté par un humain, évoquant alors les drôles de guerres livrées dans des pays à l'aide de drones meurtriers.







Episode 6 : Black Museum

Colm McCarthy, 2017, 50mn


Le petit musée de l'horreur, version Black Mirror

Synopsis : 

Sur un tronçon d'autoroute vétuste, une touriste tombe sur un musée vantant des artefacts criminels rares. Mais le clou de l'exposition lui réserve une surprise de choc.


Mon ressenti :

Ce dernier épisode se compose comme un fix up. Attention, avant de le visionner, mettez vous en position latérale de sécurité, ça va secouer.
Black Mirror nous entraine dans l'un de ses meilleurs épisodes.



Petite visite dans un musée de l'horreur ayant comme pièces des rappels à de nombreux épisodes de la série et dont le propriétaire-guide était dans une autre vie salarié d'une entreprise de recherche médicale technologique
On commence par un implant destiné aux chirurgiens permettant de ressentir la douleur des patients, et ainsi de poser un diagnostic absolu. C'est glauque à souhait, nous naviguons dans la noirceur totale de l'âme humaine. Âme sensible, s’abstenir.
On poursuit par un transfert d'identité qui va se révéler bien complexe à gérer. Le gore est moins présent, mais ce transfert va se révéler cauchemardesque.
La dernière pièce, un simple hologramme, va vous montrer que l'horreur se tapie dans le moindre interstice.
Un épisode d'une noirceur absolue. La mise en bouche horrifique et visuelle va être supplanté par la touche finale glaçante, qui bien que moins tape à l'oeil, va vous démontrer que la torture peut révéler bien des touches de subtilité.



Au final, une saison 4 bien horrifique, mais qui m'a moins amené à réfléchir sur le côté obscur de la technologie. Néanmoins, cette saison va marquer les esprits et amène quelques petites touches d'optimisme.


L'émission La méthode scientifique est revenu sur la série le vendredi 12 janvier :

Black Mirror a des limites car aujourd'hui la série nous confine à ce rôle de spectateur de la critique. Il est un peu paradoxal de voir nos usages critiqués et de le regarder comme un spectacle.
Laurence Allard,
sociologue des usages numériques

Les dérives de nos sociétés contemporaines prophétisées par la série sont-elles si éloignées de la réalité ? Notre présent n’est-il pas déjà dystopique ?
Imaginez… imaginez un monde où tout le monde se noterait, à tout moment, et où cette note déterminerait notre position sociale. Imaginez un monde où l’on pourrait, après la mort d’une personne aimée, la faire revivre numériquement en analysant toute sa vie sur les réseaux sociaux. Imaginez un monde où une vedette virtuelle de télé réalité vulgaire et stupide est élue président des Etats-Unis. Ce monde-là, c’est le monde de la série britannique de SF dystopique Black Mirror. A moins que ce ne soit déjà le nôtre…
Black Mirror, quand la technologie vire au cauchemar. C’est le problème qui occuper La Méthode scientifique dans l’heure qui vient.
Et pour nous emmener dans ces méandres d’un univers parallèle où la technologie, loin de nous libérer, nous a durablement asservis et avoir, qui sait, un aperçu de ce qui nous attend après-demain, voire demain, nous recevons Laurence Allard, sociologue des usages numériques, chercheuse à l’Université Paris III IRCAV et Romain Nigita, journaliste spécialiste des séries, auteur avec Alain Carrazé de « Séries’ Anatomy, le 8ème art décrypté » aux éditions Fantask.




Les perséides

janvier 17, 2018

Robert Charles Wilson, Le Bélial, 2014 (parution originale 2000), 320 p., 12€ epub


Le premier Wilson sans DRM !
Champagne.

Présentation de l'éditeur :


C’est l’histoire de deux géographies intriquées : celle des ruelles nocturnes de Toronto et celle de l’étrange librairie Finders, deux géographies qui ne sont pas ce qu’elles semblent être car non, décidément, la carte n’est pas le territoire... C’est l’histoire des abîmes vertigineux de l’espace et du temps et de ce qu’ils abritent, de l’étrange et de l’occulte, là, au coin de la rue, au détour d’un rayonnage de bibliothèque ou sur une case d’échiquier... C’est l’histoire de ce qui ne peut être vu et que l’on voit quand même, de ce qui ne peut être dit et qu’il nous faut dire, malgré tout... C’est l’histoire des Perseides, neuf récits se répondant les uns les autres pour tisser l’ébauche d’un paysage indicible, un livre à l’ombre des grands maîtres tutélaires de l’œuvre wilsonienne : Jorge Luis Borges, Howard Phillips Lovecraft et Clifford D. Simak en tête. Peut-être le livre le plus personnel de Robert Charles Wilson.

Mon ressenti :


Si vous aimez flâner chez votre librairie d'occasion, Wilson va vous en faire passer l'envie.
Wilson est-il à la solde des grandes chaines culturelles où l'on vend les livres au kilos ? Mais où va le monde !

Robert Charles Wilson nous convie dans la ville de Toronto, mais pas dans le Toronto des guides touristiques, mais celui où les repères connus n'existent pas, où les genres littéraires sont floues et fluctuants. Vous y rencontrerez une boutique de livre d'occasion, une maison qui cache derrière son toit des scènes où l'individuel s'accouple au cosmique. Vous y découvrirez des rues connues que par les marcheurs nocturnes, des bistrots où vous pouvez boire un café même sans argent.
Le tout sous le regard inquiétant d'un ciel étoilé menaçant.

Le personnage principal est donc Toronto, à travers ses vagues d'immigration, de culture et de contre culture et à travers le cours du temps.
Mais il y a aussi les autres personnages. Jacob, tourmenté entre prendre soin de lui et prendre soin de sa soeur aliénée. Thomas dans Les perséides, le solitaire social, ainsi que tous les autres, certains passant de personnage secondaire à celui de narrateur principal. En deux trois phrases, l'auteur arrive à leur donner une existence propre.

Au delà d'une suite de textes plus ou moins mis bout à bout, nous avons ici de réels liens entre les histoires, la librairie Finders se taillant la part du lion. On pourrait même se croire devant un roman dont l'auteur n'aurait pu, su, comment relier tous les fils imbriqués. Un travail d’orfèvre entre SF et Fantastique qui ont pour point commun une certaine noirceur et une certaine horreur cosmique. L'angoisse est tapie entre chaque ligne, chaque mot.

Neuf nouvelles, dont les deux tiers inédites en français, composent ce recueil qui se termine par une bibliographie. Et une postface de l'auteur qui revient sur chaque texte, donnant soit leur intention, leur histoire ou encore certaines explications. C'est aussi, peut-être, le livre qui donne une vision du Robert Charles Wilson, pas l'écrivain, mais l'homme ordinaire.
A ma première lecture, ce recueil m'avait laissé un goût mitigé, car il n'est pas trop dans la veine des habituels romans de l'auteur, ou alors peut être de ces premières tentatives comme La cabane de l'aiguilleur ou Les fils du vent. Cette seconde lecture m'a permis d'apprécier tout le talent de conteur de l'auteur.

C'est aussi des personnages avec des trajets de vie en déshérence aux préoccupations humanistes 

Et une petite interview de l'auteur lors de la sortie du recueil

Source : Manchu
Rapide tour d'horizon des nouvelles :

Les champs d'Abraham.
Le choix d'Abraham et HG Wells réunis dans cette nouvelle à atmosphère. Je crois que c'est depuis la lecture de ce texte que je lis en numérique : flâner chez les libraires est bien trop dangereux.
Nous sommes durant l'hiver 1911 à Toronto dans ce lot d'immigrants où se débat Jacob pour survivre. Entre deux parties d'échec et des cours de langue pour gagner sa pitance, il profite comme loisirs de trainer dans les rayons de la librairie Finders, obtenant quelques livres contre une partie d'échec.
La banalité du quotidien dans toute sa splendeur dans ce Toronto du début du siècle mais dont la chute va nous révéler la vrai visage d'un des protagonistes. La fin m'a fait penser à certains textes précurseurs de la SF, emprunt de mondes étranges.

Les perséides.
A ne pas lire en cas d'angoisse cosmique.
L'espace est infini, l'occasion de réfléchir au paradoxe de Fermi et au temps humain face au temps cosmique. Une histoire qui se déroule de nos jours avec un narrateur solitaire perdue dans une ville nouvelle pour lui. Sa rencontre avec quelques individus va être l'occasion de s'interroger sur ce que l'on ne voit pas à moins d'avoir le troisième oeil. La fin m'a un peu laissé sur le bas côté mais j'ai aimé toute le terreur de la prise en compte de notre infini petitesse. La nouvelle Le miroir de Platon peut aider à la compréhension.

Est-ce le diable qui trouve de l’ouvrage aux mains désœuvrées, ou les mains désœuvrées qui recherchent l’œuvre du diable ?

Les quelques corps célestes qu’on parvient à voir briller malgré la pollution sont à peu près aussi excitants qu’un poisson échoué sur la plage. Mais en s’éloignant suffisamment de la ville, on voit encore le ciel de la même manière que nos ancêtres, comme un abîme au-delà du bout du monde dans lequel les étoiles évoluent, aussi implacables et inabordables que les âmes des morts d’antan.

Ça vous est déjà arrivé de vous retrouver seul quelque part une nuit de grand vent, une nuit noire d’hiver, par exemple ? Et de commencer à avoir un peu peur ? De vouloir jeter un coup d’œil par la fenêtre pour voir s’il neige beaucoup, mais de vous dire que si vous ouvrez les rideaux, quelque chose de vraiment horrible sera en train de vous regarder de l’autre côté de la fenêtre ? Vous avez beau vous trouver puéril, vous n’ouvrez pas les rideaux pour autant. Vous n’arrivez tout simplement pas à vous y résoudre.

Quelqu’un ou quelque chose nous regardait presque certainement. Les chiffres sont simples : avec pas moins de cent milliards d’étoiles et plusieurs centaines de milliards de planètes dans la galaxie, même si la vie est rare et l’intelligence un accident de l’évolution, les probabilités veulent que quand on contemple les étoiles, il y a quelque part dans cette infinité sans horizon un autre œil braqué sur vous.


La ville dans la ville.
Une ballade dans une ville cachée. Si jamais vous la trouvez, Fuyez, pauvres fous !
Une nouvelle fantastique qui nous emmène on ne sait où, mais l'important n'est-il pas le voyage ? Décidément, la carte n'est pas le territoire. J'ai aimé le traitement différent de ce genre d'histoire qu'apporte Wilson. Et c'est aussi une allégorie sur le couple.
Et au détour de l'invention d'une religion, on trouve l'idée de Darwinia.


Ce qui peut paraître étrange, c’est que la ville me faisait la même impression. Nous distinguons l’urbain du naturel, mais c’est un mythe de notre époque. Nous sommes des animaux, après tout : nos villes sont des produits biologiques, tout aussi « naturels » (quoi que puisse vouloir réellement dire ce mot) qu’une termitière ou un terrier de lapin. Mais ô combien plus intéressants, ô combien plus complexes, parés des subtilités et exfoliations de la culture humaine, simples motifs réitérés à l’infini avec des variations. Et pleins de secrets, d’innombrables secrets.

Michelle ne croyait pas aux horloges numériques… elle les détestait. Le seul appareil de l’appartement avec un affichage numérique de l’heure était la montre que je portais au poignet. Michelle croyait que le temps tournait en rond.

Le jour vient après la nuit, le soleil parcourt les rues cadran solaire, les saisons défilent, mais le passé se dévore lui-même et le futur est le présent, mais moins présent.

L’Observatrice.
Une nouvelle qui pourrait être la suite de Les perséides.
Une jeune adolescente sujette à, peut être, des troubles psychiatriques, quitte sa ville de Toronto pour se ressourcer auprès de son oncle astronome en Californie. L'occasion d'y rencontrer un certain Hubble.
Comme dans Les perséides, si l'immensité de l'espace vous angoisse, passer à la nouvelle suivante.
Lu pour ma part en plein milieu d'une nuit venteuse et pluvieuse d'hiver, ce texte n'en a pris que plus de saveurs mais a eu pour conséquences fâcheuses de me faire flipper.
Assez rare d'avoir comme personnage une jeune adolescente et de se retrouver dans les deux régions de la vie personnelle de RCW.
Une nouvelle qui laisse libre court à l'imagination du lecteur, entre poésie de l'enfance, rencontre de personnages célèbres, hard SF et fantastique. Géniale. Ma préférée du recueil

Hubble s’est à nouveau touché les lèvres, l’air solennel. « On n’a pas besoin de comprendre pour regarder. On a besoin de regarder pour comprendre. »

Protocoles d’usage.
Le Canada a le médicament psychiatrique facile, mais à dérégler les fluides chimiques de l'homme, n'ouvrons nous pas la porte à quelque chose de plus dérangeant. Une métaphore angoissante de l'homme et de la faune.
D'une certaine manière, ce texte m'a fait penser à Bios.

Ulysse voit la lune par la fenêtre de sa chambre.
Paul Bridger m’a invité chez lui pour me montrer ce qu’il avait déterré d’insolite dans son jardin. J’ai accepté son invitation parce que je comptais séduire sa femme
Voilà une introduction qui donne le ton
Où l'on apprend que La librairie Finders ne vend pas que des livres d'occasion, mais aussi des presse papiers mais aussi d'autres breloques.
Ici la question est "Et s’il y avait une créature supérieure à nous sur tous les plans où nous sommes nous-mêmes supérieurs à Ulysse ? Saurions-nous seulement qu’elle existe ? »
Un texte à chute manipulateur mais dispensable.

Le miroir de Platon.
Un auteur reçoit d'une fan un vieux miroir qui révèle beaucoup plus que ne devrait le faire un reflet.
Cette nouvelle répond au texte les perséides. Ce que l'on voit lors de la danse des deux protagonistes ne serait-il pas l essence même de ces personnes et ce qu'ils ressentent ?
Wilson laisse entendre de tels choses de ce reflet que je m'attendais a beaucoup plus. La déception domine.

Divise par l'infini.

L’année qui a suivi la mort de Lorraine, j’ai envisagé six fois de me suicider. Envisagé sérieusement, je veux dire : je me suis installé six fois avec le gros flacon de clonazépam à portée de main et j’ai échoué six fois à le prendre, trahi par un instinct de survie ou dégoûté par ma propre faiblesse.
Je ne peux pas dire que je souhaite avoir réussi, parce que selon toute probabilité, j’ai bel et bien réussi, j’ai réussi à chaque fois. Six morts. Non, pas seulement six. Une infinité.
Fois six.
Il y a des infinis plus ou moins grands.

Le mari d'une salariée décédée de la librairie Finders y découvre des éditions anciennes de livres SF d'auteurs connus mais dont les titres semblent faux. Wilson nous invite dans l’étrange avec une plume agréable et subtile. Puis vient l'explication sur cette étrangeté des titres inconnus et là le lecteur est emmené dans un monde hommage à la SF.
Au fil des nouvelles, nous ne pouvons que constater que de nombreux salariés ayant travaillé dans cette fameuse librairie ont connu des destins assez sombres, notamment des décès dû au cancer : la lecture est elle cancérigène ?
Le mot magnifique de l'auteur sur cette nouvelle
« Divisé par l’infini » a figuré cette année-là parmi les finalistes du prix Hugo, non, j’imagine, parce que c’est une nouvelle particulièrement originale ou réussie, mais parce que j’essayais si fort de pincer la corde fondamentale de la science-fiction qu’elle a fini par vibrer un instant.



Bébé perle.
La nouvelle propriétaire, Deirdre, de la librairie Finders aime bien la fumette, la fille d'un de ses ex, mais n'aime pas partager ses découvertes. En quelques pages, nous semblons connaitre Deirdre intimement. Ce texte m'a aussi fait penser aux précurseurs du genre, avec cette vie minérale.

L’amour que Deirdre porte à l’étrange représente, je pense, une impulsion esthétique véritable et tout à fait légitime, bien que sous-estimée. La science-fiction et le fantastique satisfont ce besoin de la même manière que la fiction « littéraire » satisfait le besoin humain de bavardage intelligent. Si le xixe siècle a rendu justice à cette impulsion (ce Xanadu, ce Corbeau), le XXe l’a laissé tomber comme une patate chaude freudienne.
Aussi l’Étrange a-t-il revêtu son costume-cravate d’Apollon pour aller vivre dans le quartier modeste d’Astounding Stories et deThrilling Wonder.
On entend de temps à autre parler de la mort de la science-fiction, mais j’imagine que le XXIe siècle sera bon avec nous… que, bouillonnant de possibilités, l’Étrange bondira au grand jour avec son pistolet à rayons dans une main et sa bouteille de laudanum dans l’autre.

Drone land

janvier 15, 2018


Tom Hillenbrand, Piranha éditions, 2017, 320p., 14€ epub sans DRM


Roman idéal entre deux gueules de bois. 


Présentation de l'éditeur :

Dans un futur proche où les citoyens européens sont constamment surveillés par les drones fédéraux, le meurtre d’un politicien à la veille du Brexit va bouleverser le système établi.
Dans un monde dévasté par les catastrophes climatiques et ravagé par les guerres pour le contrôle des rares ressources encore exploitables, les citoyens de l’Union européenne font l’objet d’une surveillance permanente grâce aux nouvelles technologies. Lorsqu’un membre du Parlement européen est retrouvé froidement exécuté dans la région de Bruxelles, le commissaire Westerhuizen est certain de pouvoir résoudre l’affaire rapidement grâce à l’ordinateur omniscient d’Europol. Mais malgré l’identification rapide d’un suspect, de nombreux indices laissent à penser que le programme de l’ordinateur a pu être altéré et que le meurtre cache un scandale qui pourrait ébranler les fondements de l’Union.
 

Mon ressenti :

Lu après une critique de yogo, les premières pages m'ont vite fait douter. Dans cette anticipation sur les drones et la société de surveillance, on entre de plein pied dans une intrigue sur l'assassinat d'un député européen de second plan par un meurtrier professionnel, orientant la piste vers un complot étatique plutôt que d'une banale histoire de moeurs.
L'auteur remplie ses pages de gadgets SF censément nous immerger dans son monde futuriste qui m'a cependant fait soulever bien des fois les sourcils : peu vraisemblable, trop too much. Moi ce que j'aime, ce n'est pas le décor, mais les conséquences politiques, sociales et individuelles des technologies. Ici, tout cela est vite survolé, voir inexistant.
Ajouter à cela des personnages vites dessinées, une histoire d'amour qui se profile et me voila très dubitatif. Je venais de finir Reproduction interdite qui utilisait certaines de ces technologies nouvelles mais dans le Truong, celles ci étaient réalistes et utile à l'intrigue, donnant une vraisemblance au récit.
Dans les deux livres, il y est question d'IA logicielle. Truong en fait un bon analyste de données, Hillenbrand en fait un studio de cinéma en 3D ! En outre, pour pouvoir donner des images haute définition du territoire, cela demande une armada conséquente de drones. Quid du financement de l’ensemble, on ne sera jamais !
Ici l'auteur connait la quincaillerie SF et l’enquête policière, on ne peut lui enlever, tout y est  : voiture autonome, lunettes connectées, écran souple, drone sans oublier le changement climatique (il y pleut beaucoup !). On ajoute quelques ingrédients du polar  : meurtre chez les puissants, magnat de l'industrie, snuff movie, corruption. En personnages, le flic solitaire (dont la femme est décédée !), une collègue sexy (on peut être solitaire et aimer la compagnie du sexe opposé), un journaliste de scoops, ... On badigeonne le tout de coréens, de brésiliens et de portugais pour donner une consistance géopolitique à l'ensemble.

En m'attardant de plus près sur l'édition, je remarque que ce roman est paru dans la collection Black Piranha, donc polar. Ce public sera peut être conquis par l'aspect anticipation. Mais pour l'adepte de SF, ce dernier risque la désillusion.
Lu après Reproduction interdite, je pense que là ce trouve l'écueil principal de mon désintérêt pour ce livre. Drone land est parfait comme divertissement, beaucoup moins pour questionner l'impact des bouleversements technologiques sur la société.

yogo a trouvé le tout inquiétant et fascinant, Mes imaginaires se réjouit de la belle intelligence de Drone Land qui choisit la subtilité et la suggestion. Mr K. trouve que Drone land offre une belle réflexion sur le genre humain et sa propension à causer sa propre perte. Et Raphaël Gaudin dans Bifrost y a trouvé un paquet de bonnes raisons de se jeter sur ce livre. Bref, nous n'avons pas lu le même texte.

Reproduction interdite

janvier 11, 2018
 

 Jean Michel Truong, Folio Sf, 2015, 576 p., 9€ epub avec DRM


Une forme originale, un fond percutant, mais quelques longueurs à déplorer.


Présentation de l'éditeur :


Un vieil homme est retrouvé mort dans une chambre d'hôtel. Il s'agit du professeur Ballin, qui reçut le prix Nobel pour avoir été le premier à réussir le clonage d'un être humain. Dans le même temps, onze personnes décèdent dans un incendie à la maison d'arrêt, suite à des émeutes. Ces deux affaires atterrissent sur le bureau du juge Rettinger. Il n'y a, a priori, aucun lien entre elles, pourtant, certains faits troublants vont alerter le juge. Mais la recherche de la vérité pourrait lui coûter cher. Surtout quand des intérêts supérieurs sont en jeu.

 

Mon ressenti :


Bien que souvent classé comme auteur de science-fiction, Jean Michel Truong préfère se définir comme « balisticien » : non pas préfigurer l’avenir, mais « évaluer le point d’impact d’un projectile déjà parti. Je parle de choses dont il existe un commencement d’exécution ». (Clémence Boulouque, Le Figaro, 25 février 2003, page 24 ) Après lecture de deux de ces romans, je ne peux qu'être d'accord.
  
Ecrit en 1988, revu en 2015, c'est cette dernière version que j'ai lu, l'auteur s'interroge sur les conséquences du clonage d'ici à quelques années.
"Roman" composé uniquement de pièces d'un dossier des services secrets qui mis bout à bout forme un tout cohérent. Cela demande un petit temps d'adaptation pour comprendre où veut nous mener l'auteur, mais après, la construction est un vrai plaisir.

On commence tranquillement par une enquête policière classique avec peut-être complot à la clé : une grosse multinationale, des politicards, des bas fonds, un commissaire de police et un juge d'instruction. Le tout est est relié avec brio, parsemé de fausses pistes et de doutes sur les tenants de l'affaire.
L'auteur ancre son récit dans un futur proche. Son anticipation reste très réaliste, les technologies invoquées existent déjà, seul leur perfectionnement diffère. Les personnages sonnent vrais et l'auteur réserve même quelques surprises aux lecteurs.

Certains passages sont criants de vérité et de cynisme à toute épreuve. Vous pouvez lire en bas de billet les quelques citations sur comment "préparer" au mieux l'opinion publique ou comment amadouer les instances religieuses et éthiques.  Rien de bien nouveau mais c'est énoncé d'une manière tellement cru et cynique que l'effet joue à plein.

Reste à vous parler du clonage. L'auteur dépasse le débat sur l'humanité du clone, pour lui, là n'est pas la question, les clones sont justes des machines, mais il déploie toute une analyse des conséquences de ce clonage : vie politique, législation, géopolitique, économie, religion, éthique, sciences. Une réelle anticipation à laquelle on pourra reprocher un manque de romanesque. Sur ce défaut, Jean Michel Truong a la réponse :

"On n'a pas le droit de faire de la littérature sur de tels sujets. "
"C'est une monstration a-littéraire. Il faut que le lecteur sache reconnaître l'horreur. Je la lui montre, dans une sorte de test de lecture. S'il ne la voit pas, tant pis. "

Comme dans Eternity Express, Jean Michel Truong a une vision sans concession de notre avenir. Conseillant les grands groupes, il ne fait de doute qu'il sait de quoi il parle.
Reste à lire son Successeur de Pierre qui a remporté le Grand Prix de l'Imaginaire du roman francophone en 2000.

Ce roman a reçu le prix Mannesmann-Tally 1989 récompensant le meilleur ouvrage lié à l'informatique.

L'auteur en parle à l'occasion du festival "Les imaginales d'Épinal" 2015 :


Quelques citations :


3.2.1. Impact de l’opinion publique
Ce facteur est à la fois le plus déterminant – dans la mesure où une hostilité généralisée reviendrait à une interdiction pure et simple de l’activité envisagée par RSA – et le plus facile à contrôler. Pour cette raison, RSA attachera une très grande importance à la qualité de ses relations publiques, celles-ci représentant près de 18 % du budget prévisionnel d’exploitation. Seront particulièrement privilégiées les relations avec les journalistes de l’audiovisuel et de la presse web, ainsi que les blogs destinés aux femmes et aux jeunes.
L’accent sera porté sur la dimension humanitaire de cette activité, en exploitant les cas dramatiques non résolus par les méthodes de transplantation traditionnelles, ou encore ceux imputables à la pénurie d’organes, et en leur opposant les réussites obtenues grâce à RSA. Dans cet ordre d’idées, la société offrira gracieusement des organes aux pupilles de l’État ou aux enfants des pays en voie de développement.
À l’inverse, on atténuera les aspects de cette activité qui pourraient paraître choquants, par exemple sa dimension industrielle. On promouvra plutôt l’apparence de « laboratoire » ou de « clinique » de RSA, en masquant son caractère d’usine.
Des études sont en cours pour préciser la thématique de cette politique d’image.
[...]
Toutefois, dans le but de désamorcer les préventions résiduelles des autorités spirituelles ou philosophiques et de promouvoir une image de haute tenue morale, RSA créera un comité international d’éthique, dont le rôle sera de conseiller le P-DG de la société sur les cas litigieux, et dont les membres, désignés par leurs institutions d’origine (Églises, Académie de médecine, ordre des médecins, Ligue des droits de l’homme), seront indemnisés de façon significative par RSA. Dans le même ordre d’idées, la société créera une fondation pour la recherche en éthique qui financera substantiellement les travaux des principaux leaders d’opinion du domaine et distribuera des bourses à leurs chercheurs. Le budget de cette fondation sera financé par un prélèvement proportionnel aux bénéfices de la société.

Fabriquer un robot met en œuvre des processus industriels complexes et réclame des ingénieurs et des techniciens hautement qualifiés ; élever un clone, à l’opposé, tient davantage de l’agriculture et reste à la portée de simples paysans. Les compétences à réunir pour programmer un robot sont rares et onéreuses ; celles requises pour conditionner un clone sont rustiques, proches des méthodes de dressage des animaux ou d’instruction des militaires. De la même façon, les clones ne réclament pas d’autres soins que ceux dispensés au bétail, alors que l’exploitation et l’entretien des robots exigent du personnel hautement qualifié et des outillages sophistiqués.
Il ne fait donc pas de doute que l’économie plaide en faveur du clone.



La reproduction interdite de René Magritte


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